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Le mémorial Rabin propose pop stars et clichés
vendredi 9 novembre 2007 - Gideon Lévy - Ha’aretz

Le groupe de chanteuses « HaBanot Nechama » n’en était pas, l’an dernier. La découverte de l’année, maintenant récompensée d’un disque d’or, a rejoint hier soir Aharon Barnéa, Shimon Peres, Aviv Gefen, Achinoam Nini et Sarit Haddad - la bande attitrée de ces rassemblements du souvenir. L’an passé, l’écrivain David Grossman, qui venait de perdre son fils [lors de la guerre au Liban - ndt] était venu à la tribune et avait tonné contre nos dirigeants creux et, un court instant, les c ?urs avaient été en émoi ; hier soir, place Rabin, il n’y a pas eu le moindre orateur, pas d’écrivain ni d’intellectuel, pour dire quelque chose de significatif dans le vide de ce rassemblement à la mémoire d’Yitzhak Rabin qui ressemblait par dessus tout à un concert-rassemblement du groupe « Kaveret » à la fin de l’été à Césarée.

Le public ? Toujours le même : ashkenaze, laïc, de gauche et pour la paix - tel qu’il se voit lui-même. Qu’il est doux et agréable d’être là une fois par an, sur la place Rabin, et de sentir que l’on fait partie de cette famille chaleureuse, avec dans le fond d’excellentes chansons en hébreu et un casting mis à jour par l’adjonction de l’un des humoristes de « HaGashash HaHiver », Shaike Lévy, tout juste orphelin [par le décès d’un des trois humoristes quelques jours plus tôt - ndt], et venu chanter « L’amitié ».

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Place Rabin, à Tel Aviv. Quelque 150 000 personnes ont pris part au rassemblement, revenant un instant à la vie après un an de léthargie (Ph. T. Appelbaum)

Tous se sont réveillés hier soir, revenant un instant à la vie après un an de léthargie : la Paix Maintenant, le parti Travailliste, le Meretz, « Hashomer Hatzaïr » et « HaNoar Haoved vehaLomed » (la jeunesse laborieuse et studieuse - ndt) dont les chemises bleues ont reparu un moment, hier soir. Aharon Barnea a de nouveau revêtu l’habit du prophète de la colère qu’il endosse une fois l’an, début novembre : « Nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas », a-t-il tonné en notre nom à tous, en un slogan qui accompagnait autrefois les rassemblements de commémoration du génocide. « Soyez tranquilles, il y aura la paix », a promis le présentateur de la principale édition du journal télévisé, et s’il le promet, c’est sûr qu’il y aura la paix. Hier soir, les clichés ont inondé la place Rabin : « l’espoir », « l’héritage », « la victoire » et « la paix », nul ne sait ce que ces mots signifient au juste.

La place était couverte aussi de ballons blancs. Le blanc, c’est la paix. De temps en temps, un ballon éclatait ; de temps en temps, un ballon s’échappait et s’élevait dans le ciel noir de Tel Aviv. Un hélicoptère aussi et un ballon de surveillance survolaient les lieux, exactement comme ils le font en permanence dans le ciel de Gaza, qui n’avait jamais été aussi éloigné qu’hier soir de ces rassemblements pour la paix. Lorsqu’Ehoud Barak a dit que « l’héritage d’Yitzhak Rabin vit et s’agite en nous », songeait-il au black-out de Gaza et à l’affamement qu’il a lui-même orchestrés ? Personne n’a parlé de cela, hier. Personne n’ont plus n’a fait mention du nom ineffable - Yigal Amir - Satan parmi le peuple, en dépit du fait que son esprit, et surtout sa progéniture [l’épouse d’Yigal Amir vient de donner naissance à un fils - ndt], flottaient en permanence dans l’air. Les seuls applaudissements soutenus ont été gagnés par le Ministre de la Défense [Ehoud Barak] lorsqu’il a promis, on ne sait trop par quelle autorité, que « sa peine ne sera pas raccourcie, il ne sera pas amnistié et les portes de la prison resteront fermées sur lui jusqu’à son dernier jour ».

Le fils de Rabin, Youval, revenu d’un long séjour aux Etats-Unis, a lui aussi parlé abondamment de l’assassin sans pour autant (le ciel nous préserve !) l’appeler par son nom : il nous a invités à être un Etat de droit, tout en faisant une sortie contre la décision légale d’un tribunal israélien d’autoriser la tenue en prison de la cérémonie de la circoncision [du fils d’Yigal Amir - ndt]. Comme il est facile de s’unir contre Yigal Amir, le plus petit dénominateur commun du camp de la Gauche.

« Nous te le promettons : ta voie sera victorieuse », a dit Barak, sorti hier soir de l’armoire : pour la première fois, il a clairement prononcé le mot Annapolis, le disant même porteur d’une « promesse » et non d’une « menace », espérant que ce sera « une réussite », contrairement aux mauvaises rumeurs : cela aussi, c’est quelque chose, dans un rassemblement pour le souvenir et pour la paix !

Un an a passé depuis le discours de Grossman sur les dirigeants creux, et rien n’a changé. Les dirigeants sont les mêmes, aussi creux qu’ils l’étaient et que l’est tout ce battage, ce verbiage sur « l’héritage de Rabin » et sur la paix. La jeunesse aux bougies qui était venue gémir amèrement sur cette même place [il y a 12 ans - ndt], est devenue adulte et a disparu, emportée par le vent et la haute technologie. A sa place, sont apparus de nouveaux jeunes gens en chemises bleues, qui n’étaient que de petits enfants le soir de l’assassinat. Shimon Peres leur a raconté qu’Yitzhak avait pensé à eux, seulement à eux, et eux aussi bien sûr pensent maintenant que la seule chose terrible qui soit jamais arrivée ici, c’est cet assassinat odieux.

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Gideon Lévy

Salut l’ami, salut la paix, à l’année prochaine, avec le même laïus creux, le même Gaza emprisonné et affamé, et les mêmes chanteurs, avec en outre ceux qui auront décroché eux aussi, l’an prochain, des disques d’or et qui se joindront à la chorale.

(1) Le dilemme de Grossman

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Gideon Lévy - Ha’aretz, le 4 novembre 2007
Version anglaise : Rabin memorial offers pop stars and empty cliches
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys