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Enfants de guerre
mercredi 5 septembre 2007 - Gideon Lévy - Ha’aretz

Il y a un an, un cinquième des tués de l’opération « Pluies d’été » étaient des enfants ; ces deux dernières semaines, ils constituent un quart des 21 tués. Si, le ciel nous préserve, des enfants devaient être touchés à Sderot, nous devrions nous en souvenir, avant de remuer ciel et terre.

L’armée israélienne explique que les Palestiniens ont l’habitude d’envoyer des enfants ramasser les lanceurs de roquettes Qassam. Pourtant, dans ce cas-ci, les enfants qui ont été tués ne ramassaient pas de lanceurs. Les deux premiers récoltaient des caroubes et les trois autres - selon la propre enquête de l’armée israélienne - jouaient à chat perché. Mais même en admettant, comme le prétend l’armée israélienne (la chose n’est pas prouvée), que d’une manière générale il y aurait une telle tendance à envoyer des enfants ramasser des lanceurs de roquettes, pareille situation devrait entraîner l’arrêt immédiat des tirs contre ceux qui ramassent les lanceurs.

Mais il est indifférent pour l’armée israélienne que ses victimes puissent être des enfants - il est un fait qu’elle ouvre le feu sur des silhouettes suspectes à ses yeux, tout en sachant - selon ses propres dires - qu’il peut s’agir d’enfants. L’armée israélienne qui tire en direction de ceux qui ramassent les lanceurs de roquettes est par conséquent une armée qui tue des enfants. Il ne s’agit dès lors pas de regrettables erreurs (en série) comme on tend à présenter la chose, mais d’un mépris pour la vie des enfants et d’une terrible indifférence à leur sort de la part de l’armée.

Une société pour laquelle les considérations morales sont tenues en haute considération devrait au moins se demander s’il est permis de tirer sur ceux qui s’approchent des lanceurs de roquettes quand on sait que certains d’entre eux sont de petits enfants n’ayant pas encore de jugement et dès lors non punissables, ou si nous lâchons la bride à toutes nos opérations de guerre. Même si nous acceptons les arguments de l’armée qui déclare que ses moyens de vision sophistiqués ne permettent pas de distinguer entre un enfant de 10 ans et un adulte, on ne peut dégager l’armée israélienne de sa responsabilité dans cet acte criminel.

Même si nous faisions la supposition - totalement distordue - que toute personne qui s’approche des lanceurs mérite la mort, le fait qu’il s’agisse d’enfants devrait nous amener à changer de règles. Si on ajoute à cela le fait que les tirs visant ceux qui ramassent les lanceurs de roquettes n’ont pas amené l’arrêt des tirs de Qassam, pas même à leur diminution, on en vient au soupçon affreux que l’armée israélienne ouvre le feu - même en sachant qu’il est possible qu’il s’agisse d’enfants - pour se venger et pour punir. La vie d’aucun enfant de Sderot n’est plus sûre du fait de ses tueries, au contraire.

Celui qui en toute bonne foi examinera le développement des événements des deux derniers mois découvrira que les Qassam s’inscrivent dans un contexte : ils sont presque toujours lancés après des opérations d’assassinats menées par l’armée israélienne - et il y en a eu beaucoup. La question de savoir qui a commencé n’est pas une question puérile dans ce contexte. L’armée israélienne a repris ses assassinats, et à grande échelle, et c’est à la suite de cela que les tirs de Qassam se sont accrus.

La vérité est là mais, chez nous, cette vérité est cachée. Depuis que Gabi Ashkenazi [chef d’état-major de l’armée israélienne] et Ehoud Barak [ministre de la Défense] sont entrés en fonction, la bride a été lâchée. Si Barak était un représentant de la Droite, peut-être y aurait-il eu déjà un tollé général contre le déchaînement de l’armée israélienne à Gaza. Mais à Barak tout est permis et même le fait que les victimes soient des enfants ne change rien - ni pour Barak ni pour le public israélien.

Oui, les enfants de Gaza s’attroupent près des Qassam. C’est à peu près la seule chose qu’ils aient dans leur vie. C’est leur parc d’attractions à eux. Ceux qui, plein d’arrogance, exhortent les parents de ces enfants à « veiller sur eux » n’ont jamais mis les pieds à Beit Hanoun. Il n’y a rien là-bas, sinon des ruelles et de pauvres maisons. Même s’il était vrai que les responsables des tirs de Qassam utilisent ces enfants misérables (ce qui n’est pas prouvé), il ne serait pas admissible que cela modèle notre propre image morale. Oui, la retenue est permise et la prudence aussi. Non, il n’est pas toujours nécessaire de riposter, en particulier lorsque cela aboutit à une tuerie d’enfants.

La voie qui mène à l’arrêt des tirs de Qassam ne consiste pas à tuer à l’aveuglette. Un lanceur de roquette, ça se remplace. L’année scolaire s’ouvre chez nous comme chez eux, lourde de présages. Ceux qui veulent vraiment mettre fin aux tirs de roquettes Qassam doivent aboutir à un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement en fonction à Gaza. C’est la seule voie et cette voie est possible. Les assassinats, les bombardements et les tueries d’enfants vont exactement dans la direction opposée.

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Gideon Lévy

Et en attendant, voyez ce qui nous arrive, à nous et à notre armée.


Du même auteur :

- Etendu au pied de la clôture
- Elle marchait dans les champs
- Bingo dans le village des martyrs

Gideon Lévy - Ha’aretz, le 2 septembre 2007
Version anglaise : Children of war
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys