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Palestine : l’apartheid en pratique
jeudi 18 mai 2006 - Praful Bidwai

L’occupation de la Palestine est la pire étape dans l’histoire du colonialisme, et c’est le problème irrésolu du 20e siècle. Il égale à la fois l’Algérie de 1960, le Viet Nam des années 1970 et l’Afrique du Sud des années 80. Combattre cette occupation exige le même type de solidarité internationale.

Beaucoup de monde en Asie pense que l’occupation israélienne en Palestine est aussi oppressive, aussi brutale et intrusive, aussi dégradante, humiliante et déshumanisante que l’a été le colonialisme en règle générale dans le monde, à la nuance près que l’injustice actuelle dispose d’une dimension religieuse du fait du sionisme.

Ces gens se trompent. L’occupation est pire, bien pire.

Je viens de visiter la Palestine-Israël pendant deux semaines et je peux en témoigner. Prenons juste le fait suivant en considération. Durant la première moitié du 20e siècle, la Grande-Bretagne avait progressivement relâché sa poigne de fer sur l’Inde et était devenue plus accomodante vis à vis des aspirations populaires.

Durant la dernière cinquantaine d’années, Israël n’a cessé de renforcer sa main-mise sur la terre de Palestine et a pratiqué une politique d’exclusion de plus en plus forte. Israël a confisqué les 24 % de la Cisjordanie et Gaza, et 89 % de Jérusalem Est par le moyen d’implantations illégales, de routes, d’installations militaires, de réserves naturelles etc...

Israël a réduit la vie quotidienne des Palestiniens à d’insupportables formes d’une existence en prison. Ils ne disposent d’aucune liberté de mouvement et parfois même à l’intérieur de leur propre intimité. Ils ne peuvent rentrer même dans des villes dites "unifiées" comme Jérusalem sans laisser-passer. Aujourd’hui, il y a 400 000 colons installés dans 300 colonies réparties à travers la Cisjordanie.

Les colons sont incroyablement privilégiés. On leur alloue par exemple 1450 mètres cube d’eau par an, alors que le Palestinien ne dispose que de 83 mètres cube. Israël contrôle 80 % des ressources en eau dans les territoires occupés et extrait également le tiers de ses besoins en eau du Jourdain. 80 % des ressources des nappes phréatiques de la Cisjordanie vont en Israël.

Les disparités entre les économies israélienne et palestinienne sont stupéfiantes. Israël est le 16e pays au monde en terme de revenu (PIB), avant l’Irlande et l’Espagne. L’économie palestinienne quant à elle dégringole. Son volume d’activités a diminué de moitié, juste sur les 3 dernières années. 70 % de ses entreprises ont soit fermé soit réduit fortement leur activité. Le chômage se situe à 67 % à Gaza et à 50 % en Cisjordanie. Plus de la moitié des territoires occupés a besoin d’aide alimentaire en provenance de l’extérieur.

Les causes de cette grave détresse sur le plan économique résident dans les bouclages et les confiscations de terres imposés par l’armée israélienne dans sa soit-disante "lutte contre le terrorisme". Depuis septembre 2000, la pauvreté dans les territoires a gravement empiré - de 20 à 75 % (et plus de 85 % à Gaza).

La campagne militaire israélienne qui a suivi septembre 2000 a tué 2984 personnes dont 500 enfants [chiffres publiés avant le 19 avril 2004, donc avant les derniers massacres à Gaza en mai - N.d.T].

L’opération "bouclier défensif" a causé la perte de 360 millions de dollars, soit presque le double de l’investissement annuel dans l’économie palestinienne. Et selon les estimations d’une conférence des Nations Unies sur le développement, les bouclages et les dommages infligés aux infrastructures par les opérations militaires ont entraîné 2,4 milliards de dollars de perte pour l’économie palestinienne. Les Palestiniens ont également perdu 4 milliards de dollars en rentrées financières.

La création d’Israël était censée réparer une grave injustice historique, laquelle avait atteint son point culminant avec l’holocauste. Mais au contraire, cela a créé une autre catastrophe (la "Nakba"), c’est-à-dire le déracinement et l’expulsion de 800 000 Palestiniens. Israël s’est auto-proclamé "état juif" et par cela même a réduit les Palestiniens qui ont pu rester à l’état de citoyens de seconde zone. En 1967, il a encore occupé la Cisjordanie et Gaza, déplaçant cette fois-là 325 000 personnes.

Récemment, le premier ministre Sharon a proposé un "désengagement" unilatéral de la bande de Gaza. Le plan devrait faire sortir 7500 colons (sur une population palestinienne de 1,5 million d’individus) qui contrôlent 40 % des terres de Gaza. Ce plan a été repoussé dans le cadre d’un référendum interne au parti Likud ce Dimanche [18 avril 2004 - N.d.T].

Personne ne doit pleurer à ce propos... Du point de vue de Sharon, ce désengagement de Gaza n’a rien à voir avec l’accès des Palestiniens à l’indépendance. Au contraire, il vise à se débarrasser d’un "point de fixation" afin de consolider les plus grandes colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, et à empêcher l’émergence d’un état palestinien souverain. Ce plan aurait permis à Sharon de se proclamer "homme de paix", qui sait faire des "concessions".

En réalité, comme le dit l’écrivain israélien Meron Benvenisti, cette sortie de Gaza "lui aurait permis d’améliorer la situation démographique en retirant 1,5 million de Palestiniens du contrôle direct israélien, et donc de réduire le risque que le pays cesse d’être un état juif".

Israël a déjà déclaré qu’il investirait des dizaines de millions de dollars dans les implantations en Cisjordanie. La sortie de Gaza ne signifie aucunement l’intention de céder une quelconque souveraineté sur Gaza. Israël continuerait à contrôler l’espace aérien, les accès par la mer et par la terre, et enverrait des troupes sous le prétexte d’assurer sa propre "sécurité". La déclaration Bush-Sharon du 14 avril va explicitement en ce sens.

Autant donc pour le "désengagement".

"Après cette sortie, Gaza deviendrait une prison république" dit Azmi Bishara, un Palestinien-israélien connu, philosophe et spécialisé en sciences sociales, membre du parlement. "Ceci ne sera en rien un pas vers la résolution de la question de la Palestine basée sur la fin de l’occupation israélienne".

Sharon a temporairement été bloqué par son aile droite [si ce terme a quelque signification quant il est question de Sharon ... N.d.T] à savoir le lobby des colons. Mais il est lui-même responsable de la force de ce lobby. Il n’a eu de cesse de renforcer l’extrémisme sioniste depuis 1977 à travers sa politique agressive de colonisation. Sa stratégie a toujours été : quand une pression s’exerce pour rendre les territoires occupés, répond par une extension de la colonisation ! Depuis sa provocation de Septembre 2000 sur le Haram-al-Sharif, la politique israélinne a pris un tour vicieux, et ses offensives militaires sont devenues féroces.

Le vrai but de Sharon est de confiner la Palestine en un ensemble de Bantoustans sans continuïté territoriale, ni souveraineté ni indépendance. Ceci ne peut s’appliquer que par la mise en pratique d’une sorte d’apartheid, c’est-à-dire par la séparation et par la ségrégation.

Sharon est en train de mettre cela en pratique par :
- le confinement des Palestiniens dans de petites zones (Zone A sous contrôle de l’Autorité palestinienne, Zone B sous sécurité "conjointe"), en tentant de les expulser des zones C qui selon les accords d’Oslo sont sous contrôle total des israéliens
- la soumission à un harcèlement , une obstruction et une punition collective sur le plan économique visant à briser leur volonté
- l’impossibilité de se déplacer en créant 760 points de contrôle (checkpoints) sans compter les blocs de béton, à travers la Cisjordanie et Gaza
- la démolition des habitations des Palestiniens, leur déracinement, et l’imposition d’une ségrégation sur des bases ethniques.

Et c’est dans ce contexte qu’est apparu le "Mur de l’Apartheid" de 700 kilomètres de long.

Il ve protéger les colonies et les insérer "géographiquement" dans Israël. J’ai visité le chantier du Mur à Abu Dis près de Jérusalem. Il coupe littéralement les villages palestiniens en deux, avec d’un côté l’école, et la mosquée et le cimetière de l’autre. Ce mur monstrueux de 2 milliards de dollars n’a rien d’une structure temporaire. Il est destiné à "changer les faits sur le terrain" par une division territoriale irréversible. Le Mur va mettre la société palestinienne en lambeaux.

L’occupation de la Palestine est la pire étape dans l’histoire du colonialisme, et c’est le problème irrésolu du 20e siècle. Il égale à la fois l’Algérie de 1960, le Viet Nam des années 1970 et l’Afrique du Sud des années 80. Combattre cette occupation exige le même type de solidarité internationale. La communauté au niveau international ne va pas trouver facile de bloquer les visées israéliennes, cet état ayant toujours défié de façon crapuleuse les lois internationales. Les Etast-Unis ont été son plus fidèle allié et ne peuvent être considérés comme un partenaire loyal.

Seul un authentique, général et multilatéral mouvement de solidarité peut tansformer les choses. Beaucoup dépendra de l’évolution de la situation en Irak, où l’Empire fait face à sa plus grave crise. Si l’Irak change les rapports de forces au niveau mondial, les Etats-Unis et Israël seront peut-être obligés d’entendre raison.

Praful Bidwai

Praful Bidwai est un écrivain indien parmi les plus publiés. Il appartient au "Nehru Memorial Museum and Library" et a remporté le prix "Sean MacBride 2000" du Bureau International pour la Paix.

19 avril 2004 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.jang.com.pk/thenews/may2...
Traduction : ccippp