Le Président palestinien Mahmoud Abbas a dissout hier soir le "gouvernement d’unité nationale" et viré son Premier ministre Ismail Haniyeh, après une journée particulièrement sauvage de violence fratricide qui s’est terminée par le contrôle de la Bande de Gaza par le Hamas.
La man ?uvre de M. Abbas, que le Fatah espère qu’elle étayera sa domination sur la Cisjordanie après la quasi défaite totale de ses forces à Gaza, a souligné la séparation croissante des deux territoires palestiniens et provoqué certains analystes israéliens à discuter d’une "solution à trois Etats", impliquant Israël, Gaza et la Cisjordanie.
La radio du Hamas a souligné l’absence de contrôle par M. Abbas sur Gaza en déclarant que la faction avait pris le contrôle de son enceinte présidentielle - un dernier réduit symbolique du pouvoir du Fatah à Gaza.
L’emprise interne du Hamas sur Gaza a été consolidée hier après sa capture du quartier général de la Force de Sécurité Préventive, dominée par le Fatah, de deux autres bases de sécurité et pris le contrôle effectif de la ville méridionale de Rafah. Ces combats sanglants ont coûté la vie à 32 Palestiniens. Trois corps ont été retrouvés à Rafah sous les décombres d’un bâtiment des services de sécurité, contrôlés par le Fatah, qui avait été envahi par le Hamas.
Dans un décret annoncé par l’un de ses assistants supérieurs, Tayeb Abdel Rahim, à Ramallah, et rapidement démenti par les officiels du Hamas à Gaza, M. Abbas a déclaré l’état d’urgence officiel. Il a dit qu’il dissolvait la coalition tristement inefficace Fatah-Hamas négociée par l’Arabie Saoudite il y a trois mois et il a promis de former à sa place un nouveau gouvernement.
Mais c’est la bataille pour le quartier général de la Sécurité Préventive à Gaza-ville qui a été la plus sanglante. Elle a été aussi la plus décisive dans la campagne que le Hamas a menée sans relâche pendant quatre jours pour prendre le contrôle de Gaza. Selon des témoins, cette bataille a commencé, entre autres, dans le sillage des meurtres où plusieurs militants du Fatah furent tirés hors du bâtiment et exécutés dans la rue.
Un peu plus tôt, les images de la télévision avaient montré quelques captifs du Fatah par le Hamas emmenés dans la rue les mains en l’air. Le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zouhri, a nié que des exécutions aient eu lieu et à insisté pour dire : "Quiconque a été tué l’a été dans les affrontements."
Il a ajouté que le groupe islamique avait été forcé d’arracher le contrôle au Fatah parce que les services de sécurité de ce dernier étaient corrompus et généraient le chaos. Mais un officiel du Fatah a dit que le Hamas a abattu sept de ses combattants à l’extérieur du bâtiment et un médecin de l’hôpital de Shifa a dit qu’il avait examiné deux corps qui avaient reçu une balle dans la tête à bout portant.
Ni l’officiel, ni le médecin n’étaient prêts à donner leurs noms de peur des représailles. Un témoin, Amjad, a aussi refusé de donner son nom complet lorsqu’il a raconté à Associated Press, de chez lui : "Ils les exécutent un à un. Ils en transportent un sur leurs épaules, le placent sur une dune de sable, le retournent et tirent."
Au-delà de son rôle de bastion militaire clé, le quartier général a une importance symbolique pour le Hamas et l’assaut sanglant sur cette enceinte semblait être en partie un règlement de compte vieux de plus de dix ans. La Sécurité Préventive fut le fer de lance des fameuses mesures sévères prises par Yasser Arafat contre ses opposants du Hamas, au milieu des années 90. Ce fut aussi dans ce bâtiment que se déroulèrent les interrogatoires, au cours desquels des personnalités du Hamas de l’époque sont présumées avoir été humiliées et torturées par les Forces du Fatah. Parmi celles-ci, il y avait Mahmoud Zahar, qui était, il y a encore quelques mois, le ministre palestinien des affaires étrangères.
Après la prise du bâtiment, des hommes en armes masqués du Hamas ont embrassé le sol au milieu de cris de "Allah Akbar". La Télévision du Hamas a dit que le bâtiment de la Sécurité Préventive serait transformé en collège islamique et elle a montré une pièce pleine de ce que la station a dit être de l’équipement pour l’espionnage électronique.
Cette attaque est arrivée après cinq jours de combats qui ont coûté la vie de 90 Palestiniens et qui a vu les deux camps perpétrer d’autres exécutions sommaires, jetant des opposants des étages élevés de hauts immeubles, détournant des ambulances pour les utiliser comme véhicules militaires et engageant le feu à l’intérieur des enceintes d’hôpitaux.
L’impact terrible de ce conflit sur les 1,5 millions d’habitants de Gaza a été souligné lorsque la Commission Européenne a suspendu ses programmes d’aide à cause de l’escalade de la violence.
Lors d’une émission de télévision en début de journée, M. Haniyeh a réaffirmé sa croyance dans le gouvernement d’unité nationale et il a insisté sur le fait que celui-ci continuerait au "mieux de ses capacités". Il a appelé une nouvelle fois à la libération d’Alan Johnston, le journaliste de la BBC capturé. Et il a fait tout son possible pour contester l’idée qu’un Etat palestinien séparé pourrait être créé à Gaza.
Les dirigeants du Fatah qui ont été accusé par M. Haniyeh de saper le gouvernement d’unité nationale ont subi les critiques des commandants locaux pour s’être absentés de la Bande durant les combats.
En Cisjordanie, les militants du Fatah ont ramassé près de 90 combattants du Hamas au cours du premier de leurs efforts à réaffirmer son autorité, depuis les mesures sévères prise par Arafat en 1996. Issam Abou Bakr, un dirigeant du Fatah de la ville de Naplouse, en Cisjordanie, a déclaré : "Il y a eu une décision prise par les dirigeants des forces de sécurité de poursuivre le Hamas et de les arrêter, avant qu’ils ne pensent ammener la guerre ici."
La quasi défaite du Fatah à Gaza est le signal d’un revers pour la politique menée les Etats-Unis consistant à essayer de renforcer les forces du Fatah avec de l’argent, de l’entraînement et de l’équipement, tout en continuant l’isolation totale du Hamas malgré les signes croissants de tension entre ses ailes politique et militaire.
Tandis que le Fatah semblait prêt à essayer de faire marcher le gouvernement d’unité nationale, le Hamas a prétendu que celui-ci avait échoué à faire lever le boycott international.
Des responsables israéliens ont été cités disant qu’Ehoud Olmert dirait au Président Bush que Gaza et la Cisjordanie devront à présent être traitées différemment et que l’armée aurait besoin de faire appliquer une "politique de séparation" entre les deux entités palestiniennes.
En fait, même dans des temps relativement pacifiques, Gaza a été presque totalement séparée de la Cisjordanie. L’accord détaillé que Condoleeza Rice pensait avoir négocié en novembre 2005 et qui comprenait des provisions pour un "passage sûr" entre Gaza et la Cisjordanie, n’a pas été appliqué. Israël garde le contrôle des postes frontières de Gaza, de ses eaux territoriales et de son espace aérien.
Néanmoins, les allusions israéliennes suggèrent la possibilité d’une politique "donnant la priorité à la Cisjordanie" consistant à essayer de conclure des accords avec M. Abbas et à ignorer Gaza.
En termes de progrès sur un règlement à long-terme, cette approche est paradoxale, parce qu’il y a peu à négocier en ce qui concerne Gaza, qui est entourée par les frontières d’avant 1967 et où il n’y a plus de colonies. Les négociations sur Jérusalem et les frontières entre Israël et la Cisjordanie sont bien plus tendues.
Que sont le Fatah et le Hamas ?
Le Fatah, formé dans les années 50 par Yasser Arafat, a initié un mouvement armé de libération pour essayer de prendre le contrôle de toute la Palestine historique. Mais après avoir finalement reconnu Israël, il a pris part aux accords d’Oslo au début des années 90, dans l’espoir d’une solution à deux Etats dans laquelle Israël abandonnerait le territoire saisi en 1967 pour permettre la constitution d’un Etat Palestinien dans les frontières d’avant 1967.
Le Fatah a géré l’Autorité Palestinienne établie sous Oslo et perdu les élections, en partie parce qu’il était considéré comme inefficace et corrompu et, sans doute, parce qu’il a échoué à réaliser son ambition d’un Etat palestinien. Le Hamas, formé en 1987, était une branche palestinienne des Frères Musulmans, engagés alors - et désormais par sa charte - à établir un Etat islamique sur toute la Palestine historique.
Il a gagné en popularité, à la fois par son engagement à des actions armées contre Israël, à partir de la moitié des années 90, et pour son administration d’un réseau de protection sociale. Les attentats-suicides contre des civils qu’il a menés ont eu pour conséquence de classé ce mouvement comme organisation terroriste par la majorité du monde occidental.
Le Hamas a résolument refusé de reconnaître Israël mais ses porte-parole politiques ont parlé d’une trêve à long terme en échange d’un Etat palestinien sur les frontières d’avant 1967. Ayant remporté les législatives en janvier 2006, il a donc formé le gouvernement.
Comment se fait-il qu’ils se battent entre eux aujourd’hui s’ils sont censés être ensemble dans le gouvernement ?
La rivalité profonde entre les deux groupes, en partie aggravée par le refus d’éléments du Fatah d’accepter les résultats des élections de 2006, s’est déversée en une grave violence, résultant en quelques 160 morts, à la fin de l’année, une éruption supposée avoir été stoppée par l’accord de la Mecque négocié par l’Arabie Saoudite, qui a formé la nouvelle coalition "d’unité nationale". Mais ce fut un mariage forcé, basé sur le désir profond de la population palestinienne de sécurité et sur l’allocation de postes ministériels plutôt que sur un programme politique commun. Et, deuxièmement, il semble que ni Mahmoud Abbas, le Président (Fatah), ni Ismail Haniyeh, le Premier ministre (Hamas), aient été capables d’exercer entièrement le contrôle de leurs forces.
Comment la dernière bataille a-t-elle commencé ?
Bien qu’il y ait eu un grand nombre d’incidents le 8 juin, dont les kidnappings violents de deux personnalités du Hamas par des hommes en armes du Fatah - un garde du corps de M. Haniyeh et un médecin, qui ont été respectivement battus et tué et blessé -, il est quasiment impossible d’identifier l’incident déclencheur.
Un militant du Fatah a aussi été abattu par des hommes armés du Hamas après que ces derniers se plaignirent qu’il ait fait parti de ceux qui ont attaqué les supporters du Hamas à l’extérieur d’une mosquée. Mais tous ces incidents sont plus des éléments déclencheurs que les véritables causes.
Donald Macintyre, Jérusalem - The Independent, le 15 juin 2007 : A triumph for Hamas... but a tragedy for the Palestinians ?
Traduction : Jean-François Goulon, Questions Critiques
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