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Il faut se rendre en Palestine !
dimanche 29 mai 2016 - Une interview de Chloé
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Scène de rue à Hébron. Les filets en métal sont là pour protéger les habitants palestiniens des immondices lancés de plus haut par les colons juifs, qui empoisonnent littéralement la vie de la population - Photo : CI

Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous dire quelles études vous faites ?

Bonjour, je m’appelle Chloé et j’ai 22 ans. J’habite en Belgique et je suis en dernière année d’ergothérapie. C’est une profession qui permet de prévenir, réduire ou supprimer les situations de handicap en tenant compte des habitudes de vie des personnes ainsi que de leur environnement. Notre objectif est de lutter contre les effets de la maladie ou de la situation du handicap afin de maintenir l’autonomie et l’indépendance du patient.

L’ergothérapeute peut créer des orthèses et conseiller des aides techniques afin de pallier les incapacités de la personne. Il intervient aussi dans l’aménagement du domicile suite à une maladie ou un accident.

Vous revenez d’un stage dans un hôpital de Bethléem. Pourquoi Bethléem ?

En troisième année nous avons la possibilité de faire un stage à l’étranger. Mon école a des conventions avec l’Espagne, le Maroc et la Palestine. J’avais donc le choix.

Je connais le Maroc et l’Espagne, mais la raison pour laquelle j’ai choisi la Palestine est que je voulais voir comment se débrouillent des gens qui ont peu de moyens, et aussi parce que j’ai grandi dans une famille de militants pour la cause palestinienne, et que je m’intéresse au conflit israélo-palestinien.

Les partenariats fonctionnent aussi dans l’autre sens, des infirmiers de l’hôpital de Beit Jala viennent se spécialiser en Belgique.

Comment s’y rend-on, les formalités ont-elles été faciles ?

A l’entrée en Israël, à l’aéroport de Tel Aviv, lors du contrôle des papiers on m’a juste demandé ce que je venais faire ici et j’ai répondu comme on nous l’avait préconisé que le but de notre voyage était un stage obligatoire à l’hôpital chrétien, et non pas palestinien, de Bethléem. Ils n’ont pas fait d’histoires.

Lors du voyage retour, j’ai été questionnée sur mon nom, qui est d’origine algérienne. Mon passeport est passé de mains en mains, le tout a duré environ une dizaine de minutes, mais au total nous avons été retenus trois heures et avons bien failli rater notre avion, parce qu’un membre du groupe avait un drapeau palestinien dans ses bagages.

Les bagages ont été fouillés de fond en comble, nos ordinateurs inspectés, nous-mêmes avons été fouillés au corps. L’une de mes copines qui avait franchi le contrôle des papiers mais sans être fouillée a été rappelée car « elle aurait pu avoir caché une bombe dans son petit foulard. »

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Un appel au boycott de l’état sioniste - Photo : CI

Le personnel de sécurité nous parlait en anglais, très vite, et si nous ne comprenions pas, ils s’énervaient. Ils se parlaient aussi entre eux en hébreu, ce que nous ne pouvions comprendre. Ils se sont montrés extrêmement désagréables. Au bout de trois heures ils nous ont laissés partir, il restait cinq minutes avant le décollage de l’avion, nous avons dû courir et les portes allaient se fermer lorsque nous y sommes arrivés.

Nous avons ensuite trouvé un petit mot dans nos bagages justifiant les fouilles, disant qu’elles étaient autorisées par la loi.

A titre de comparaison, pour se rendre en Europe, les Palestiniens doivent prendre l’avion en Jordanie, ce qui rajoute à leur voyage un trajet de dix heures en voiture, alors que l’aéroport de Tel Aviv se trouve à une heure de route, mais ils ne peuvent s’y rendre.

Comment avez-vous été accueillis ?

Nous avons reçu un accueil très chaleureux, les Palestiniens adorent rencontrer des Européens, échanger des infos, des idées. Nous prenions nos repas tous ensemble avec le personnel du service, nous mangions à la même table que les médecins, ils ne font pas de différence. Ils sont très spontanés et hyper généreux.

Nous avons été invités dans les familles, nous avons fait des photos avec les familles. A la fin du stage ils ont organisé pour nous une soirée d’adieu avec un gâteau et des chansons en français.

Bethléem est dans la zone A de Cisjordanie, théoriquement sous contrôle total de l’Autorité Palestinienne, une présence israélienne y est-elle néanmoins perceptible ?

A part les soldats aux check points, je n’ai pas ressenti la présence israélienne à Bethléem. Mais j’ai été choquée par le nombre de soldats à Jérusalem, il y en a partout, devant les portes de la ville, en haut dans des ouvertures des murs, armés, l’arme pointée. A la périphérie de Bethléem, des colonies sont en voie de construction.

Le mur de séparation passe aussi par Bethléem. Il est excessivement haut, surmonté de barbelés et très impressionnant. Ce mur est recouvert de tags du côté palestinien.

Il y a trois camps de réfugiés à Hébron et plusieurs à Bethléem, le plus connu des touristes est Aida Camp. Les réfugiés espèrent pouvoir un jour retourner à Jérusalem, en attendant ils ne peuvent pas acheter de maison ailleurs en Cisjordanie, car s’ils le font ils perdront leur droit de retour à Jérusalem.

Avez-vous eu l’occasion de vous déplacer, d’aller à Jérusalem par exemple, comment cela s’est-il passé, qu’avez-vous pu observer ?

Nous sommes allés à Jérusalem, donc, qui se trouve à 10 km de Bethléem, avec un check point à mi-chemin. Pour nous y rendre nous avons pris le bus des travailleurs palestiniens.

Au check point, les Palestiniens doivent descendre du bus pour le contrôle de leur pièce d’identité et de leur visa d’entrée en Israël, et c’est à chaque fois la même chose. Les étrangers et les Israéliens ne sont pas tenus de descendre, il est clair que c’est pour humilier les Palestiniens. Certains Palestiniens peuvent obtenir un visa pour soins médicaux.

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Le Mur d’apartheid - Photo : CI

Ceux de plus de soixante ans sont autorisés à se rendre à Jérusalem un après-midi par semaine, le vendredi je crois me souvenir. A cet âge-là, ils ne sont plus considérés comme pouvant être dangereux ! L’accès au Mur des Lamentations est très contrôlé.

Il y a également deux check points entre Bethléem et Tel Aviv et des contrôles pour entrer sur le site de la Mer Morte ; la priorité y est donnée aux Israéliens, les jours de fêtes juives le site est interdit aux Palestiniens, de plus le prix d’entrée est de 15€, ce qui n’est pas donné.

À Hébron, les Palestiniens ne peuvent accéder à la vieille ville où se trouve la Mosquée, ils sont refoulés au check point.

Que pouvez-vous nous dire sur l’hôpital, son fonctionnement, son financement, qui a accès aux soins, les soins sont-ils payants ?

L’hôpital de Beit Jala ressemble à nos hôpitaux. C’est un grand hôpital divisé en plusieurs pôles. En ce qui concerne l’hygiène, cela me semble très correct. Par exemple en ergo, ils désinfectent le matériel après chaque patient J’ai eu l’occasion d’assister à trois opérations en qualité d’observatrice et la stérilité ainsi que les règles d’hygiène étaient respectées. Ils sont aussi plutôt bien équipés (je parle pour l’ergo).

Ils disposent de pas mal de matériel ainsi que de jeux pour travailler avec les enfants. Dans les autres services, ils sont très astucieux et se débrouillent avec les moyens du bord. Par exemple les malles à linge sont fabriquées avec des tuyaux. Ils n’utilisent pas de porte tube pour les prises de sang à la place ils adaptent une seringue. (Je ne sais pas trop ce que c’est, c’est la stagiaire infirmière qui m’a expliqué ça) et réalisent parfois les garrots avec des gants.

Il n’y a pas de sécurité sociale en Palestine. Les patients doivent payer leurs soins. Mais à cet hôpital, les patients pauvres ne payent pas. Je n’ai pas eu d’informations sur le financement de l’hôpital. On m’a dit aussi qu’il y avait un hôpital gratuit à Bethléem.

J’ai fait mon stage dans le service de neurologie, où il y avait de lourdes pathologies, beaucoup d’AVC, et des blessés, de nombreux accidentés de la route et surtout beaucoup d’enfants.

Il y a six ergothérapeutes dans le service, proportionnellement plus qu’en Belgique, mais contrairement à chez nous l’ergothérapeute ne se rend pas dans la chambre du patient, c’est le patient qui est amené dans la salle de rééducation.

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Tour de guet israélienne sur le Mur d’apartheid - Photo : CI

J’ai aussi eu l’occasion de suivre une ergothérapeute qui travaillait dans le « low vision department » (Service pour déficients visuels) où sont accueillis essentiellement des enfants.

Les patients sont accueillis dans des petites chambres de six lits, je n’ai pas vu de chambre individuelle.

L’ergothérapie a-t-elle une importance toute particulière en Palestine étant donné la situation du pays ?

A Beit Jala, je n’ai pas rééduqué de blessés de guerre, c’était des cas de neuro semblables à ceux que j’ai à l’hôpital de Roubaix. Par contre cela doit être le cas dans certaines régions et certains hôpitaux du pays. J’ai aussi trouvé que l’ergothérapie était pas mal reconnue dans ce pays. Le programme des cours ressemble au mien, par contre les études durent 4 ans. (3 en Belgique)

Comment vit la population, de quelle activité économique vit-elle ?

Toute la famille vit dans la même maison. Les jeunes ne quittent pas la maison familiale tant qu’ils ne sont pas mariés, et même après ils ne vivent jamais très loin, souvent dans la même rue.

Les gens que nous avons principalement rencontrés travaillaient tous à l’hôpital, nous n’avons pas réellement rencontré de pauvres, mais les infirmiers gagnent quand même un peu moins que chez nous. Nous avons également rencontré un journaliste qui a un deuxième emploi, il travaille aussi comme guide touristique et un homme d’affaires, très riche.

Il y a beaucoup de souks. J’ai été frappée par la quantité de robes de mariée et de robes de soirée orientales dans les échoppes ; il y a beaucoup de bijouteries, de restaurants.

Nous avons aussi rencontré un Palestinien qui possède un énorme élevage de poulets. Dans le désert nous avons croisé des bédouins avec leur élevage de chèvres. Il y a aussi plein de taxis. Ce sont surtout les hommes qui occupent les emplois. En ce qui concerne le personnel de l’hôpital c’était assez équilibré. Et chez les ergo c’est comme chez nous, il y a plus de femmes.

Comment la population perçoit-elle ce qu’on appelle « l’Intifada des couteaux » ?

Les gens n’en parlent pas spontanément, mais le mot injustice revient souvent dans les conversations. Quelqu’un nous a dit : « Un Palestinien est né coupable et il est coupable jusqu’à ce qu’on prouve son innocence. Un Israélien est né innocent, et il est innocent jusqu’à ce qu’on prouve sa culpabilité. » Ça veut tout dire ! La possession d’un couteau est un crime capital pour un Palestinien, et il risque d’être abattu.

En revenant d’un pique-nique un jour, l’un des stagiaires avait mis un couteau en plastique dans sa poche, un ami palestinien lui a demandé de le jeter, car trop dangereux.

Les gens que nous avons rencontrés veulent la paix, ils ne veulent pas de violence. Ils veulent dénoncer l’injustice en écrivant des articles, des chansons de rap, mais si ça ne suffit pas …

Avez-vous un message que vous voudriez transmettre aux lecteurs ?

Tout d’abord, il ne faut pas écouter ce que disent les médias. A aucun moment je ne me suis sentie en insécurité. Les Palestiniens ont beaucoup de culture, c’est très intéressant de discuter avec eux, les échanges sont très riches.

Mon séjour m’a fait réellement prendre conscience du conflit, j’étais au courant bien sûr par ma famille, mais il faut aller sur place pour prendre la réelle mesure de la situation.

Il faut se rendre en Palestine ! Je conseille vivement à tous ceux qui le peuvent d’y aller au moins une fois.

* Chloé est étudiante française, en troisième et dernière année d’ergothérapie. Elle a réalisé un stage de 3 semaines à l’hôpital de Beit Jala dans la ville de Bethléem.

Mai 2016 - Propos recueillis par MJB