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Nahr al-Bared : les habitants de la région s’opposent à la reconstruction du camp
samedi 15 septembre 2007 - IRIN
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Le camp de Nahr al-Bared en ruines. Les responsables locaux sont opposés au projet de reconstruction du camp.

BIBNIN, 11 septembre 2007 (IRIN) - Tous les trois étaient de la même famille et originaires de Bibnin, un village surplombant le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, dans le nord du Liban, et tous étaient fiers de sacrifier leurs vies en combattant pour leur pays, a déclaré Rawa Fiyad, leur cousin, après avoir prié pour les défunts soldats libanais.

A la suite d’une bataille de 15 semaines contre les extrémistes du Fatah al-Islam - un groupe semblable à Al-Qaeda - qui a lourdement grevé les ressources limitées de l’armée libanaise, le ministre de la Défense Elias Murr a annoncé la fin des grandes opérations de combat menées à Nahr al-Bared au terme d’un dernier affrontement violent, le 2 septembre, la plupart des militants qui restaient ayant été éliminés alors qu’ils tentaient de fuir le camp.

Selon M. Murr, 222 militants du Fatah al-Islam ont été tués au total et 202 ont été capturés depuis le début du conflit, le 20 mai. L’armée, quant à elle, a perdu 163 soldats, et entre 400 et 500 autres ont été blessés, dont bon nombre sont désormais handicapés à vie.

Au moins 33 civils ont également trouvé la mort au cours de la confrontation sanglante qui avait forcé les plus de 40 000 résidents du camp à fuir, bon nombre d’entre eux vers le camp déjà surpeuplé de Beddawi, 10 kilomètres plus loin.

Les responsables attendent les résultats de la seconde analyse ADN effectuée sur le corps présumé de Shaker al-Abssi, le leader du Fatah al-Islam, que son épouse avait identifié à la morgue d’un hôpital.

« Pourquoi reconstruire le camp ? »

Le gouvernement s’est engagé à reconstruire le camp et a convié les bailleurs de fonds à une conférence le 10 septembre, en collaboration avec l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, en vue de récolter des fonds pour la reconstruction de Nahr al-Bared.
Malgré tout, divers problèmes (munitions non-explosées, édifices dangereux et risques de maladies) existent dans ce camp dévasté et cela prendra plusieurs mois de les résoudre avant même que la reconstruction puisse débuter ; de plus, le gouvernement se heurte actuellement à la colère croissante des habitants de la région qui, comme Rawa Fiyad, disent ne pas vouloir que Nahr al-Bared soit reconstruit du tout.

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Rawa Fiyad a perdu trois membres de sa famille pendant les combats que l’armée libanaise a livrés aux militants de Fatah al-Islam dans le camp de Nahr al-Bared.

« Pourquoi devrions-nous reconstruire le camp ? Les Palestiniens n’ont apporté que désolation dans cette zone ; c’est au tour d’un autre pays, plus riche, de les accueillir », a-t-elle estimé.

« Les Palestiniens ont protégé le Fatah al-Islam dans leur camp et ils ont pris l’argent qu’il leur donnait », a rapporté le « mokhtar » (responsable local) Jamil Abu Khalil, ajoutant qu’il avait failli mourir après avoir été blessé par balle par un tireur embusqué dans le camp. « Ce sont des traîtres, alors nous avons décidé, en tant que civils, de combattre les Palestiniens - et l’armée libanaise si elle essaie de reconstruire le camp ».

Quant aux leaders palestiniens du Liban, ils ont sévèrement condamné le Fatah al-Islam, qui s’est désolidarisé du Fatah al-Intifada, un groupe palestinien basé à Damas, en novembre de l’année dernière. Sur les dizaines d’anciens résidents du camp de Nahr al-Bared, interrogés par IRIN depuis le mois d’avril à propos du Fatah al-Islam, aucun ne soutenait le groupe.

Toujours pas de refuge temporaire

Bien qu’il se soit engagé, en juin, à construire des logements provisoires pour accueillir les Palestiniens déplacés par les affrontements, l’UNRWA n’a pas encore obtenu de terrain pour commencer les travaux. Hoda al-Turk, la porte-parole de l’UNRWA, a expliqué à IRIN que trois terrains situés près de Nahr al-Bared avaient déjà été loués pour y construire les bureaux de l’UNRWA, une école et des logements provisoires pour les réfugiés ; toutefois, elle n’a pas pu fournir davantage de détails sur le nombre de déplacés susceptibles d’être hébergés sur ces terrains.

Les responsables palestiniens locaux se sont opposés à ce que les logements provisoires soient construits sur les terrains vacants situés à la lisière du camp de Beddawi ; selon eux, les réfugiés déplacés souhaitent vivre le plus près possible de Nahr al-Bared.

A Bhanine, une petite ville située tout juste 5 kilomètres au sud du camp, Abu Talal Wehbé, un responsable de la province d’Akkar, a déjà rejeté une requête palestinienne portant sur l’utilisation d’un terrain vacant pour construire quelque 80 blocs d’appartements en vue d’héberger des réfugiés déplacés.

Tout le monde n’est donc pas opposé à la reconstruction de Nahr al-Bared.

« Le camp peut être reconstruit mais il doit être placé sous le contrôle de l’armée libanaise », a estimé le libanais Rifat Fatfat, dont la boutique d’articles pour la maison, située sur la route qui mène à la lisière de Nahr al-Bared, a perdu environ 10 000 dollars [de chiffre d’affaires] au cours des 106 jours où elle est restée fermée.

Les Palestiniens « devraient commencer à payer des impôts »

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Khaled Saadi tenait une boutique au marché de Nahr al-Bared. Aujourd’hui, il a ouvert une nouvelle boutique sur la route qui mène au camp, et il espère pouvoir revenir bientôt chez lui.

Toutefois, selon M. Fatfat, les Palestiniens du Liban devraient désormais vivre comme des Libanais. « Ils ne rentrent pas chez eux, en Palestine, alors ils doivent s’installer ici, et ils devraient commencer à payer des impôts comme nous tous ».

Les 12 camps de réfugiés officiels du Liban, qui abritent à peine plus de la moitié des 400 000 Palestiniens qui vivent dans le pays, sont depuis longtemps interdits d’accès à l’armée, initialement selon l’accord du Caire, signé en 1969.

Selon le Premier ministre Fouad Siniora, le camp reconstruit sera placé sous l’autorité de l’Etat. Les analystes prédisent que ce précédent pourra être invoqué pour modifier les dispositions en vigueur dans les 11 autres camps officiels concernant l’autonomie palestinienne en matière de sécurité.

Quant à l’installation des Palestiniens au Liban, il s’agit d’une question très controversée, du fait de la réticence des réfugiés à renoncer à leur droit de retourner en Palestine et parce que leur installation risquerait de perturber la démographie sectaire délicate sur laquelle repose la gouvernance du Liban.

La boutique que tenait Khaled Saadi, un Palestinien, au marché de Nahr al-Bared, a perdu près des trois quarts de sa clientèle pendant la période qui a précédé le début du conflit. Aujourd’hui, M. Saadi a ouvert une nouvelle boutique près de celle de M. Fatfat, et achète de la marchandise à crédit aux marchands libanais.

M. Saadi dit soutenir le droit de l’armée à contrôler la sécurité dans l’enceinte du camp de Nahr al-Bared. Toutefois, il refuse d’accepter l’installation définitive [des Palestiniens] au Liban.

Sur le camp de Nahr al-Bared, lire notamment :

- "Les drapeaux du Hamas flottent sur les camps du Liban",
le 12 septembre 2007 - Anand Gopal - Inter Press Service.

14 septembre 2007 - IRIN - Photos : Hugh Macleod/IRIN