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Un monde arabe en guerre avec lui-même
vendredi 25 mars 2016 - Lamis Andoni
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Mars 2015 - En pleine prière du vendredi, des attaques-suicide ont fait 137 morts et de très nombreux blessés dans deux mosquées chiites à Sana, la capitale yéménite - Photo : Reuters

Comme si les énormes dégâts causés par l’invasion us de l’Irak et l’occupation israélienne de la Palestine n’étaient pas suffisants, le monde arabe est maintenant engagé dans un processus d’auto- destruction fait de polarisation sectaire et de violence.

S’il est vrai que la Guerre d’Irak de 2003 a favorisé la montée des groupes sectaires, il est aussi vrai que maintenant, beaucoup de dirigeants arabes et de prédicateurs religieux, de même qu’un certain nombre d’intellectuels, attisent la haine sectaire et la bigoterie pour servir les luttes pour le pouvoir et l’influence.

Nous assistons maintenant dans les sociétés arabes à un hideux raidissement sectaire qui affecte aussi bien les façons de voir que le langage et les attitudes, enfermant les esprits dans un point de vue artificiel et buté obscurcit la pensée et ferme les cœurs.

La peur et la confusion qui découlent de ce phénomène forcent de nombreuses personnes à accepter les mythes enrobés de sectarisme qui diabolisent telle ou telle croyance et en arrivent à justifier les crimes les plus horribles, comme ceux commis par Daesh contres les minorités chrétiennes et les Yazidis d’Irak.

Langage sectaire

Le langage sectaire n’est plus la spécialité ses milieux ouvertement sectaristes, il envahit maintenant la langue de tous les jours et s’exprime aussi bien de façon manifeste dans une terminologie spéciale, qu’au travers d’analyses soit-disant « neutres » des évolutions politiques de la région et d’ailleurs.

Telles celles par exemple qui reprennent l’idée répandue que l’Iran est la cause de toutes les catastrophes qui tombent sur la région. C’est l’Iran par exemple qui aura délibérément provoqué la meurtrière bousculade de la Mecque en septembre et il est, bien sûr, connu depuis longtemps que la guerre entre l’Iran et l’Irak aura été provoquée par le sinistre plan qui vise à imposer la domination Chi’a sur les Sunnis du monde arabe.

Le fait que plus de 450 Iraniens aient été tués dans la bousculade ou que la guerre de 1981 ait commencé quand l’ancien président Saddam Hussein a abrogé l’accord d’Alger de 1975 (qui, rappelons-le, avait mis fin à un conflit de tracé de frontières) sont commodément écartés pour ne retenir que la version sectariste.

Fait assez étrange, un tel sectarisme dans le langage ne prévalait pas pendant les huit années de guerre entre l’Iran et l’Irak alors que l’on sait que ce furent les États arabes pro-occidentaux, c’est-à-dire les pays à majorité sunnite, qui avaient incité Saddam à provoquer la guerre.

La propagande chauviniste était présente, bien sûr, mais aussi abjecte qu’elle était, elle n’était pas religieusement sectaire, elle tentait plutôt de rallier les masses arabes autour de l’Irak sous la bannière pan-arabiste contre le soit- disant complot perse visant à conquérir le monde arabe.

Il est clair que l’Iran aussi a contribué à attiser l’anti- arabisme, chose que j’ai personnellement constatée lors de mon séjour en tant que reporter à Téhéran en 1995, mais cela se limitait à entretenir et à entraîner certains groupes irakiens de confession Chi’a qui retournèrent en Irak lors de l’invasion menée par les USA contre ce pays.

Anti-colonialisme et cause palestinienne

Dans un passé récent, ce n’était pas du tout le sectarisme anti-Chi’a qui prévalait dans la psyché collective arabe mais plutôt l’anti-colonialisme hérité des luttes pour l’indépendance, et le soutien à la cause palestinienne.

Cet anti-colonialisme explique pourquoi, à l’exception des régimes pro-occidentaux, la majorité des Arabes soutinrent et célébrèrent ouvertement la révolution iranienne de 1979 qui renversa le Shah Rédha Pahlevi, un homme perçu à l’époque comme le gendarme de la région au service des intérêts des USA et d’Israël.

C’étaient les régimes arabes pro-occidentaux qui craignaient l’Iran post-révolutionnaire et incitaient à la haine à son encontre, non pas pour des raisons religieuses sectaires mais pour des raisons liées à la féroce rivalité d’influence et de pouvoir dans la région.

Ce ne fut qu’une décennie plus tard que la peur de l’influence iranienne sur les Musulmans Chi’ites dans le Golfe – influence exagérée - devint une préoccupation majeure pour ces régimes, une préoccupation qui fut aussi utilisée pour réprimer l’opposition intérieure.

Le ralliement contre la « menace Chi’a » qui prit son essor en 2004 faisait partie de la formation, parrainée par les USA, d’un axe des États Arabes « modérés » face à l’axe Chi’a mené par l’Iran. Il s’agissait d’affaiblir le soutien au Hezbollah et au Hamas afin d’amoindrir leur résistance à Israël.

C’est le roi Abdallah de Jordanie qui, en 2004 ainsi qu’en 2007, rendit le sentiment anti-Chi’a plus acceptable en prônant l’idée de la nécessité urgente d’affronter l’expansion du Croissant Chi’a dans la région

Le monarque jordanien parlait de l’expansion d’un croissant idéologico-politique parrainé par l’Iran plutôt que d’une confrontation religieuse, mais ses paroles donnèrent plus de vie à la bête immonde du sectarisme religieux.

Les expressions toutes faites d’ « expansion chi’a » ou de « menace chi’a » se sont incrustées dans la langue arabe écrite à côté de qualificatifs dégradants tels que « Khawaridj » (ceux qui sont sortis de l’Islam) et « Safawis » (en référence à la dynastie safavide qui régna en Iran au 16ème siècle).

Des prédicateurs aveuglés par les préjugés

Il est choquant de constater que beaucoup d’individus appartenant à l’intelligentsia arabe, non seulement utilisent ce langage qui stigmatise l’autre, mais se laissent entraîner par les discours des prédicateurs sectaristes tels que Mohamed Al-Arifi qui ne cesse d’attiser les flammes de la haine anti-Chi’a.

La répression par le gouvernement Chi’a sectaire de Baghad de la résistance, essentiellement sunnite, contre l’occupation US est présentée comme preuve de la haine éternelle des Chiites contre les Sunnites plutôt qu’une alliance de pouvoir dictée par les intérêts.

Il faut aussi inclure dans ce sombre tableau, la brutale répression par le régime syrien du soulèvement populaire, qui mena plus tard à l’émergence de groupes sunnites extrémistes.

Mais c’est l’EIIL (NDT : Daesh) qui a été le premier à déclarer la guerre aux Chi’ites dans une lettre de son fondateur, le Jordanien Abou Mossaab Al Zarqawi - tué en 2006 - lettre envoyée au dirigeant en second de El Qaeda , Ayman Ezzawahiri qui rejeta immédiatement cette idée parce qu’elle menait les Musulmans à tuer d’autres Musulmans.

Cependant, la propagande anti-Chi’a n’affecta la popularité du mouvement chi’ite lbanais Hezbollah que quand celui-ci envoya des forces en Syrie pour aider le régime. Hassan Nasrallah justifia l’action par la nécessité de protéger le sanctuaire historique de l’héroïne chi’ite Sayeda Zeibeb situé dans les quartiers Sud de Damas.

L’entrée du Hezbollah dans le conflit syrien s’ajusta parfaitement à la théorie de la « menace Chi’ite ». Pour beaucoup de ses admirateurs, le mouvement n’était plus un mouvement de résistance mais un acteur sectaire contrôlé par l’Iran.
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Un slogan qui sème la discorde

L’évolution des attitudes à l’égard du Hezbollah atteignit une étape dangereuse quand le slogan de discorde « résister au Chi’ites » remplaça les slogans unificateurs de « résister à Israël » et de « pain, libération et justice sociale » des révolutions arabes.

En détournant l’attention des peuples arabes de la lutte pour les droits palestiniens et les revendications socio-économiques, les régimes arabes font d’une pierre deux coups : ils justifient aussi bien leur alliance avec les USA que leur répression de toute contestation interne.

Que le sectarisme déchire les sociétés arabes n’est pas un souci majeur pour la plupart de ces régimes puisqu’il n’est pour eux qu’un moyen comme un autre de diviser et de dominer les peuples tout en justifiant guerres et répression.
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En définitive, les néo-conservateurs us-américains, qui ont déployé de gros efforts depuis les années 1990 pour donner vie à un tel scénario, pourront maintenant prendre leur retraite et se reposer puisque beaucoup d’Arabes, pour diverses raisons, sont simplement en train de réaliser la prophétie d’un monde arabe éclaté en fragments sectaires.

* Lamis Andoni est analyste et commentatrice pour le Middle Eastern and Palestinian Affairs. @LamisAndoni]

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26 novembre 2015 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Najib Aloui