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Est-ce l’aéroport Ben Gurion, ou bien l’enfer ?
vendredi 24 août 2007 - Rami Kenazi - IMEMC
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Pour Rami et son frère, Palestiniens américains, passer par Ben Gurion
pour se rendre en Palestine fut 7 heures d’enfer.




Quiconque a voyagé par l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv en Israël sait que c’est une expérience unique. Pour la plupart des Juifs, cette expérience est réconfortante, un accueil rapide et accommodant dans un pays créé et développé pour le peuple juif.

Pour les Palestiniens américains comme pour de nombreux militants soutenant la Palestine occupée, il s’agit d’une expérience tout à fait différente. La plupart de ces voyageurs sont retenus des heures et interrogés à moult reprises ; certains sont fouillés à nu et dans quelques cas (spécialement ces deux dernières années), l’entrée leur est refusée.

Depuis Ramallah où j’écris, je relate ici mon expérience et celle de mon frère à Ben Gurion, il y a tout juste une semaine.

Après un voyage de 15 heures sans dormir depuis New York, nous arrivons à l’aéroport et nous allons directement au guichet de contrôle. Après un court moment d’attente, une jeune femme aimable nous demande nos passeports mais elle devient brusquement revêche après les avoir regardés. Nous sommes priés de nous mettre sur le côté et environ un quart d’heure plus tard, une femme de la sécurité de l’aéroport nous demande de la suivre dans l’une des salles de détention. Etant donné les récits innombrables de harcèlement dont j’ai entendu parler et que j’ai lus avant de venir, je n’étais pas assez bête pour croire que mon voyage par Ben Gurion se passerait comme une balade dans un parc. J’ai pensé d’abord à une attente de 4 heures, avec interrogatoire et une minutieuse fouille au toucher [pat down] par les agents les plus professionnels d’Israël.

Quand nous sommes arrivés dans la première salle de détention, plusieurs agents de la sécurité - des jeunes femmes - nous demandent où nous allons, quel est notre contexte ethnique et notre historique familial, si nous avons de la famille en Israël ou dans les territoires occupés (et si nous comptons rester avec eux), et s’il y a « d’autres choses qu’elles doivent savoir ». Nous sommes ensuite conduits dans une autre salle de détention où attendent quelques autres personnes retenues elles aussi. Au cours des trois heures qui vont suivre, plusieurs officiers femmes de la sécurité viennent dans la salle pour nous questionner, d’autres fois nous sommes appelés dans une autre salle de détention pour d’autres interrogatoires. Une vieille femme noire, africaine, se voit interdite d’entrer dans le pays avec son époux, alors qu’il ne s’agit apparemment que d’une visite innocente à sa famille.

Après 4 heures on est complètement épuisés. A ce moment, on nous dirige vers une grande salle équipée de détecteurs de métaux, d’un générateur à rayon X et d’un distributeur de cafés qui parait inutilisable. Pourtant, essayant de nous prendre à l’amabilité, l’agent de sécurité nous propose une tasse de café. Mais elle y renonce quand elle remarque que la machine est hors service.

Environ toutes les dix minutes, un autre membre de la sécurité de l’aéroport pénètre dans la salle et après 30 minutes, nous sommes emmenés dans une salle du fond, palpés, passés au détecteur de métaux. Une heure plus tard, Sami, qui va se prétendre une grosse légume des Forces de défense israéliennes (FDI) et de la sécurité de l’aéroport, entre dans la salle. Il a apparemment été appelé par la sécurité régulière de l’aéroport en raison de certains « drapeaux rouges » que nous avons levés.

Sami ne semble pas particulièrement ravi de nous voir. Il commence par nos sacs, lesquels ont déjà été contrôlés par chacun des membres de la sécurité de l’aéroport venus précédemment dans la salle. Il prend un air décidé quand il inspecte un livre de mon frère sur le droit des sociétés et s’excite davantage quand il voit qu’il ne trouve pas le Saint-Graal de l’information.

Encore 15 minutes et Sami lève les yeux sur nous et nous dit que « quelque chose manque » ; nous « omettons une partie de l’histoire » et il va découvrir exactement quelle est cette « partie ». Il cherche ce qu’il appelle la « vérité ». Aussi, je lui répète ce que nous avons déjà dit aux autres soldats : nous allons rester d’abord deux nuits à Jérusalem-Est, nous visiterons les lieux saints (voir où l’enfant Jésus est né), Haïfa et Yaffa (les villes dont nos grands-parents ont été expropriés en 1948), Nazareth et Bethléhem. Nous disons la vérité, mais nous oublions gentiment Ramallah, Naplouse, Hébron, Jénine, Dheisheh [camp de réfugiés près de Bethléhem], et d’autres arrêts prévus dans les territoires occupés qui ne rentrent pas dans le tourisme conventionnel. En toute honnêteté, nous avons seulement organisé nos deux premiers jours à Jérusalem-Est, ce qui contrarie de plus en plus Sami.

Sami nous parle franchement, depuis le moment où nous avons été appelés, nous sommes considérés comme des « terroristes » ou des gens qui « préparent des actions terroristes » parce que nous avons menti à la sécurité de l’aéroport sur le but de notre voyage. Pour Sami, est du « terrorisme » et de « l’activité terroriste » le fait de retrouver International Solidarity Movement (ISM), de fonctionner dans des branches « terroristes » de Alternative Information Center (AIC), et de manifester de façon non violente contre le mur d’apartheid dans le village de Bil’in.

Il essaie de nous faire peur en nous menaçant de nous interdire l’entrée. Il se demande maintenant s’il va informer ou non le gouvernement US que nous sommes des terroristes. Il prétend que s’il dit au gouvernement US que nous sommes des terroristes, cela ne fera pas que nous affecter pour le reste de notre vie (c’est-à-dire pour trouver un emploi, prendre un billet d’avion, ou obtenir une carte de crédit), mais que cela va toucher aussi notre famille, actuelle et à venir, de la même manière. L’explication est claire : personne ne voudra croire deux Palestiniens face à un homme respecté des FDI avec 40 ans d’expérience. Alors, je commence à donner mon avis sur ce que peut être ou ne pas être « une activité terroriste », spécialement dans nos projets de voyage, pour lesquels mon frère et moi-même commençons à être peu emballés, projets qui ne semblent pas beaucoup enchanter Sami.

Sami commence par s’occuper de nos téléphones, notant des numéros et posant des questions sur tout ce qui porte un nom arabe, iranien ou juif. Il s’énerve spécialement quand il voit le nom d’un militant juif bien connu qui agit beaucoup dans les territoires occupés dans le téléphone de mon frère. Ironiquement, le numéro indiqué est celui d’un assistant juridique de New York, pas celui du militant réputé, mais Sami ne veut pas en démordre pendant une bonne demi-heure.

Après 90 minutes environ de fortes intimidations, Sami admet que nous ne sommes pas des terroristes. Alors, le bon vieux Sami se calme, mais pas sans d’abord nous dire ce que nous sommes explicitement censés ne pas faire : pas d’ISM, rester à distance des activités d’AIC, et ne pas nous engager en aucune façon dans ce que nous qualifions d’activisme non violent.

A la fin de notre séjour à Ben Gurion, Sami nous informe que nous avons de la chance de l’avoir eu alors qu’il est dans un bon jour. Il devient extrêmement ouvert et franc dans les 30 dernières minutes. Il nous dit qu’il peut ne pas être d’accord avec tout ce qu’il fait et qu’il peut ne pas être d’accord avec la situation politique, mais qu’il est soldat de l’Etat et que son travail est de le servir. Je lui suis reconnaissant de son honnêteté, mais ce type de rationalisation a été utilisé à travers toute l’histoire pour justifier des crimes de guerre et des violations des droits de l’homme sans limite.

Comme notre épreuve de 7 heures prend fin, Sami commence à nous parler de ses histoires personnelles. Je ne suis pas sûr que cela soit vraiment conscient de sa part, mais il nous parle de ses divers groupes d’amis, dont des Arabes, et comment il a eu la vie sauvée 5 fois, et toujours par des Arabes. Il est étonnant de voir comment des gens parmi les plus endurcis deviennent humains et affables en Israël alors que dans le même temps, ils maintiennent leurs murs de discrimination et d’oppression, des murs qui sont finalement recouverts par un autre mur, plus grand, celui de la rationalisation. Pour nous, ce fut 7 heures d’enfer à Ben Gurion. Pour un Palestinien ici, l’occupation est une réalité, chaque jour de l’année.

Rami Kanazi est un poète et écrivain palestinien-américain, installé dans la ville de New York. Il est le co-fondateur de PoeticInjustice.net et rédacteur en chef de l’anthologie de poésie disponible, « Poètes de Palestine ». Il peut être contacté à l’adresse : remroum@gmail.com

27 juillet 2007 - IMEMC - Traduction : JPP