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Sharon porté aux nues
lundi 30 janvier 2006 - Ramzy Baroud

La façon dont les moyens d’information dominants portent Sharon aux nues pourrait seulement être comparée au traitement réservé aux femmes ou hommes importants de ces dernières années.

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Massacre de Sabra et Shatila - Beyrouth, septembre 1982 - photo Al Massa

Les centaines de commentaires élogieux, la vénération étalée dans les rapports de presse et les émissions télévisées à la gloire de Sharon - qui ont déferlé après l’attaque cérébrale inattendue du mercredi 4 janvier - montrent sans aucun doute que seule ce que nous a légué mère Teresa pourrait faire concurrence à la stature « imposante » de Sharon et à ses « sacrifices » désintéressés pour la paix.

Les timides tentatives de quelques-uns pour faire contrepoids à ces grossières déformations par la presse de ce qu’est réellement Sharon sont largement ignorées. Ses responsabilités directes ou indirectes dans ce qu’endurent les Palestiniens depuis 50 ans semblent complètement hors de propos. Le mépris de Sharon pour la vie humaine, depuis ses premières heures de combat dans l’organisation juive terroriste et clandestine Haganah (1948-49) puis son rôle comme commandant de l’infâme unité militaire responsable de plusieurs massacres (le plus connu étant le meurtre brutal de 69 villageois sans défense à Qibya en 1953), prend l’allure d’une simple nuisance.

Est aussi exclue des informations la liste des terribles crimes de guerre commis entre 1950 et 1960 (durant les guerres israéliennes contre l’Egypte), à la fin des années 1970 (sous le règne sanglant de Sharon à Gaza), durant les années 1980 (ses horribles guerres et massacres au Liban) et plus récemment après le second soulèvement palestinien en septembre 2000 ; soulèvement qu’il a largement provoqué puis réprimé par sa politique d’assassinats et sa visite provocatrice du site islamique le plus sacré à Jérusalem. Depuis son élection comme premier ministre en 2001, Sharon a renforcé sa notoriété avec la liquidation de plusieurs milliers de vies palestiniennes.

Quelques journaux américains admettent, bien qu’avec réticence, qu’il est naturel que les Palestiniens « perçoivent » Sharon comme un criminel de guerre qui a répandu des souffrances et misères sans nom. Mais comme toujours les crimes de guerre commis contre les Palestiniens ne sont jamais comparables à ceux commis contre d’autres populations, et spécialement quand le criminel est l’état israélien. La souffrance des Palestiniens n’a pas de caractère universel (au contraire de celle des Israéliens victimes des attaques-suicides) ; elle peut donc être rapidement écartée sans une once de culpabilité ni beaucoup de remord.

Malgré une histoire chargée de massacres sans nombre, jamais jusqu’à ce jour un responsable ou officiel israélien n’a été devant une cour internationale de justice. Tout au contraire, les plus ignobles des criminels de guerre israéliens ont été les chéris des gouvernements occidentaux et ont même joué un rôle important dans la politique étrangère américaine. N’importe qui peut se rendre compte de la malhonnêteté de tout ceci juste en comparant ce traitement de faveur à la façon dont le terrorisme palestinien est présenté, même quand il s’agit de résistance légitime.

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Là se trouvait une savonnerie.

Craignant d’être perçus comme ayant le couteau entre les dents, beaucoup de moyens d’information et d’intellectuels dans le monde Arabe ont désespérément essayé de contrebalancer l’esprit de revanche qui domine dans les rues de leurs propres pays, selon quoi « le boucher de Beyrouth » était maintenant trop malade pour « commander des tueries » ou des invasions militaires. Un ancien diplomate égyptien a même déclaré à la BBC que Sharon était capable d’amener la paix. Il se servit de l’opportunité pour souhaiter à l’allié politique le plus important de Sharon, Shimon Péres, une « longue et heureuse vie ». D’autres intellectuels expliquèrent que la réaction de la rue Arabe devait être considérée comme venant de « gens ordinaires » trop émotifs et non pas des classes moyennes et dominantes. L’élitisme dans le monde Arabe est toujours éhonté.

Pendant ce temps, toujours aussi serviles, les médias aux Etats-Unis persistaient : « Remplacer l’irremplaçable », titrait un article du St Petersburg Times, arrivant à une conclusion peu judicieuse selon laquelle beaucoup de monde, dont des Palestiniens, « s’inquiétait probablement de la maladie de Sharon car même ceux qui ne l’aimaient pas sont malgré tout certains à présent qu’il est la seule personne qui peut amener la paix et la sécurité à Israël ».
On ne saura jamais qui est responsable de la dissémination de tant de déformations de la réalité, recyclées par des centaines de journaux tout autour du globe. Un correspondant de la BBC à Jérusalem a pris ses vues dans un café israélien. « Les gens sont finalement détendus », dit-il, se félicitant du succès de Sharon à faire cesser les attaques-suicides.

Les horribles violations des droits humains sont célébrées comme des jalons important dans la carrière d’un grand chef d’état. Même les Arabes évitent de remettre en cause le consensus. Malgré le fait que l’ancien chef Palestinien Yasser Arafat puisse être difficilement comparé aux « imposants » records de Sharon en matière de crimes de guerre, l’homme a été ridiculisé et mis à l’écart jusqu’au derniers moments de sa vie. Les officiels américains avaient difficilement caché leur jubilation à la mort d’Arafat, le « maître en terrorisme », « l’obstacle » principal à la paix ». Le temps a déjà prouvé qu’ils avaient tort.

Sharon — « l’homme de la paix » selon le président Busch — semble avoir décidément gagné une place dans l’histoire simplement pour avoir déplacé quelques milliers de colons illégaux de la Bande de Gaza sous occupation vers la Cisjordanie sous occupation également. Bien que Sharon ait toujours répété que sa décision de désengagement avait plus à voir avec les intérêts stratégiques et démographiques israéliens qu’avec la paix, peu en ont pris note. Bien que le nombre de colons installés en Cisjordanie ait depuis augmenté de plus de 4%, ceci importe peu.

Mais tout bien considéré, la personne de Sharon importera peu. Son âge et sa mauvaise santé le condamnaient à se retirer tôt ou tard. Ce qui aura une plus grande incidence que sa vie ou sa mort est tout ce qu’il aura laissé de nuisible derrière lui, par l’usage d’une violence et d’un extrémisme étalés au grand jour pour réaliser des objectifs politiques. Ceux qui voudront réutiliser les chaussures de Sharon auront probablement la volonté de se montrer aussi cruel et violent qu’il l’était. Sharon a déclaré un jour que les Palestiniens « devaient être durement frappés » et « devaient être vaincus » avant de pouvoir parler de paix avec Israël - d’une paix selon les conditions israéliennes et non pas selon la loi internationale. Beaucoup des possibles successeurs de Sharon partagent avec conviction cette philosophie qui n’est pas prête de disparaître, qu’il s’agisse de Sharon ou d’un autre.

* Ramzy Baroud est journaliste palestinien et américain

13 janvier 2006 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Claude Zurbach