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Allemagne : le BDS a changé la donne !
dimanche 7 août 2016 - Christophe Glanz
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Des manifestants solidaires de la Palestine perturbent une parade lors du Christopher Street Day (CSD) à Berlin, le 25 juillet 2016 - Photo : Junge Welt/Florian Boillot

Dans les années 1990, je vivais depuis deux ans en Israël où je m’étais proposé dans un centre pour les adultes ayant des besoins spéciaux. Cela faisait partie de mon Zivildienst allemand - un substitut civil pour les objecteurs de conscience au service militaire alors obligatoire. J’étais ce que je considère maintenant un naïf, bien que bien intentionné, et sioniste libéral.

Ce ne fut qu’après avoir lu le livre d’Ilan Pappe publié en 2006, Le nettoyage ethnique de la Palestine que je compris que la création d’Israël avait impliqué l’expulsion de 750 000 Palestiniens autochtones.

La chancelière Angela Merkel a déclaré que la « sécurité d’Israël fait partie de la raison d’État de l’Allemagne. » Tous les gouvernements allemands depuis la Seconde Guerre mondiale ont suivi une ligne similaire.

L’Allemagne fournit Israël avec des sous-marins haut de gamme prêts à être équipés des ogives nucléaires pas si secrètes d’Israël. Récemment, des documents ont été publiés suggérant fortement que l’Allemagne a également financé le programme nucléaire d’Israël depuis le début.

Konrad Adenauer, premier chancelier de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, aurait canalisé d’énormes quantités de deutschemarks dans le programme d’armes nucléaires d’Israël.

« Anti-Allemands »

En Allemagne, l’activisme pour les droits des Palestiniens a été largement ignoré pendant des décennies. Les manifestations, les conférences, les brochures, les livres mettant en évidence la situation palestinienne... tous ont été poussés sous le tapis.

L’appel palestinien pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions - ou BDS - a totalement changé les règles du jeu à cet égard.

L’année dernière, dans la ville où j’habite actuellement de Oldenburg, je participais à une manifestation en faveur des réfugiés et d’une société plus ouverte. La foule de plusieurs milliers de personnes était suivie par environ 120 de prétendus anarchistes du courant ainsi-nommé anti-Allemands qui brandissaient des drapeaux israéliens.

Quand ils ont remarqué que je les photographiais, ils ont commencé à crier mon nom et à m’injurier. Je n’ai pas voulu bouger et je leur ai crié de rester à distance - en hébreu.

Trois d’entre eux ont commencé à me bousculer. Ensuite, quelqu’un a fini par m’entraîner loin en arrière ; c’était un agent de police qui a vérifié ma carte d’identité alors que les « anti-Allemands » continuait à défiler sans encombre.

Ces « anti-Allemands » (en fait « ultra-Allemands » parce qu’ils sont ultra-nationalistes tout en imitant le discours de gauche) mirent ma photo en ligne et ont voulu donner l’impression que c’était moi qui les avait attaqués.

Calomnie

Ces anti-fascistes supposés agitant le symbole d’un état d’occupation quasi-fasciste, étaient protégés par la police de la personne qui se tenait debout face à eux.

Alors que les ultra-Allemands sont un phénomène extrême, les politiciens traditionnels ne valent guère mieux. Die Linke, (le « parti de gauche »), pratique un double jeu sur cette question de la Palestine.

Bien que plusieurs des principes de base du parti devraient le placer dans le camp pro-palestinien, les échelons supérieurs du parti sont avides de pouvoir. Ils sont bien conscients que leur parti sera jugé apte pour le gouvernement qu’à la condition de prendre en charge presque sans conditions les crimes d’Israël.

En novembre 2015, je fus invité par le Jüdisch-Palästinensische Dialoggruppe München (groupe de dialogue judéo-palestinien) pour donner une conférence à Munich. Je devais parler sur les principes et les exigences de base du mouvement BDS.

La conférence a été attaquée avant même qu’elle ait eu lieu. Benjamin Weinthal, journaliste au Jerusalem Post et chercheur à la Fondation pour la Défense des Démocraties, a démarré la campagne avec un article diffamant les militants de la solidarité avec la Palestine en Allemagne.

Lui et son interlocuteur, Charlotte Knobloch, un pro-israélien et lobbyiste chevronné, ont comparé le BDS au slogan de la période nazie : « N’achetez pas à des Juifs ! » Il y avait une manifestation non autorisée - quelque chose de rare en Allemagne - en face du lieu de la conférence avec 30 à 40 sionistes agitant des drapeaux israéliens.

Dans les premières minutes de mon exposé, je comptais 49 interruptions du public, en particulier un groupe de sionistes assis aux premiers rangs. Plus tard, quelqu’un m’a crié à plusieurs reprises : « Goebbels ! »

A un moment, ils ont imposé l’arrêt de la conférence et 90%de l’auditoire était levée de son siège. Beaucoup criaient des insultes, d’autres appelant à ce que la conférence se poursuive. Enfin, les sionistes ont sorti des drapeaux israéliens et les ont agité agressivement aux visages des militants pro-palestiniens.

Je réussis, cependant, à expliquer la cause palestinienne et à faire passer quelques messages.

Cet événement s’est vu attribuer plus tard une « mention déshonorante » par le Centre Simon Wiesenthal. Selon ce groupe pro-israélien, il était parmi les pires événements antisémites en 2015.

Le Centre Wiesenthal n’a cité aucune preuve de ces allégations. Il n’a pas cité mes prétendues déclarations - ce qui serait difficile parce que je n’ai jamais dit quoi que ce soit d’antisémite dans ma vie. Bien au contraire, j’ai un dossier anti-raciste bien fourni qui inclut naturellement la lutte contre l’antisémitisme. Cette calomnie joue un rôle important comme « preuve » qui facilite encore plus de calomnie et vise à faire taire les militants.

Le 8 juin de cette année, je devais prendre la parole sur la campagne BDS dans une petite salle de l’ESG, un groupe d’étudiants de religion protestante et étroitement lié à l’Université d’Oldenburg. L’ESG a été immédiatement englouti dans une tempête de controverses : des dizaines de personnes, y compris des conférenciers et des représentants des étudiants, ont invité à annuler mon intervention qualifiée de « propagande du Hamas. »

Menaces

Sara Rihl, une politicienne social-démocrate locale et membre étudiant du conseil de l’Université, est allée jusqu’à m’appeler un « anti-sémite connu » travailler pour une « organisation anti-sémite » - citant les mensonges du Centre Wiesenthal comme étant sa source.

L’ESG a succombé à cette propagande et a annulé mon intervention, sans même me donner la possibilité de répondre aux accusations. Je sais par des initiés que l’ESG a reçu des menaces affirmant que sa petite communauté pourrait « en subir les conséquences » si mon discours était maintenu.

L’ESG a ignoré les messages de soutien, y compris de Rolf Verleger, un ancien membre du Conseil central des Juifs allemands qui est maintenant impliqué dans l’organisation Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East (Voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient).

J’ai immédiatement pris l’initiative d’inviter Ronnie Barkan du groupe israélien Boycott from within afin de donner une conférence sur le mouvement BDS à Oldenburg le 18 mai - trois semaines avant la date où mon discours devait être donné. J’ai réservé une salle pour la conférence dans un centre culturel appartenant à la municipalité.

Seulement cinq jours avant l’événement prévu, la municipalité a annulé le contrat que j’avais signé lors de la réservation de la salle à cause de « problèmes de sécurité. »

Nous avons déposé un recours pour forcer la municipalité à revenir sur sa décision, mais il a été rejeté par le tribunal en raison d’une erreur de procédure mineure de notre part.

Ronnie Barkan et moi-même sommes ensuite allés à la police pour annoncer une manifestation publique. Nous avons été accueillis par un nombre impressionnant de fonctionnaires : en plus de représentants de la police et de l’administration municipale, une personne s’est présentée comme étant de la Staatsschutz - une force « de sécurité de l’État » traitant des crimes politiquement motivés.

Apparemment, les anti-Allemands avaient menacé de perturber violemment l’événement. La police nous a dit que « bien sûr » notre rassemblement ne serait pas interdit, mais que nous aurions à en subir les conséquences : une confrontation avec une foule violente de 100 à 150 anti-Allemands.

Nous avons fait valoir en vain que l’événement d’origine aurait pu simplement été protégé par la police. Nous étions à présent accusés accusé d’incitation à la violence alors qu’en réalité, nous étions menacés par des attaquants potentiels dont les identités étaient connues.

Au vu des éventualités et comme la police était susceptible d’annuler le rassemblement une fois qu’il aurait commencé, j’ai retiré notre demande. Avec le recul, je pense que ce fut une erreur et j’en prends l’entière responsabilité.

Par la suite, il nous a été dit par un initié que le chef local de la Société d’amitié Allemagne-Israël avait rencontré le maire de Oldenburg et exigé l’annulation de l’intervention de Barkan.

Après le refus du maire qui s’appuyait sur la légalité de la location de la salle, les anti-Allemands ont lancé leurs menaces et la police a demandé à la municipalité d’annuler la conférence. Placer la faute sur notre groupe est un cas classique de « blâmer la victime. »

Ironie du sort, les combattants autoproclamés contre l’antisémitisme ont réussi à faire taire un militant juif israélien en empêchant le discours de Ronnie Barkan.

Le 14 juin, le tribunal de district d’Oldenburg a ordonné à Sara Rihl de ne pas répéter ses propos diffamatoires à mon propos. Riya Hassan, coordinateur européen du Comité national palestinien du BDS (BNC), a parlé de la décision comme « d’un coup sérieux à la guerre répressive d’Israël contre le mouvement BDS. »

Hassan a exhorté le gouvernement allemand à préciser que les activités BDS devraient être protégés comme une forme de liberté d’expression. La Suède, l’Irlande et les Pays-Bas ont récemment publié des déclarations à cet effet.

Néanmoins, Rihl a affirmé que la décision du tribunal était injuste parce que le tribunal n’avait pas accepté de reporter la date de l’audience en raison de sa (présumée) maladie. La réalité, cependant, est qu’elle n’a même pas été appelée à comparaître devant le tribunal. C’est son avocat qui ne s’est pas présenté à l’audience et qui n’a pas fourni la moindre explication sur cette absence.

Rihl a annoncé sur les médias sociaux qu’elle allait faire appel de la décision du tribunal, ce qu’elle a fait le dernier jour avant l’expiration de la date limite. L’appel lancé par son avocat est uniquement basé sur des points techniques et vise à prolonger le délai imparti.

En fait, la tactique employée est assez déroutante, car il n’y a aucune indication que ce soit au sujet de n’importe que élément à décharge que son avocat pourrait apporter.

Le même jour où Rihl a déposé son appel, son avocat a reçu une lettre du mien exigeant que Rihl signe une déclaration de soumission (en allemand Unterwerfungserklärung). C’est essentiellement une annonce publique que l’on reconnaît pleinement le jugement (précité) et ses conséquences.

La date limite pour la déclaration de soumission sera passée le 15 août. Si elle refuse de signer la déclaration, nous allons porter l’affaire devant la cour d’appel.

Aller à la cour d’appel va nous permettre de contester les fausses accusations de Rihl encore plus efficacement. Il n’y aura pas d’échappatoire pour elle et il sera d’autant plus clair que le tribunal considère sa défense comme viciée sur le fond et non pas sur des détails techniques.

Comme nos actions publiques et juridiques l’indiquent, il n’est plus possible de mettre la solidarité pour les droits des Palestiniens sous le tapis en Allemagne. Des dizaines d’amis, collègues et étrangers m’ont contacté pour dénoncer ces attaques contre la liberté d’expression, exprimer leur intérêt pour la cause palestinienne et demander à en savoir plus.

Un nouveau réseau local avec de solides liens internationaux est en cours d’élaboration.

Et tandis que les partisans d’Israël font de leur mieux pour contrecarrer notre militantisme, il me semble que leurs efforts sont vains sur le long terme. Alors que l’État d’Israël a des chars et des armes à feu, et les plus puissants gouvernements de la planète de son côté, les Palestiniens ont l’Histoire avec eux. Comme Victor Hugo l’avait dit : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. »

Le BDS est une telle idée. Et son temps est en effet venu - même en Allemagne.

Je crois que cela fait partie intégrante de ce que nous, en tant que militants de la solidarité, pouvons et devons faire pour soutenir la cause palestinienne depuis l’extérieur : utiliser notre situation privilégiée pour le plus grand bien et mettre à nue l’infrastructure et les mécanismes des propagandistes sionistes afin d’être en mesure de lutter contre eux plus efficacement.

C’est un honneur d’être solidaires avec mes frères sœurs palestiniens dans leur lutte pour la justice.

* Christoph Glanz est un militant et professeur, connu aussi sous le nom de Christoph Ben Kushka. Il vit à Oldenburg, en Allemagne.

6 août 2016 - The Electronic Intifada - Traduction : Info-Palestine - Lotfallah