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Palestiniens en Israël : un espace civique qui se réduit comme une peau de chagrin
jeudi 31 mars 2016 - Nadim Nashif & Raya Naamneh
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Octobre 2016 - Hanin Zoabi, députée arabe et palestinienne à la Knesset, proteste contre l’interdiction faite aux fidèles musulmans de se rendre sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem - Photo : AFP/Ahmad Gharabli

Pourtant, dans la pratique, comme ses citoyens palestiniens peuvent en témoigner, il fonctionne comme une ethnocratie juive, ne laissant que de faibles espaces de liberté à ses citoyens palestiniens, qui, de plus, se sont progressivement réduits au cours des dernières années.

L’État israélien est actuellement sous le contrôle total de l’extrême-droite israélienne, pour qui ces espaces de liberté limités sont encore de trop. La preuve en est la vague de lois discriminatoires qui ont été votés et l’utilisation de lois d’urgence contre des ONG reconnues et des mouvements tels que la branche nord du Mouvement islamique d’Israël.

Cibler les organisations et les particuliers, palestiniens et israéliens

Parmi les nombreuses lois que la Knesset israélienne (Parlement) et le gouvernement ont votées pour limiter la participation politique et l’activité militante des citoyens palestiniens, il y a eu, rien qu’en 2011, la loi « anti-boycott », qui interdit la promotion publique des boycotts ; la loi « Nakba », qui interdit la commémoration palestinienne de la catastrophe résultant de la création d’Israël en 1948 ; et la loi de « Financement par des gouvernements étrangers » qui oblige les ONG à faire des quantités de rapports onéreux.

Ces lois ont fortement réduit la possibilité des partis palestiniens, des ONG et des militants d’exprimer librement leurs opinions et de protester contre des crimes d’Israël, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Ligne verte.

Plus récemment, un projet de loi proposé par Avigdor Lieberman, membre de la Knesset et ancien ministre des Affaires étrangères, interdirait à la Cour suprême israélienne d’intervenir dans la décision du Comité central des élections de la Knesset pour disqualifier des députés à cause de leurs positions politiques.

S’il est approuvé, ce projet de loi ciblera directement des députés palestiniens, comme Haneen Zoubi et son parti, « Balad - l’Alliance démocratique nationale, » qui ont déjà dû faire face à de précédentes tentatives pour les disqualifier.

En plus de s’en prendre à la participation politique au niveau gouvernemental, Israël a limité ou interdit le travail de plusieurs ONG au niveau municipal. Il est important de noter que les ONG touchées comprennent à la fois des organisations palestiniennes et des organisations israéliennes qui dénoncent les violations des droits humains par Israël et le régime d’apartheid qu’il instaure dans toute la Palestine historique.

Parmi les organisations touchées, il y a l’ONG israélienne « Breaking the Silence », une organisation d’anciens combattants israéliens qui se consacre à révéler au public israélien la réalité de la vie quotidienne dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). Breaking the silence avait récemment prévu d’organiser un débat à Beersheba.

Cependant, le Tribunal de Beersheba a signé un décret interdisant le débat à la demande de la police qui a affirmé que l’événement ne répondait pas aux « normes de sécurité appropriées ». Alors même que la police aurait pu prendre les mesures nécessaires pour sécuriser l’événement, elle a choisi d’obéir à la droite qui réclamait le boycott de Breaking the Silence.

Il est important de noter que Breaking the Silence est loin d’être aussi radical que le prétend Israël. C’est une organisation qui travaille à l’amélioration de la société israélienne et du gouvernement dans le cadre d’un État ethnocratique juif. On lui reproche, par exemple, de ne pas dénoncer les crimes de guerre des généraux et des chefs militaires israéliens.

Par conséquent, le fait que Breaking the silence soit maintenant considéré comme une organisation dissidente indique clairement la progression régulière de l’idéologie d’extrême droite israélienne qui interdit toute critique des actions du gouvernement israélien.

Un autre exemple est la lettre récemment adressée au « New Israel Fund », pour le sommer d’arrêter de financer l’ONG « Baladna - Association pour la jeunesse arabe », l’organisation pour laquelle nous travaillons tous les deux. Cette lettre a suivi la sortie d’une vidéo produite par Baladna contre le recrutement des jeunes Palestiniens dans l’armée israélienne.

Elle a été rédigée et signée par plusieurs députés de droite, comme Merav Ben-Ari et Miki Zohar, qui sont co-présidents de la Commission de la Knesset pour encourager et promouvoir l’enrôlement des minorités dans l’armée et le service civil. Le gouvernement israélien, en s’appuyant sur des enquêtes biaisées qu’il diligente ou qui lui sont communiquées par des ONG comme Monitor ONG, met sur liste noire des ONG palestiniennes et des ONG de la gauche juive israélienne pour leur faire perdre leurs financements.

La dernière action israélienne de ce type est allée si loin que même le gouvernement des États-Unis s’en est ému. Le porte-parole du département d’Etat a exprimé sa préoccupation, début janvier, au sujet d’un projet de loi présenté par le ministre de la Justice Ayelet Shaked pour forcer les employés des ONG des droits de l’homme à porter des badges à la Knesset disant qu’elles étaient financées par des entités étrangères et à le mentionner dans leurs publications.

Le projet de loi a reçu l’appui de la coalition gouvernementale et l’avocat israélien des droits de l’homme, Michael Sfard, pense que la loi va sûrement passer.

Cette chasse aux sorcières contre les Palestiniens et contre des organisations et des particuliers de gauche au sein d’Israël n’est pas le seul fait du gouvernement, toute la société israélienne y participe. La preuve, des professeurs d’université et des étudiants, ainsi que des ONG, sont ciblés par l’aile droite de l’organisation « Im Tirtzu », qui est présente dans toutes les grandes universités israéliennes.

« Im Tirtzu » accuse les étudiants, les professeurs et les ONG d’être antisémites et/ou d’inciter à la violence et au racisme, en utilisant des informations recueillies dans les médias sociaux tels que Facebook. En d’autres termes, n’importe quel étudiant ou professeur, en particulier ceux qui sont palestiniens, peut être menacé en raison de ses opinions politiques exprimées publiquement.

Malgré cela, les universités israéliennes et le gouvernement refusent de s’en prendre à « Im Tirtzu », ce qui lui permet de calomnier en toute impunité.

Les Palestiniens ont également fait l’objet de menaces verbales et physiques de la part de civils dans les espaces publics, au point que beaucoup d’entre eux évitent d’utiliser les transports en commun. Les femmes palestiniennes qui portent le hijab (foulard) ont peur d’être agressées et harcelées.

Derrière l’interdiction du mouvement islamique

Dans ce contexte, la décision du cabinet de sécurité israélien, en novembre, d’interdire la branche nord du Mouvement islamique d’Israël est significative parce que le ministre de la Défense Moshe Ya’alon a utilisé l’autorité que lui confèrent les lois d’urgence du Mandat britannique de 1945 pour interdire le Mouvement et toute personne ou organisation qui lui est affiliée.

Ces lois ont été appliquées dans toutes les zones sous contrôle israélien depuis 1948. En d’autres termes, elles sont appliquées non seulement dans les territoires occupés par Israël en 1967, mais aussi à l’intérieur de la Ligne verte contre les Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne.

En vertu de ces lois, le ministre israélien de la Défense peut prendre des ordonnances administratives sans passer par un juge. On peut faire appel des ordonnances devant la Cour suprême israélienne, mais le tribunal lui-même opère dans le cadre des lois d’urgence, et est donc, dans les faits, le prolongement du ministère de la Défense.

Ainsi, le gouvernement israélien et ses divers organes se sont donné la capacité « légale » d’accuser tout Palestinien et Palestinienne, à tout moment, d’être une menace pour la sécurité, et de le dépouiller de ses droits humains et civils, sans avoir à démontrer la réalité de la « menace ».

Bref, le gouvernement israélien a utilisé une loi coloniale - une loi qui ne devrait plus faire partie de son système juridique - pour justifier et appliquer une décision discriminatoire. En plus de la question du bien-fondé d’utiliser des lois remontant au mandat colonial de la Grande-Bretagne sur la Palestine, il faut aussi noter la facilité avec laquelle l’interdiction de la branche nord du Mouvement islamique a été approuvée.

Il n’y a eu quasiment pas eu d’objection : l’élite politique israélienne et l’opinion publique israélienne sont favorables à son interdiction et considèrent qu’elle est légitime au regard de la « sécurité ».

Le gouvernement israélien a donc fermé tous les bureaux du Mouvement, ainsi que 17 organismes sans but lucratif qui lui étaient affiliées. Ces ONG, situées dans plusieurs villes à majorité palestinienne d’Israël comme Jaffa et Umm al-Fahem, fournissaient des services sociaux, éducatifs, religieux, et économiques aux communautés palestiniennes pauvres et marginalisées depuis des années.

Le Mouvement n’était pas seulement au service de ses membres mais de toute la communauté palestinienne, y compris les communautés et les personnes non-musulmanes.

En réponse à cette décision, le Haut-comité arabe de surveillance, l’organe représentatif suprême des Palestiniens en Israël, a appelé à une grève générale et à une manifestation dans la ville palestinienne d’Umm al-Fahem. Des milliers de Palestiniens y ont participé pour protester contre une décision qu’ils considéraient comme hostile non seulement au Mouvement islamique, mais à la communauté palestinienne dans son ensemble.

Le gouvernement israélien a pris les mesures contre le Mouvement immédiatement après les attentats terroristes de Paris en novembre 2015 pour pouvoir prétendre que sa décision faisait partie de la lutte mondiale contre le terrorisme. Ce faisant, il a ignoré son propre chef du renseignement Yoram Cohen, selon qui rien ne reliait le Mouvement au terrorisme, ainsi que les réserves du Shin Bet concernant l’interdiction.

Le ministre de la Sécurité publique Gilad Erdan est même allé jusqu’à prétendre que le Mouvement islamique partageait l’idéologie du Hamas et d’ISIS, pour attiser la peur occidentale de l’Islam alors que ces mouvements religieux ne sont nullement affiliés à ISIS, ni ne partagent son idéologie extrémiste. Au contraire, le Mouvement islamique en Israël comme le Hamas ont leurs racines chez les Frères musulmans, qui, historiquement, ne sont pas un mouvement djihadiste.

Malgré les efforts d’Israël pour éradiquer l’identité palestinienne, la communauté arabe qui vit en Israël continue de soutenir et de participer à la lutte pour les droits des Palestiniens dans toute la Palestine historique. Israël est conscient de leur unité dans ce combat et l’utilise pour justifier son oppression, son contrôle et sa censure des Palestiniens d’Israël, en particulier pendant les périodes de résistance et d’agitation.

Au cours de la deuxième Intifada en 2000, par exemple, Israël s’est servi de balles réelles pour réprimer les manifestations de soutien à l’Intifada, tuant 13 jeunes hommes palestiniens dont 12 citoyens d’Israël.

L’interdiction du Mouvement islamique fait partie de la même stratégie. Le Mouvement a été une des organisations qui a dénoncé le plus activement les violations par Israël du statu quo à la mosquée al-Aqsa et sur l’ensemble de l’esplanade d’Al-Haram Al-Sharif (le Noble Sanctuaire).

L’interdiction du Mouvement par Israël peut donc être considérée comme faisant partie des efforts du gouvernement pour réprimer la résistance et y mettre fin.

La vérité est que le Mouvement islamique a défié le système politique israélien. Il avait réussi à créer son propre système opérationnel et organisationnel, indépendamment du gouvernement israélien et en dépit des efforts de ce dernier pour restreindre l’espace de vie de la communauté palestinienne d’Israël.

Contrairement à d’autres partis politiques palestiniens d’Israël, le Mouvement refuse de faire partie de la Knesset israélienne. En outre, il n’est pas financé par le gouvernement et il offre ses services non seulement aux Palestiniens d’Israël, mais aussi aux Palestiniens de l’ensemble de la Palestine historique.

En somme, le Mouvement défie les frontières coloniales de L’État juif et expose à tous les regards le mensonge de sa démocratie.

La nécessité d’une intervention plus organisée de la société civile

Le racisme croissant de la société israélienne, associé au sentiment anti-musulman mondial, ont créé un environnement hostile et menaçant pour les Palestiniens d’Israël et du reste de la Palestine historique.

Ce contexte défavorable a pour conséquence le rétrécissement constant de l’espace de développement organisationnel et militant de la société civile palestinienne et des ONG de gauche. Il y a sans cesse de nouvelles restrictions du financement, de l’activisme légal, de l’accès aux bénéficiaires et de la liberté d’expression.

À la lumière de cette réalité, nous, en tant que communauté qui aspire à la liberté et la justice dans toute la Palestine historique, nous devons repenser nos stratégies. Au niveau local, les organisations et groupes palestiniens - ONG, militants indépendants, mouvements et partis politiques - ont besoin de se réunir et d’établir un plan stratégique cohérent, unifié, et de long terme pour résister au racisme systématique et à l’oppression généralisée.

Aujourd’hui, la société civile palestinienne réagit aux dangers à mesure qu’ils se présentent. Elle ne fonctionne pas comme une entité unifiée, pas plus qu’elle n’anticipe les futures menaces ; ses modestes actions de protestation ont peu ou pas d’effets concrets sur le long terme.

La société civile palestinienne doit mettre l’accent sur la protection de ses droits et en même temps concevoir un plan stratégique pour atteindre ses objectifs de liberté et de justice.

En outre, les Palestiniens ne peuvent espérer obtenir de changement réel et durable, sans avoir le soutien de la communauté internationale et de ses médias pour mettre en lumière le deux poids deux mesures d’Israël en ce qui concerne la défense des valeurs démocratiques, et pour obliger Israël à rendre des compte en opérant sur lui des pressions économiques, culturelles et académiques.

* Nadim Nashif, spécialiste des questions politiques auprès d’al-Shabaka, est investi sur les questions de la jeunesse et du développement communautaire depuis deux décennies.

 
 
 

* Raya Naamneh, spécialiste des questions politiques auprès d’al-Shabaka est étudiante en langue et littérature anglaise, et militante dans le village Arabba en Galilée [Palestine de 1948].

janvier 2016 - Al-Shabaka - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine - Dominique Muselet