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Dans l’enfer de Nahr el-Bared
mercredi 30 mai 2007 - Pierre Beaudet - Alternatives International

L’armée libanaise forte de ses nouveaux approvisionnements états-uniens ressert le n ?ud sur le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared au nord du Liban, officiellement pour en « éradiquer » un groupuscule aux motivations obscures, Fatah-Al Islam. Entre-temps, une grande partie de ses 40 000 habitants est sur la route dans des conditions déplorables. Beaucoup aboutissent à l’autre grand camp palestinien du nord, Badaoui, où ils s’entassent à 10, 20 et 30 dans de micro-maisons déglinguées. Ces réfugiés en ont vu d’autres depuis leur expulsion de la Palestine en 1948. Mais dans le contexte, personne ne diminue la gravité de la crise actuelle.

Les damnés de la terre

Depuis plus de 50 ans, les Palestiniens réfugiés au Liban ont connu bien des malheurs. Au début « abrités » sous des tentes par l’ONU, ils se sont peu à peu retrouvés des dizaines, puis des centaines de milliers, dans l’attente d’une résolution politique. Selon les conventions internationales, les réfugiés déplacés par la guerre ont un droit inaliénable au retour dans leurs terres d’origine. Mais l’État israélien avec l’appui des Etats-Unis nie ce droit. Aujourd’hui, ces réfugiés et leurs descendants sont plus de 400 000 au Liban. Une douzaine de « gros » camps (Sabra et Shatila à Beyrouth, Aïn Héloué à Saida, Rachidiyé au sud) sont autant de bidonvilles où l’infrastructure est totalement inadéquate.

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Le camp de Nahr al-Bared, photographié en 1951 (Ph. Jack Makvo)

D’après l’Agence de l’ONU qui s’occupe des Palestiniens, l’UNWRA, 60% de ces réfugiés vivent sous le seuil de la pauvreté. La législation libanaise leur interdit de travailler dans 72 métiers, notamment la médecine, le droit, l’architecture. Au mieux, ils vivotent de petits métiers. Au-delà des conditions de vie inacceptables, les réfugiés vivent constamment sous la menace. En 1982 lors de l’invasion israélienne, plus de 3 000 civils ont été massacrés à Sabra et Chatila par des milices libanaises alliées à Israël. En 1986, l’armée syrienne qui voulait expulser le leadership palestinien du Liban a organisé une violente « guerre des camps » qui a fait elle aussi des centaines de victimes. Chaque année bon an mal an, des bombardements israéliens, des attaques de diverses factions libanaises et syriennes, des conflits interpalestiniens continuent la ronde de la mort et de la destruction.

Dans la tourmente libanaise

Dans le sillon de la « guerre de trente-trois jours » survenue en juillet 2006, les protagonistes libanais ainsi que leurs alliés internationaux n’ont cessé depuis quelques mois de se préparer à de nouveaux affrontements. Sur le plan intérieur, le gouvernement libanais et en particulier son « maillon fort », le clan de Saad al-Hariri, cherchent à consolider l’alliance avec les Etats-Unis et à refouler l’opposition dont le chef de file est Hezbollah. Le « petit problème » de M. Hariri est qu’Hezbollah est sorti passablement renforcé de sa victoire contre l’armée israélienne l’été dernier. De facto, le pays est pratiquement divisé en deux. Le gouvernement et le clan Hariri résistent aux appels de l’opposition pour mettre en place un gouvernement d’unité nationale.

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Des réfugiés palestiniens fuient le camp de Nahr al-Bared.

Quant à Hezbollah, en dépit d’immenses manifestations, il ne réussit pas à forcer le jeu. Une impasse politique donc, ou, pourrait-on dire, une partie remise. Dans un tel bras de fer, il arrive souvent au Liban que le conflit éclate sur le dos des Palestiniens qui sont vulnérables et parfois instrumentalisés. D’où les doutes portés sur Fatah Al-Islam. On sait en effet, par les médias libanais qu’Hariri est en contact avec ce groupe qui se présente « sunnite » et « intégriste », Parallèlement, Hariri développe ses propres appareils de sécurité, en dehors de ceux de l’État, tels ces mystérieux Jihaz al-Ma’alumat. Selon le professeur de l’Université américaine de Beyrouth, Ahmed Moussalli, Hariri a financé des intégristes sunnites pour en faire des alliés contre Hezbollah. Ainsi en 2005, il a payé la caution de $48 000 dollars pour quatre membres d’un autre groupuscule islamiste (Dinniyeh), qui étaient accusés de sédition.

Le virage américain

Le drame actuel se joue cependant à un autre niveau. Confrontés à leurs échecs en Irak et devant l’incapacité de leurs alliés israéliens de venir à bout de l’opposition libanaise, Bush et son équipe seraient en train, selon le réputé journaliste Seymour Hersh, d’infléchir la stratégie de la « guerre sans fin » entamée depuis 2001. Dans une récente enquête publiée par le magazine New Yorker, Hersh affirme que Washington a décidé de concentrer ses efforts contre l’Iran et contre ce qui est appelé par l’administration Bush « l’arc chi’ite ». Ceci implique une politique de rapprochement et d’accommodement avec l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte, en tant que principaux gouvernements « sunnites » de la région et même éventuellement, avec des factions sunnites en Irak, en Syrie et au Liban.

D’une part selon Hersh, Bush accepte qu’il ne peut plus gagner sa guerre « contre tout le monde » et que, realpolitik oblige, il faut se trouver des alliés selon le bon vieux principe que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », comme cela avait été fait à l’époque de la guerre en Afghanistan contre les Soviétiques.

D’autre part, l’Iran et ses alliés comme Hezbollah représentent une menace potentielle encore plus grande que les autres, estiment les stratèges de Washington, compte tenu de leurs capacités militaires et également des appuis populaires croissants qu’ils reçoivent en tant que forces capables de tenir tête aux dictats états-uniens et israéliens. Si Hersh a raison, le conflit dans le nord du Liban prendrait un sens encore plus sinistre.

Agenda plus ou moins caché.

Les Palestiniens au Liban pourraient être la première victime de ce réalignement. Selon As’ad Abukhalil, un journaliste palestinien qui anime un site internet très populaire (Electronic Intifada), Fatah Al-Islam est tout désigné pour faire éclater la guerre contre un ennemi imaginaire et faible. « Ce sont des combattants qui viennent de l’extérieur et qui n’ont pratiquement aucun lien avec la population de Nahr el-Bared. Leur combat contre l’armée libanaise est dérisoire et vise à rehausser l’image de cette armée qui n’est pas capable de défendre le pays lorsqu’il est réellement agressé. Comme durant l’été dernier lorsque c’est Hezbollah, et non l’armée, qui a résisté aux Israéliens ». Une semaine avant le début des combats au nord, le sous-secrétaire d’État américain, David Welch, était à Beyrouth pour rencontrer le commandant en chef de l’armée libanaise.

Toute la presse libanaise a souligné cette rencontre extraordinaire dont rien n’a réellement filtré bien que l’on soupçonne les Etats-Unis de demander aux Libanais ce que les Israéliens n’ont pu réussir jusqu’à présent. Abukhalil estime que l’objectif de Washington est d’inciter le gouvernement libanais à déclencher une guerre globale contre les camps palestiniens, en utilisant Fatah Al-Islam dans un premier temps, puis en visant l’ensemble des organisations palestiniennes légitimes dans un deuxième temps. Il n’exclut cependant pas une double manipulation, comme on le voit souvent au Liban, d’une part par les Etats-Unis, d’autre part par la Syrie qui peut également jeter de l’huile sur le feu quand elle pense ainsi défendre ses intérêts. De toutes les manières, le Liban et en particulier les réfugiés palestiniens sont devant une autre grande crise.

Pierre Beaudet - Alternatives International, le 30 mai 2007

Lire aussi :
- de Seymour Hersh : Iran-Irak : la volte-face des Etats-Unis
- d’As’ad Abukhalil : Entretien avec l’Arabe en colère
- de Nidal (Loubnan ya Loubnan) : Les Hariri financent « al-Qaida », mais c’est pour la bonne cause

...et de Mouna Naïm : "Le Fatah Al-Islam a ruiné nos vies"