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Mourir sans avoir été vaincu
samedi 6 octobre 2007 - Ramzy Baroud - Al Ahram Weekly

Le récent décès de Haider Abdul-Shafi ne pouvait pas survenir à un pire moment.

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Sur cette photo prise le 23 avril 1992, on voit Haidar Abdul-Shafi (à g.), chef de la délégation palestinienne à la conférence internationale de la paix de Madrid en 1991 et la porte-parole palestinienne Hanan Ashrawi. Ils quittaient Jérusalem pour assister à la sixième série d’entretiens de paix au Moyen-Orient à Washington D.C.

La perte de ce dirigeant unique et symbolique est d’autant plus douloureuse que la direction politique palestinienne est en très mauvais état et que rien n’est fait pour redresser la situation.

Abdul-Shafi a toujours réussi à transcender les factions et les aspects religieux, les politiques tribales et les idéologies vénales ; il a été fidèle à ses principes en dépit de circonstances extérieures difficiles. Il a été le cofondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine dans les années 60 et a ensuite lancé la Société du croissant rouge à Gaza dans les années 70.

Cet homme solide dirigea la délégation palestinienne aux entretiens de paix de Madrid en 1991 et 1993 ; il démissionna de cette fonction quand il apprit par la radio de son hôtel que Yasser Arafat avait conclu un accord secret à Oslo sans consulter les négociateurs palestiniens en Espagne. Lors de notre première interview, Abdul-Shafi m’a dit sa honte quand il a appris par les médias qu’Arafat avait conclu un marché secret.

Lors de la même interview de 2002, Abdul-Shafi avait longuement parlé du soulèvement palestinien, des discussions avec Israël, de la corruption et de la division internes, de la démocratie et d’autres sujets. Alors âgé de 83 ans, Abdul-Shafi avait l’esprit d’un jeune combattant idéaliste animé d’une vision inébranlable, mais faisant aussi preuve d’une sagesse acquise par cinquante années de ténacité et de lutte désintéressée. Pour lui, le désespoir n’était jamais de mise. Ses buts étaient l’unité interne, la démocratie, la résistance sur tous les fronts et le dialogue sur un pied d’égalité. Il semblait infatigable, mais sa santé défaillante devint son plus grand ennemi quand on lui diagnostiqua un cancer quelques années plus tard ; il s’est éteint le 25 septembre 2007.

Je me demande si le combattant vieillissant connaissait les douloureux détails des conflits internes chez les Palestiniens, des mesures honteuses et mutuelles prises contre les médias et la liberté d’expression en Cisjordanie et à Gaza ; était-il au courant de la division marquant tous les détails de la vie palestinienne ? La Palestine qu’Abdul-Shafi laisse derrière lui n’est pas celle pour laquelle il s’est battu avec un dévouement incroyable.

Dans sa lutte, Abdul-Shafi ne craignait pas de dire ce qu’il pensait ni de critiquer ce qui perturbait la lutte pour l’unité et la véritable souveraineté palestiniennes. Il reprocha à Arafat et à ses collègues les nombreux désastres postérieurs à Oslo qui s’abattirent sur son peuple. Il admonesta le leadership palestinien d’avoir capitulé à Oslo, d’avoir accepté bien moins que ce qu’exigeaient les droits et les aspirations de son peuple. Il refusa de participer à la charade « démocratique » qui institua, parmi d’autres simulacres, un parlement qui n’avait pas l’autorité de contester ni la volonté d’Arafat, ni celle d’Israël lequel intensifia son occupation accablante après la signature des « accords de paix ».

Bien entendu, peu de temps après avoir été élu au parlement, Abdul-Shafi fut le premier à démissionner et prêta plutôt son soutien à l’Initiative nationale palestinienne qui prônait l’unité nationale, la démocratie et un gouvernement intègre. Il voyait clairement que même si les Palestiniens ne pouvaient pas influer sur les actes israéliens, ils étaient assurément capables de concilier et de corriger leurs propres divergences. C’est vraiment tout ce qu’il demandait.

Par contraste, le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a décidé d’utiliser le projet colonial israélien pour ses propres fins. A l’encontre d’Abdul-Shafi, qui aurait contesté la domination israélienne en lui opposant une position palestinienne unie, une cohésion totale en Palestine et à l’étranger, Abbas (qualifié de dirigeant « modéré » et « pragmatique » par les grands médias) a choisi l’option mortelle : la collaboration avec l’ennemi.

Alors que les Palestiniens de Gaza sont assassinés à volonté, qu’ils sont soumis à un siège total et sont privés des droits humains les plus fondamentaux, les conseillers « pragmatiques » d’Abbas l’ont apparemment dissuadé de croiser le fer avec les Etats-Unis et Israël. Une telle attitude fait oublier que le défaitisme n’a jamais aidé une nation opprimée à recouvrer ses droits et sa liberté.

Malheureusement, Abdul-Shafi n’est plus là pour nous le rappeler si opportunément. Le sol de Gaza l’a finalement réclamé ; tout comme il a réclamé les corps des nombreux Palestiniens résilients, hommes et femmes, jeunes et vieux. On ne peut qu’espérer que l’esprit d’Abdul-Shafi est maintenant libre de sortir des frontières fermées, des clôtures électrifiées et des zones militaires bloquées qui ont transformé cette pauvre langue de terre en une prison comparable à celle de Robben Island où Nelson Mandela et ses camarades ont été isolés pendant de longues années.

Aussi longtemps qu’Abbas et son parti Fatah continueront à concocter des plans pour affaiblir leurs rivaux du Hamas, et que les deux parties comploteront pour renforcer leurs positions politiques respectives dans ce qui doit être le cirque médiatique le plus embarrassant de l’histoire palestinienne, Israël n’a plus affaire à une résistance sérieuse. Au contraire, ses politiciens peuvent maintenant s’atteler à une nouvelle tâche : comment creuser l’écart qui divise les Palestiniens.

D’après Avi Issacharoff dans Haaretz, il s’agit de savoir si en relâchant le dirigeant du Fatah, Marwan Barghouti, on contribuerait à unifier les rangs du Fatah, ce qui renforcerait Abbas et accélérerait le démantèlement du Hamas.

Au contraire d’Abbas, Abdul-Shafi n’a jamais laissé tomber son peuple, malgré toutes les difficultés qu’il a subies. Il a fait tout ce qu’un seul individu peut faire isolément et même davantage. On dit que l’enterrement de Shafi à Gaza a réuni les Palestiniens de toutes les factions. C’était le noble but auquel cet homme avait consacré beaucoup d’énergie tout au long de sa vie. Au moins, sa mort a-t-elle créé ce moment fugace d’unité, rappel qu’une telle chose est encore possible.

Dans son discours à la conférence de paix de Madrid, le 31 octobre 1991, Abdul-Shafi a récité un vers de Mahmoud Darwish : « Ma patrie n’est pas une valise et je ne suis pas un voyageur ». A l’époque, la maison de mon père dans le camp de réfugiés de Gaza était bondée de voisins qui étaient venus regarder le discours télévisé ; ils pleuraient tous en silence en l’écoutant. Je suis sûr que ceux d’entre eux qui sont toujours vivants ont pleuré à nouveau et cette fois-ci à cause de la disparition du symbole palestinien de l’espoir, dont le legs, tout comme la vie, seront toujours chers à nos coeurs.

Hanan Ashrawi évoque Haidar Abdul-Shafi

Haidar Abdul-Shafi personnifie la lutte nationale palestinienne. Au début de sa carrière, il était étroitement lié à la gauche et soutenait le parti communiste. A sa maturité, il est devenu une sorte de symbole national représentant la lutte nationale palestinienne en dehors de tout esprit de faction ou d’étroitesse d’esprit.

Dans son âge mûr, il a symbolisé l’aspect responsable et inclusif de la politique palestinienne, incarnant la conscience collective du peuple palestinien, refusant de morceler la lutte palestinienne ou de la réduire à un étroit intérêt personnel.

Il a travaillé pour la démocratie et la réforme et a pris une position ferme contre la corruption, les abus et la mauvaise gestion en politique. Il a participé à la fondation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et a joué un rôle vital dans sa croissance et ses réussites.

Je connaissais Haidar Abdul-Shafi depuis mon enfance parce qu’il était un ami de la famille ; mon père et mon oncle ont fait leur médecine avec lui à l’Université américaine de Beyrouth. Il partageait alors une chambre avec mon oncle et même pendant nos négociations à Madrid et à Washington, il me racontait toujours des anecdotes sur leur vie d’étudiants.

Il avait un vrai sens de l’humour et de la responsabilité et il était d’une grande droiture. Tous ces aspects ont fait de lui une personne très attachante.

Je me souviens quand le dirigeant de l’OLP, Faisal Husseini, et l’ancien Secrétaire d’Etat états-unien, James Baker, examinaient les noms des futurs délégués palestiniens à la conférence de 1991 à Madrid où Shafi a dirigé le comité de négociation.

La délégation palestinienne suscitait toutes sortes de réserves car les Américains ne voulaient absolument personne de l’OLP et n’acceptaient d’inviter que des délégués venant des territoires occupés. C’est ainsi que lors de nos discussions internes, nous avons essayé de trouver le moyen de tourner les restrictions américaines et nous avons choisi Haidar Abdul-Shafi à la tête du comité de négociation de la conférence.

C’est moi qui ai écrit le discours qu’il a prononcé à Madrid. Je me souviens de ce qu’il m’a dit quand je le lui ai fait lire. Il m’a dit : « Si je lis ceci, je risque de pleurer ». Je lui ai répondu : « Ne t’en fais pas ; j’ai pleuré quand je l’ai écrit ».

Nous avons souvent partagé de tels moments. Il prenait ses responsabilités au sérieux.

Abdul-Shafi a eu mal quand il a entendu parler des Accords d’Oslo et des circuits et accords secrets qui avaient été utilisés derrière son dos.

Il refusa d’assister à la cérémonie de signature sur la pelouse de la Maison blanche. Il s’est néanmoins présenté aux élections en tant qu’indépendant et a été élu. Il commença à édifier son mouvement pour l’édification de la démocratie.

Il était extrêmement populaire et est devenu un symbole pour le peuple palestinien. Il a pourtant rapidement démissionné en guise de protestation après les rapports sur la corruption du Conseil législatif palestinien et il garda ses distances.

Il avait des rapports très respectueux avec Arafat et ses collègues, mais était toujours honnête, franc et critique quand il était question de corruption, d’abus ou de mauvaise gestion. Il nous manquera beaucoup, mais son ?uvre survivra.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com »

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

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4 octobre 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/865...
Traduction : amg