Je me trouve dans le bureau de la PMRS (Palestine Medical Relief Society) du district de Jénine avec le Dr Jameel Hamad, directeur pour le district.
La ville de Jénine a une population d’environ 50 000 habitants dont 13 000 vivent dans le camp de réfugiés de Jénine. Pour l’ensemble du district, il y a 300 000 habitants.
Le Dr Jameel dit que le district connaît la situation économique la pire de toute la Cisjordanie. Avant 1948, l’économie consistait pour une grande part dans l’exploitation des fermes traditionnelles et l’élevage de moutons. Après la création d’Israël et jusqu’à la Seconde Intifada, l’économie a été dominée par le commerce avec les villes arabes palestiniennes d’Israël et aussi par des travaux subalternes en Israël.
La Ligne Verte avec Israël et les villages arabes en Galilée se trouvent juste au nord et à l’ouest par rapport à ici. Maintenant, avec le mur d’annexion et les check-points, le secteur connaît une profonde récession économique. Il y a beaucoup de chômeurs et beaucoup aussi sont dans les prisons israéliennes.
En ce qui concerne la santé, le principal service de soins jusqu’à récemment était assuré par le ministère de la Santé sous la direction de l’Autorité palestinienne (AP). Il gère le principal hôpital de Jénine ainsi que des centres de premiers soins dans la ville.
Malheureusement, à cause des sanctions Israël/USA/UE en réaction de l’Occident à l’élection démocratique d’une majorité Hamas, le système de santé de l’AP s’est effondré. Beaucoup de salariés de la Santé ont fait grève car ils ne sont pas encore payés.
Par conséquent, les demandes des patients sont dirigées vers des organisations non gouvernementales comme la PMRS, l’UHWC (Union des comités de travail de la Santé) et une ONG locale appelée la Société des Amis malades.
Ces ONG reçoivent une aide financière de différentes sources : du Service d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO), d’une organisation appelée INTEL, du gouvernement de Suède et du CARE international. Avec l’effondrement des services de Santé de l’AP, les centres médicaux de la PMRS et de l’UHWC sont débordés. La PMRS demande 3 shekels (55 centimes d’ ?) par visite du médecin.
Nous visitons le camp de Jénine où 60 personnes, près de la moitié étant des civils, ont été tuées et 2 000 personnes se sont retrouvées sans abri lors de l’incursion israélienne en mars 2002. Le Dr Jameel dit qu’on n’en voit plus rien maintenant, tout a été reconstruit.
A l’entrée du camp, il y a un mémorial, la statue d’un cheval, faite de petits morceaux de métal tirés des destructions du camp de Jénine. Sur une pièce au flanc du cheval sont inscrits les mots « Al Hilal al Ammar » en arabe. Cette pièce est tout ce qui reste d’une ambulance du Croissant Rouge qui a été détruite par les forces d’occupation israéliennes, et dont les membres de l’équipe à l’intérieur ont été tués ou blessés.
Je suis dans la camionnette médicale de la PMRS, on se rend dans les petits villages du district de Jénine. Mes confrères palestiniens, ce matin, sont les Drs Ameer et Eyad, médecins de famille, et le Dr Nadwa, une spécialiste OB/GYN et des soins pour les femmes. En plus, nous avons Hana et Zakiah, deux aides médicales et Fida, notre conducteur.
Tous les médecins qui sont avec moi aujourd’hui ont été formés dans des pays de l’ancien Bloc soviétique. En fait, 51 % de l’ensemble des médecins travaillant actuellement dans les Territoires palestiniens occupés ont été formés dans les Pays de l’Est. A la PMRS, ils sont 70 %. Dans le secteur de Jénine, c’est 90 %, et pour mon expérience personnelle à la PMRS, c’est 100 %. Seul, le Dr Imad Barakeh à Tulkarem a été formé en Occident : en Italie. Tout les autres confrères palestiniens l’ont été dans le Bloc de l’Est.
Je suis fils d’un colonel de l’Air Force US qui a été intimement impliqué dans la course aux armements avec les Soviétiques. Je leur ai dit et malgré cela, nous nous entendons bien.
Le Dr Amir garde des souvenirs affectueux de Russie, et des femmes russes. Il s’est marié avec une femme russe alors qu’il y vivait pour sa formation médicale. Mais maintenant, depuis qu’il est revenu et surtout depuis la Seconde Intifada, il ne peut plus se rendre en Russie et elle, de son côté, n’est pas autorisée à venir ici. Ils s’aiment toujours, mais pour des raisons bureaucratiques qui émanent du gouvernement israélien, ils sont astreints à séparation.
Le Dr Amir aime bien faire le clown, et moi aussi. Rapidement, toute la camionnette explose de rire avec nos histoires d’Est et d’Ouest. Nous sommes tous les deux d’accord : étant donné les douleurs et les tragédies auxquelles nous devons faire face, l’humour et le rire font partie des principaux moyens de s’en sortir que nous ayons.
Maintenant, nous approchons du check-point d’Al Arrabi. Notre ambulance dépasse toute la file de voitures sur le côté gauche et se présente directement aux soldats israéliens. Ces soldats, tout juste pubères, qui contrôlent actuellement nos vies ne sont pas d’une humeur particulièrement amène ce matin. Aussi, ils font remonter toute la file de voitures à notre chauffeur, Fida’, sur ses 300 mètres, pour qu’on attende comme tout le monde. Les malades qui compte sur nous dans les villages devront patienter plus longtemps. Le mot hébreu pour check-point est machsom ; en arabe, hajiz. Mes confrères palestiniens préfèrent utiliser le terme machsom, car le check-point n’est pas de leur fait, mais de celui d’Israël.
On ne peut rien faire, il faut attendre, aussi nous passons le temps à faire des jeux de mots : en arabe et en anglais, en espagnol et en russe. Nous sommes comme des enfants qui seraient à l’arrière d’un break et s’amuseraient dans le dos des parents pendant que ceux-ci les emmènent pour une longue route. Le problème, c’est que ce voyage vers les villages prenait normalement 20 minutes avant la barrière d’annexion et les check-points.
Avec ce check-point, notre arrivée dans les villages a été retardée de plus d’une demi-heure. Nous faisons finalement notre apparition dans le village d’Al Khlijan, population : 1 000 habitants. L’agent médical du village qui nous attendait était à la maison de quartier de la mosquée. Elle ne savait plus si on allait arriver ou pas, aussi elle était finalement rentrée.
Nous la rappelons ; les services de soins sont annoncés dans tout le village par le haut-parleur de la mosquée et les malades commencent à se montrer. Nous laissons les Dr Amir, Nadwa et Hana ici et nous nous rendons dans le prochain village, Um Dar, de 500 habitants. Les Dr Eyad et Zakiah y installent un centre mobile et commencent à recevoir les malades, pendant que Fida’ m’emmène faire le tour du village à pied.
Comme dans de nombreux villages palestiniens, beaucoup de terres d’Um Dar ont été confisquées par la barrière d’annexion. La colonie israélienne la plus proche de Rehan, construite en 1981, comporte 60 familles, environ 200 personnes, et maintenant la plupart de la terre d’Um Dar, comme la plupart de la terre des villages palestiniens voisins, se retrouvent du côté israélien de la barrière.
Abdel Fatha, un ancien du village m’explique la situation des services du village. Le village dépend complètement du soleil pour le chauffage de l’eau et de quelques panneaux photovoltaïques pour avoir un peu d’électricité. Le reste de l’électricité et l’eau potable sont fournis par le district voisin de Tulkarem. Mais depuis la barrière d’annexion et les check-points, les services sont beaucoup moins fiables qu’auparavant. Ce village n’a de l’électricité que de 5 h de l’après-midi à minuit chaque jour, et durant trois jours le mois dernier, il n’y en a pas eu du tout.
Ensuite, nous partons pour un autre village appelé Zabda, d’environ 1 000 habitants, et nous installons notre centre mobile de soins. Je visite une école et une fabrique d’huile d’olive.
Le soir, nous rentrons à Jénine. Le retard au check-point d’Al Arrabi n’est que d’environ 15 minutes, seulement.
Dr Bill Dienst est médecin de famille de campagne, et du centre d’urgences de Omak, Washington, USA.
Jénine, Live from Palestine, 14 décembre 2006
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Photos de l’auteur ; trad. : JPP