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Hypocrisie européenne
jeudi 2 août 2007 - Saifedean Ammous
Tony Karon.com

Alors que je séjournais à Paris il y a quelques semaines, toutes les fois que j’étais amené à discuter la politique au Moyen-Orient avec qui que ce soit, on me faisait subir les refrains traditionnels de l’anti-américanisme classique : « Ils n’ont aucune culture et traitent le monde comme s’il n’avait aucune culture », « Ils n’ont aucune moralité dans leur politique étrangère », « Ils vont faire la guerre pour le pétrole et l’argent » et ainsi de suite avec autant de stéréotypes simplistes et ineptes.

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Prodi, président du Conseil italien (à d.), recevant avec chaleur le criminel Olmert quelques semaines après la meurtrière guerre d’agression israélienne contre le Liban en juillet 2006

Puis il fallait supporter peu après ce bavardage de Pharisiens : « Nous Européens sommes différents », « Nous voulons que notre politique étrangère soit basée sur un concept de moralité », « Nous essayons de favoriser la justice dans le monde et de réparer le désordre laissé derrière eux par les Américains ». On me sortait alors habituellement quelque chose au sujet de toute l’aide européenne qui va aux Palestiniens comme preuve de la décence des Européens par opposition aux Américains pro-sionistes qui versent des milliards à l’armée criminelle israélienne.

En vérité, la politique européenne en regard de la situation en Palestine est tellement raciste, à courte-vue, contre-productive et hypocrite, qu’elle pourrait passer pour de la politique américaine.

Si on contemple la situation actuelle en Palestine, un observateur verra une occupation israélienne illégale qui s’est développée durant 40 années, combinée avec des colonies mono-ethniques et illégales construites sur des terres palestiniennes volées ; il verra le seul réseau routier de ségrégation ethnique au monde, où beaucoup d’itinéraires peuvent être uniquement empruntés par les juifs. Une barrière de ségrégation déclarée illégale au niveau international entoure les villes palestiniennes et les villages, les coupant non seulement les uns des autres, mais séparant également les fermiers de leurs terres, les enfants de leurs écoles, les patients de leurs hôpitaux et les ouvriers de leurs lieux de travail.

Israël a la main haute sur toutes les possibilités d’accès des Palestiniens vers le monde extérieur, suffoquant non seulement leur libre circulation, mais également leur économie et leur commerce.

Une des armées les plus puissantes au monde, les IDF (forces de défense israéliennes), est régulièrement lâchée sur les populations civiles en Palestine, assassinant des milliers de personnes et tuant des enfants dans une totale impunité. Le gouvernement israélien a comme premier ministre adjoint un fasciste sans complexes qui réclame ouvertement et régulièrement le meurtre de masse et le nettoyage ethnique des Arabes comme solution au conflit.

Israël continue à refuser à des millions de Palestiniens de retourner dans leur maisons d’où ils ont été éthniquement expulsés en 1948, à limiter l’accès à la propriété aux seuls juifs, et à promulguer des lois racistes discriminatoires dans d’innombrables domaines allant du mariage à l’immigration.

Face à cette parodie de justice, quelle est la seule chose que font les Européens ? Exiger des opprimés, c’est-à-dire des Palestiniens, qu’ils ne votent que pour des partis politiques qui « reconnaissent le droit à l’existence d’Israël » comme condition préalable pour se réunir autour d’une table et discuter de ce qu’il faut faire au sujet de toutes ces mascarades.

D’abord considérons que l’idée selon laquelle le Hamas - ou n’importe quel parti politique palestinien sur cette question - reconnaisse le droit d’Israël « à exister » est une idée évidemment sans signification qui semble aussi raisonnable que demander au club du football de Manchester de reconnaître le droit de la Tanzanie « à exister ». Nulle part il est écrit que les états-nations disposent par eux-mêmes d’un « droit à exister ». Ce que signifie « reconnaissance » dans un accord international, c’est ce qui se produit quand les pays échangent des ambassades et établissent des relations diplomatiques.

Nulle part sauf en Palestine n’a jamais été discuté l’idée qu’une entité de non-état reconnaisse un état. De plus, les imbéciles qui répètent avec complaisance ce bobard ignorent qu’Israël tout simplement « ne reconnait pas le juste droit de la Palestine à exister », mais au contraire détruit activement et délibérément toute possibilité qu’un état palestinien puisse jamais voir le jour.

Mais, pour les Européens si supérieurs moralement, la « reconnaissance » d’Israël par le Hamas est la chose qui les tracasse le plus aujourd’hui concernant la Palestine, et non tous les crimes énumérés ci-dessus. Le point important naturellement, n’est pas simplement que c’est une position moralement et logiquement absurde, mais que les actions israéliennes sont à la racine du conflit et non pas de savoir si le Hamas reconnaisse ou non Israël.

Cette reconnaissance ne changerait rien sur le terrain et n’affecterait pas la vie de qui que ce soit et d’aucune façon, au contraire des murs, des colonies, des massacres, des checkpoints et des politiques racistes israéliennes. C’est uniquement quand tout cela cessera qu’il pourra y avoir la paix, indépendamment de savoir si le Hamas « reconnaisse » ou soit disposé « à reconnaître » [Israël].

Tous les crimes mentionnés ci-dessus et commis par Israël constituent des violations claires des règles d’Association à l’Union Européenne (UE) sous lesquelles les voisins de l’Europe obtiennent un accès préférentiel aux marchés européens ainsi que d’autres avantages et facilités. L’EU utilise régulièrement son influence économique et diplomatique pour obtenir de certains pays qu’ils renoncent à des politiques racistes : l’UE rend les questions commerciales dépendantes d’améliorations dans les domaines des droits humains, des conditions de travail et des minorités ; l’UE a rendu l’accession de la Turquie à l’UE dépendante de la situation des droits de l’homme en Turquie, et elle a imposé à l’Autriche de se passer de Jorg Haider dans le gouvernement.

Mais loin de prendre une quelconque mesure pour essayer de faire pression sur Israël pour faire cesser certains de ses crimes en Palestine, l’EU a lâchement choisi de récompenser leurs transgressions avec encore plus de carottes ; Israël continue à jouir des avantages extrêmement généreux dûs à son association avec les pays européens, bon nombre d’entre eux lui vendant d’ailleurs des armes.

L’aspect tragique de la politique européenne en ce qui concerne la Palestine n’est pas simplement aujourd’hui qu’elle est difficile à différencier de la politique des Etats-Unis, mais c’est qu’elle est emballée avec une grande hypocrisie et une croyance inébranlable que c’est non seulement la politique correcte, mais aussi qu’elle est vraiment moralement supérieure à n’importe quoi d’autre. L’aide financière fournie par l’Europe est l’argument principal soutenant cette prétention pleine de suffisance.

Alors que les Européens continuent à ne rien faire pour stopper Israël qui détruit la vie des Palestiniens, ils sortent leurs chéquiers et soulagent leur conscience en versant de l’argent aux Palestiniens. Avant l’élection du mouvement Hamas, cet argent allait directement à la tête d’une Autorité Palestinienne (AP) de plus en plus impopulaire afin de garantir sa survie et un douloureux statu quo. Après l’élection du Hamas, les Européens ont essayé de court-circuiter l’AP en envoyant l’argent par des mécanismes de plus en plus complexes, inefficaces, et souvent contre-productifs.

Voici un petit microcosme de la façon dont cette folie fonctionne : une ville palestinienne a un mur construit l’entourant de tous les côtés, rendant impossible que les fermiers vivant auparavant correctement accèdent à leurs terres, que les malades aillent chez leurs médecins et que les enfants atteignent leurs écoles. Naturellement, la ville est ravagée. C’est alors que les Européens, avec leur volonté de soulager leur conscience et avec leur suffisance, envoient des « experts » pour « apprendre l’économie » à la ville, dans un processus consistant à soulager Israël de l’obligatioin de devoir traiter les conséquences de ses crimes. Ils fournissent aux fermiers de la nourriture, au lieu de faire en sorte qu’ils puissent produire leur propre nourriture, et lancent des projets pour enseigner aux Palestiniens « des industries alternatives », « des nouvelles modèles en affaires », « la bonne gouvernance locale », « le développement participatif », « les techniques éducatives » et d’innombrables autres bavardages dont les Palestiniens se débarasseraient volontiers en échange du mur [d’Apartheid] abattu, d’un état indépendant et d’un minimum de normalité dans leur vie.

Naturellement, ces projets ont une durée de vie limitée ; les financements se tarissent rapidement, les « experts » s’en vont, mais le mur d’Apartheid reste, la vie d’une ville entière est dévastée, et le mirage de l’indépendance palestinienne est encore plus éloigné.

Et le pire de tout : la prochaine fois qu’un infortuné Palestinien comme moi passera par Paris, il sera bombardé avec les récits pontifiants et auto-satisfaits d’innombrables micro-projets de ce genre, et devra manifester en retour sa déférence face à la supériorité écrasante de la moralité européenne.

Cette combinaison de politique criminelle et de généreuse et futile charité est ce que Ann Le More a brillamment disséquée dans son article tout à fait pertinent : Massacrer avec bonté : financer l’abandon d’un état palestinien.

Un pourcentage élevé de citoyens européens dispose d’une bonne compréhension du conflit et souhaiterait voir à l’ ?uvre une meilleure politique et une juste solution. Un nombre incalculable d’Européens passent beaucoup de temps et dépensent beaucoup d’argent en aidant les Palestiniens ; beaucoup sont volontaires pour aller protéger les Palestiniens, protester et témoigner contre l’occupation. Certaines de ces grandes âmes font même partie de mes héros personnels.

Il y a beaucoup d’hommes politiques européens sincères et honnêtes qui se sont opposés à ces politiques. Je ne doute pas de la sincérité de plusieurs de ceux qui veulent véritablement améliorer la vie des Palestiniens, et je leur suis personnellement très reconnaissant. Mais une combinaison d’indifférence de la part de beaucoup de gens et de malhonnêteté de la part des responsables se prosternant devant les Etats-Unis produit cette politique criminelle, et on distribue de l’aide pour tenter d’apaiser ceux qui sont sensiblisés.

Les Européens doivent comprendre que la seule manière d’améliorer les choses n’est pas par la charité, mais par une action politique appropriée, soutenue, et basée sur des principes.

En vérité, l’Europe s’est appuyée sur certains principes et un comportement humaniste dans sa politique étrangère dans beaucoup de pays. Les Européens peuvent octroyer plus d’aide, envoyer plus de soldats de la paix et sponsoriser plus d’accords de paix que les Américains, et ils se sont certainement beaucoup améliorés dans la manière de traiter le reste du monde pendant ces dernières décennies. Mais quoi que fasse l’Europe , sa complicité dans l’horrible oppression imposée aux Palestiniens sabotera toute prétention à une autorité morale. Après tout, vous ne disposez que de la moralité dûe à vos actions.


Par Tony Karon :

- Les illusions de la diplomatie US au Moyen-Orient
- Dahlan, un Pinochet palestinien qui fait son chemin

30 juillet 2007 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://tonykaron.com/2007/07/30/eur...
[Traduction : AIO - Info-palestine.net]