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Combattre la peur
samedi 9 juin 2007 - Ramzy Baroud - Al Ahram Weekly
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Ramzy Baroud

Je me tiens à la pointe la plus méridionale de l’Afrique, le cap de Bonne Espérance. Les majestueuses montagnes derrière moi incitent à un moment de réflexion spirituelle toute de profondeur et de signification.Devant moi, une scène stupéfiante : ici les eaux hivernales de l’Atlantique rencontrent avec douceur les eaux chaudes de l’Océan Indien. Elles se rencontrent, elles ne se heurtent pas. L’harmonie se fait sans heurts ; la grandeur de ce spectacle incline à l’humilité.

J’avais été invité en Afrique du Sud pour prononcer un discours-programme à la conférence « Al-Nakba » qui se tenait au Cap. Le voyage me conduisit vers d’autres villes. Bien des discours, des présentations, des interviews plus tard, me voilà assis devant un ordinateur emprunté et des pensées éparses. Comment peut-on tirer réflexion de tout cela ? je devrais essayer.

« Où sont les sud-africains noirs ? », telle fut la première question qui me vint à l’esprit alors que la voiture d’un ami me conduisait de l’aéroport Cape Town International à ma destination. Tout en regardant les environs - d’une beauté tapageuse - de l’endroit où j’étais arrivé, je voyais très peu d’indices me confirmant que j’étais en Afrique. Mon ami, cependant, n’eut pas besoin de me répondre : bientôt nous passions en trombe près d’un « camp de squatters » qui ne se comparait ni à un bidonville ni à un camp de réfugiés. Des gens innombrables s’entassaient dans les plus minuscules et les plus sommaires des « maisons », faites à partir de tout ce que ces pauvres gens pouvaient trouver traînant aux alentours. Ce ne sont pas des logements « temporaires » mais des campements permanents. C’est ici qu’ils vivent, se marient, élèvent leurs enfants et meurent.

Pas besoin d’être une grande intelligence pour réaliser que l’Afrique du Sud de l’apartheid existe toujours, d’une certaine manière. Bien des choses ont été réalisées sur la voie de l’égalité des droits depuis que l’ANC, aux côtés des combattants de la liberté et des militants de la société civile ont uni leurs forces pour abattre l’héritage de 350 ans d’oppression, de colonialisme et - depuis 1948 - d’un système officiel d’apartheid ; un système imposé par le gouvernement de la minorité blanche pour confiner ethniquement et assujettir l’écrasante majorité noire.

En vérité, les centaines de bantoustans ou « homelands » dans lesquels les Noirs étaient enfermés, eux qui n’étaient autorisés à entrer ou sortir des zones blanches qu’avec une autorisation spéciale, n’ont plus d’existence officielle. Les « présidents » de ces Bantoustans - marionnettes manipulées par les autorités blanches - sont discrédités depuis longtemps. A présent, les Sud Africains de toute couleur, ethnie ou religion choisissent leurs propres dirigeants au cours d’élections démocratiques qui, plus ou moins, sont le reflet des souhaits de l’ensemble de la population. Mais cela prendra bien plus de 13 ans et de promesses sans nombre pour en finir avec les injustices accumulées au cours des siècles.

En dépit d’un programme intense sur deux semaines, je me suis fixé comme objectif de visiter autant de camps de squatters que possible. J’ai suivi le sentier de l’épuration ethnique qui se produisit dans le District Six du Cap. C’était une traînée de larmes, en quelque sorte une catastrophe « palestinienne ». Mes grands parents, père et mère ont été chassés de leurs domiciles dans des circonstances similaires en Palestine, en 1948. Eux aussi n’étaient pas dignes de vivre au sein du même « rayon géographique » que ceux qui se jugeaient eux-mêmes supérieurs. Ceux qui furent déplacés par force du District Six du Cap ont finalement récupéré leurs terres. Les Palestiniens sont toujours des réfugiés. Il y a bien longtemps que mes grands parents sont morts, ainsi que ma mère. Mon père, un très vieux monsieur, malade, attend le retour dans notre vieille maison d’un camp de réfugiés à Gaza. Il refuse de se rendre, de capituler.

J’ai pris la parole dans un collège technique qui fut construit pour les seuls Blancs à l’endroit même où des milliers de gens de couleur et de Noirs ont été déracinés et éjectés ailleurs, dans un endroit plus discret, plus acceptable au goût des fonctionnaires de l’apartheid. J’ai rendu hommage à ces résistants qui refusèrent d’accepter leur statut d’infériorité, combattirent et moururent pour reconquérir dignité et liberté. J’ai salué mon peuple, qui se tenait solidaire au côté des combattants d’Afrique du Sud.

Dans nos camps de Gaza, nous pleurions pour l’Afrique du Sud et nous avons célébré la libération de Nelson Mandela. Mon père a offert des friandises aux gosses du voisinage. Quand l’évêque Desmond Tutu a visité la Palestine, les colons israéliens l’ont accueilli avec des inscriptions et des chants racistes tout au long des territoires occupés. Pour les Palestiniens, ce fut une insulte personnelle.Tutu est des nôtres, tout comme Che Guevara, Martin Luther King, Malcolm X, Mahatma Gandhi, Ahmed Yassin et Yasser Arafat l’étaient et le restent.

Sur Robin Island, où Mandela et des centaines de ses camarades furent détenus pour nombre d’années, j’ai touché les murs délabrés de la prison. La nourriture y était rationnée sur la base de la couleur de peau. Les Noirs, toujours, étaient ceux qui en recevaient le moins. Mais les prisonniers, malgré tout, défiaient le système carcéral. Ils avaient créé un collectif au sein duquel toute la nourriture reçue était équitablement partagée entre tous.

J’ai déchiré un bout de mon foulard palestinien et je l’ai laissé dans la cellule de Mandela ; ses murs ébréchés, bien que fortifiés, son mince matelas sur le sol témoignent toujours de l’injustice perpétrée par certains et de la foi indéfectible dans leurs principes qu’embrassaient les autres. J’ai visité toutes les cellules des sections A et B, touché chaque mur, lu le nom de chaque détenu : chrétiens, hindouistes, musulmans et bantous étaient tous détenus ici, luttèrent, moururent et finalement gagnèrent ensemble leur liberté. Ils se voyaient tous camarades, les uns pour les autres. L’injustice est aveugle aux couleurs. Comme la vraie camaraderie.

Je n’ai jamais ressenti le sens de la solidarité et de l’acceptation mutuelle comme en Afrique du Sud. C’est la leçon sans égale qu’on retient de ce pays extraordinaire. Il y a bien des choses à résoudre : une véritable égalité à réaliser, mais il y a déjà eu tant de fait. Un combattant vétéran de l’ANC m’a remercié pour les fournitures d’armes et de fonds faites à son unité et à bien d’autres par l’OLP dans les années 70 et 80 ; il me dit qu’il a toujours son uniforme de l’OLP, rangé quelque part dans son petit « foyer » décrépit de l’un des camps de squatters qui entourent la ville. Une façon poignante de rappeler que le combat continue.

Parmi toutes les choses gribouillées sur le mur de clôture à la barrière du cap de Bonne espérance, quelqu’un a pris le temps d ?écrire « Palestine ». Dans le mur de séparation - d’apartheid - érigé par Israël sur la terre palestinienne, le parallèle avec l’Afrique du Sud s’exprime de plus d’une manière. Le combat pour la justice est un, et il le sera toujours.

* L’auteur est un journaliste arabe-américain

Site Internet : www.ramzybaroud.net

Du même auteur : La tragédie palestinienne n’est pas une querelle d’intellectuels mais un problème de décolonisation

24 mai 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/846...
Traduction : Michel Zurbach