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Fidel Castro dans son contexte
samedi 3 décembre 2016 - Belen Fernandez
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Fidel Castro Ruz - Photo : Archives

En 2006, Fidel Castro, le leader révolutionnaire cubain, qui vient de décéder à l’âge de 90 ans, aurait été l’objet de pas moins de 638 complots d’assassinats par la CIA.

Le journal The Guardian note que ceux-ci allaient du bombardement banal et des projets de tirs à vue à des propositions plus ridicules, comme celui impliquant "un costume de plongée préparé spécialement pour lui qui serait infecté par un champignon qui causerait une maladie chronique et des maladies débilitantes de la peau".

À première vue, bien sûr, il peut sembler étrange et démesuré qu’une superpuissance modiale se soit livré à des efforts névrotiques pendant plus d’un demi-siècle pour se débarrasser du premier dirigeant d’une nation insulaire plus petite que l’état américain de Pennsylvanie.

Mais était-il vraiment juste question de névrose ? Après le triomphe de la révolution cubaine en 1959, l’establishment politique des États-Unis a tout fait pour présenter ce pays non seulement comme un désastre idéologique, mais aussi comme un bastion du mal et une menace existentielle.

En 1960, le sénateur John F Kennedy parlait de Cuba comme d’une "menace communiste" qui met en péril "la sécurité de tout l’hémisphère occidental" et se posait la question de savoir "comment le rideau de fer avait pu avancer presque jusque dans notre cour".

Jusqu’à la fin de l’année 2002 - plus d’une décennie après l’effondrement de l’Union soviétique - les États-Unis ont placé Cuba parmi les trois nouveaux ajouts à l’axe du mal basé sur sa soit-disant recherche (un soupçon hallucinant) d’armes de masse destruction.

Cependant, la campagne pour diaboliser Castro en l’associant à des scénarios apocalyptiques, ne tient pas compte du fait que les États-Unis sont en première ligne quand il s’agit de menaces existentielles - c’est-à-dire leurs menaces à la vie même, comme nous le savons bien.

La crise des missiles cubains, par exemple, est consignée dans la propagande officielle américaine comme le moment où les Soviétiques ont mis le monde au bord de la guerre nucléaire en installant des missiles balistiques à Cuba.

En réalité, l’installation de ces missiles a retardé l’installation en Turquie de missiles nucléaires américains Jupiter dirigés vers l’Union soviétique, et dans le cadre d’une campagne terroriste américaine sponsorisée par le président Kennedy contre Cuba, les missiles soviétiques constituaient le seul moyen de dissuasion contre une invasion pour renverser Castro.

De plus, comme l’a expliqué Noam Chomsky, les États-Unis ont rejeté les offres justes et raisonnables de Nikita Khrouchtchev, le dirigeant soviétique, pour désamorcer la crise des missiles, préférant apparemment jouer avec le destin de l’humanité.

En ce qui concerne le double standard par lequel les États-Unis jugent leurs propres missiles contre les missiles du reste du monde, Chomsky commente avec sarcasme : "Une force de missile américaine beaucoup plus puissante, formée contre l’ennemi soviétique beaucoup plus faible et plus vulnérable, ne peut être considérée comme une menace pour la paix, car nous sommes bons, comme beaucoup de gens dans l’hémisphère occidental et au-delà pourraient en témoigner - avec parmi beaucoup d’autres, les victimes de la guerre terroriste que les États-Unis menaient alors contre Cuba".

Se libérer de l’emprise du capital

Dans son discours de 1960, Kennedy se plaignait que Castro ait "confisqué plus d’un milliard de dollars de biens américains" - un clin d’œil aux motifs financiers derrière la diabolisation de l’homme qui avait renversé la dictature oppressive et favorable aux entreprises étrangères de Fulgencio Batista.

Bien sûr, il ne fallait pas espérer que le gouvernement des États-Unis reconnaisse que sa préoccupation principale à propos de Cuba est la liberté pour le capital américain. Ainsi s’est répandu un euphémisme trompeur : ce dont les États-Unis se soucient à Cuba, nous a-t-on répété à maintes reprises, c’est "la liberté pour le peuple cubain".

La rumeur diffusée par les États-Unis à propos des <prisonniers politiques cubains et du manque de liberté de la presse et d’expression, devient nécessairement moins convaincante à la lumière de l’histoire criminelle des États-Unis contre les personnalités anti-establishment et de leurs efforts pour institutionnaliser la censure, comme dans les cas de Manning et Edward Snowden.

La pure malveillance de l’alibi de la liberté cubaine est encore soulignée par le fait que les États-Unis occupent une partie du territoire cubain où ils gèrent une prison illégale vouée à la détention, à la torture, à l’alimentation forcée et à l’annihilation des libertés de divers prisonniers non cubains.

Certes, le Cuba de Castro n’a jamais été un parangon de liberté d’expression ou de droits connexes. Quand j’ai visité ce pays durant tout un mois en 2006, certains des détracteurs du gouvernement avec qui j’ai parlé ne prononçaient le nom de Castro que dans un murmure. Mais d’autres n’avaient aucun scrupule à faire connaître leurs plaintes à grand volume, comme des gens de la famille de mon père dans la province orientale de Granma, qui prétendaient que Castro était personnellement responsable de leur incapacité à réarranger leur salle de bain depuis 1962...

Pourtant, si Cuba ne se qualifie pas comme une société objectivement libre, il est important de rappeler que les restrictions à la liberté à Cuba ne surgissent pas du vide, mais bien dans une île sous la menace qui est pour la durée de son histoire contemporaine, restée fixée dans les réticules impérialistes.

Compte tenu des efforts ininterrompus des États-Unis pour renverser le régime de Castro et le système politique qu’il représentait avec l’aide d’exilés cubains fanatiques adeptes du terrorisme et du sabotage, la paranoïa d’État n’a peut-être pas été sans fondements. Les mesures de sécurité répressives qui en ont découlé peuvent donc être considérées comme réactives et le résultat de la politique vindicative des États-Unis.

Le véritable danger

Il y a cependant de nombreuses libertés à Cuba que Castro n’a pas supprimées, au contraire. Il y a beaucoup à dire, par exemple, sur la liberté d’exister sans avoir à se préoccuper de l’accès à la nourriture, au logement, aux soins de santé et à l’éducation.

Dans un article de 2010 sur le système de santé de Cuba pour le journal britannique The Independent, Nina Lakhani l’a décrit comment un "modèle holistique axé sur la prévention ... qui a aidé Cuba à réaliser certaines des améliorations sanitaires les plus enviables au monde".

Malgré le fait de ne dépenser qu’une infime fraction de ce que les États-Unis dépensaient alors par personne, Cuba avait un taux de mortalité infantile inférieur à celui de son voisin du Nord - sans parler de l’un des ratios les plus élevés dans le monde de médecins par habitant.

En plus de faire la promotion de la vision fondamentalement anti-humaine des soins de santé comme d’un produit à but lucratif, les États-Unis sont également réputés pour des choses telles que ses sans-logis, une violence et un taux d’incarcération disproportionnés pour les Noirs, un enseignement supérieur qui attire les étudiants par un système d’endettement débilitant, et des écoles élémentaires qui confisquent et jettent les déjeuners des enfants quand leurs parents sont en retard pour les paiements des repas.

Que Cuba soit capable d’assurer gratuitement les nécessités de base de la vie est en quelque sorte la preuve que des programmes efficaces sont possibles quand une nation ne dépense pas des trilliards de dollars dans des guerres dévastatrices.

Au lieu d’exporter une catastrophe, le Cuba de Castro s’est concentré sur l’exportation de médecins. Le New York Times a rapporté en 2009 que "dans les 50 années qui ont suivi la révolution, Cuba a envoyé plus de 185 000 professionnels de la santé en mission médicale dans au moins 103 pays".

Un médecin cubain employé dans une clinique de santé gratuite au Venezuela m’a fait une remarque à propos de l’écart entre les politiques étrangères américaine et cubaine : "Nous luttons aussi dans les zones de guerre, mais pour sauver des vies".

Ces réalisations sont d’autant plus remarquables qu’elles se sont déployées dans un contexte marqué par des prédations impériales, un embargo économique sévère et des initiatives hystériques et belligérantes de la foule des exilés cubains installés en Floride, à 160 kilomètres de la côte cubaine.

C’est dans ce contexte que l’héritage de Fidel doit être analysé. Et c’est ce contexte qui lui donne toute légitimité comme symbole de la résistance contre l’hégémonie.

Malgré les railleries tonitruantes au cours des décennies au sujet de la menace cubaine, Castro n’a jamais posé une menace physique aux États-Unis. Au contraire, le danger réside toujours dans l’exemple qu’il a donné, qui prouve la possibilité de contester le monopole pernicieux et auto-déclaré des États-Unis sur l’existence humaine.

Fidel Castro mérite que l’on se souvienne de lui comme d’un héros.

* Belen Fernandez est l’auteur de The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine.
Il est possible de la suivre sur Twitter : @MariaBelen_Fdez

26 novembre 2015 - Al-Jazeera - Traduction : Chronique de Palestine