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L’Etat palestinien improbable
vendredi 19 octobre 2007 - Michel Bôle-Richard - Le Monde

George Bush a de la constance dans les idées. Le 24 juin 2002, dans un discours resté célèbre, il avait fait part de son désir de voir la naissance d’un Etat palestinien et il avait exprimé le souhait que celui-ci puisse vivre "côte à côte, en paix et en sécurité" avec Israël, estimant qu’il s’agissait là de "la clef pour la paix". Plus de cinq ans plus tard, le 24 septembre, M. Bush a, une nouvelle fois, répété : "Je soutiens formellement la création d’un Etat palestinien et je crois que la vision de deux Etats vivant côte à côte et en paix peut être réalisée." Entre-temps, cette fameuse vision de "deux Etats" est restée un vague rêve. Aucun progrès n’a été enregistré. Au contraire, la situation n’a cessé de se dégrader et la perspective de créer un Etat palestinien "viable et continu", selon la formule idoine, semble s’être éloignée.

Aujourd’hui, ayant enfin réalisé que le conflit israélo-palestinien est l’une des sources principales de tensions dans la région, l’administration Bush a décidé de donner un coup d’accélérateur au processus de paix, en état de léthargie profonde pendant sept ans.

Depuis sa nomination à la tête de la diplomatie américaine en janvier 2005, Condoleezza Rice s’est rendue une bonne douzaine de fois dans la région. Elle effectue depuis le 14 octobre sa septième visite pour 2007 avec l’espoir de faire bouger les lignes. En juillet, M. Bush a décidé de convoquer pour novembre une réunion internationale aux Etats-Unis, afin de relancer les efforts de paix. Après le coup de force du Hamas le 15 juin dans la bande de Gaza et la fin de l’expérience du gouvernement d’union nationale avec le Fatah, il était de nouveau possible de parler avec Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.

Israël n’a jamais été favorable à la tenue d’une conférence internationale, mais le gouvernement d’Ehoud Olmert pouvait difficilement la refuser. Tout a été fait cependant pour en minimiser l’importance, les autorités israéliennes précisant qu’il ne s’agissait pas d’une conférence de la paix mais seulement d’un point de départ pour fixer le cadre de négociations bilatérales entre Israël et les Palestiniens. Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères, a fait valoir, concernant ce sommet, qu’il fallait lui fixer des objectifs réalisables.

Pour Israël, il s’agit surtout d’une réunion internationale "avec la participation notamment des pays arabes modérés favorables au processus de paix". Ce qui permettrait un rapprochement avec plusieurs pays arabes et notamment l’Arabie saoudite sans toutefois aborder les questions trop sensibles qui risquent de faire capoter cette initiative. L’occasion de faire une belle photo de famille et de montrer de la bonne volonté sans entrer dans le vif du sujet. Ce qui a fait dire à Amr Moussa, président de la Ligue arabe, qu’Israël devait être prêt à "payer le prix de la paix", tandis que le chef de la diplomatie saoudienne, Saoud Al-Fayçal, a souligné que l’Etat juif devait "prouver son sérieux", demandant que la construction du mur et la poursuite de la colonisation soient interrompues avant la conférence afin d’illustrer cette bonne volonté.

De grandes inconnues planent donc sur cette réunion qui pourrait se tenir à Annapolis, près de Washington, mais dont l’ordre du jour n’a pas été fixé. Des divergences profondes subsistent entre M. Olmert et M. Abbas sur ses finalités. Le premier ministre israélien souhaite l’établissement d’un document commun, insistant sur le fait que cette rencontre internationale doit permettre "d’obtenir le soutien de la communauté internationale en promouvant les forces modérées et les Etats qui soutiennent une solution pacifique avec Israël". M. Abbas trouve, en revanche, qu’il est plus que temps d’aborder les questions cruciales. "Le temps est venu de créer l’Etat palestinien indépendant, avec Jérusalem-Est comme capitale, vivant en paix et en sécurité aux côtés d’Israël pour qu’il soit mis fin aux souffrances endurées par notre peuple depuis six décennies", a-t-il affirmé.

ECRAN DE FUMÉE

Le fossé entre ces deux approches va-t-il être comblé avant novembre ? Les réunions entre M. Olmert et M. Abbas n’ont pas rapproché les deux conceptions. Elles n’ont pas non plus abouti à alléger les souffrances du peuple palestinien comme M. Olmert avait promis de le faire lors du sommet de Charm El-Cheikh le 25 juin. "La liberté de mouvement des Palestiniens va être améliorée de façon significative", avait-il déclaré, mais, depuis, aucun checkpoint n’a été levé et de nouveaux ont été installés. Le travailliste Ehoud Barak, ministre de la défense, ne propose de supprimer que 24 checkpoints sur les 572 répertoriés par l’Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Il exclut un retrait de Tsahal des territoires occupés avant cinq ans, le temps qu’il faudra pour mettre au point un système de protection capable d’intercepter les roquettes qui pourraient être lancées depuis la Cisjordanie comme c’est déjà le cas depuis la bande de Gaza, déclarée "entité hostile" et dont le blocus s’est accentué. Plus de 340 prisonniers ont été libérés au cours des derniers mois, mais combien d’autres ont-ils été arrêtés depuis ?

Les cinq ans évoqués par M. Barak seront suffisants pour achever la construction du mur et laisser croître les colonies - le temps de créer des faits accomplis qui entérinent le grignotage constant et permanent de la Cisjordanie. Sera-t-il encore possible de créer un Etat palestinien digne de ce nom ? La Cisjordanie n’est déjà plus qu’un territoire morcelé dans les interstices duquel se sont glissés plus de 250 000 colons alors que la population palestinienne est contenue dans des poches closes.

Selon l’OCHA, plus d’un tiers de la Cisjordanie est occupé par les colonies, les bases militaires et des "réserves naturelles". Si l’on ajoute ceux installés à Jérusalem-Est, les colons sont au nombre de 450 000 pour environ 2,5 millions de Palestiniens. Le retour aux frontières de 1967 que demandent les Palestiniens, à commencer par Mahmoud Abbas qui souhaite retrouver la superficie exacte des territoires conquis en 1967, n’est-il pas compromis ? Peut-on encore parler d’un Etat palestinien viable et continu, alors que les réalités démontrent qu’il risque prochainement de devenir une fiction, à moins que les Israéliens soient prêts à d’immenses sacrifices. Ce qui semble loin d’être le cas.

La réunion souhaitée par M. Bush apparaît de plus en plus comme un écran de fumée destiné à faire croire que l’on avance vers une solution, alors que sur le terrain aucun indice ne prouve qu’il y a une vraie volonté de donner une chance à la paix. Plus le temps passe, plus la probabilité d’un Etat palestinien s’éloigne.

Du même auteur :

- Les autorités israéliennes relancent un projet d’expansion de Jérusalem
- Le ministre israélien de la sécurité opposé à tout retrait de Cisjordanie
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Edition du 18 octobre 2007 - Le Monde