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Réflexions sur une stratégie palestinienne
jeudi 3 mars 2016 - Amal Ahmad
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Manifestation à Ramallah - Photo : APA

Le projet de construction d’un État qui promettait tant dans les années 1980 et 1990 perd rapidement ses partisans –un sondage récent a révélé que près de deux tiers des Palestiniens ne croient plus en sa réalisation, bien que 137 pays reconnaissent aujourd’hui la Palestine. Il y a eu peu de progrès vers une autre solution politique bénéficiant d’un soutien populaire.

Ce commentaire soutient que l’actuelle faiblesse politique du peuple palestinien provient en grande partie de l’absence d’une pensée stratégique, malgré quelques efforts organisés dans ce sens de la part, par exemple, du Palestine Strategy Group et du Masarat. Il est cependant vital que les Palestiniens puissent adopter une vision stratégique avec ou sans les factions politiques faisant ou non partie de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) : sans une stratégie [1] claire et consensuelle certains des moyens et tactiques employés risqueront de tarir les énergies et de n’avoir que peu d’effet ou d’avoir des conséquences indésirables.

Promouvoir une analyse stratégique

Une pensée stratégique avisée doit s’appuyer sur une évaluation précise de l’environnement politique existant, incluant les possibilités et les défis internes et externes. Pour les Palestiniens il est particulièrement important d’évaluer avec précision les stratégies de l’État israélien parce qu’il est l’acteur le plus fort, celui qui définit la portée et la direction du conflit.

On peut arguer qu’une des principales raisons pour lesquelles Oslo a été un désastre politique est dû au fait que les dirigeants palestiniens, incompétents et voulant une solution à tout prix, ont pris pour argent comptant l’intérêt déclaré par Israël pour la création d’un État palestinien et se sont engagés dans ce but politique.

Ce mauvais calcul et les concessions qui se sont en-suivies ont été catastrophiques pour le pouvoir de négociation des Palestiniens, pour leur unité et leur capacité à élaborer une stratégie nationale cohérente.

Il est amplement temps de reconnaître que les Palestiniens se trouvent dans une situation de non-État dans laquelle Israël espère les maintenir pour le temps qu’il lui faudra pour parvenir à son objectif ultime. Cet objectif consiste en droits différents (et plus importants) pour les Juifs au contraire des non-juifs, avec une majorité juive dans le pays sous son contrôle direct.

La stratégie israélienne pour la réalisation de cet objectif a été largement conséquente depuis son occupation du territoire palestinien en 1967 : contenir les Palestiniens en rejetant la mise en œuvre d’un statut final, que ce soit sous la forme d’une souveraineté palestinienne dans le cadre de deux États ou de droits égaux dans un seul État bi-national.

J’ai déjà maintenu que l’union douanière de fait imposée par Israël aux Palestiniens est l’illustration concrète de l’intention d’Israël de conserver cette solution d’un non-État. Les actes, la résistance et toutes futures négociations devront tenir compte de cette réalité.

Compte tenu que la stratégie d’Israël est basée sur la satisfaction des droits des juifs israéliens et des colons et leur limitation pour les citoyens palestiniens d’Israël et les Palestiniens dans les territoires occupés, une stratégie orientée vers les droits des Palestiniens pourrait être particulièrement efficace dans le but de dévoiler et de contrer les plans d’Israël.

Avec une telle stratégie, les objectifs politiques palestiniens basculeraient du désir d’un État, projet irréalisé qui occulte la stratégie israélienne sur le terrain, à une lutte pour les droits humains, politiques, civils, économiques, sociaux et culturels. Les droits des Palestiniens pourraient être reconnus dans nombre d’arrangements nationaux, un ou deux États ou une confédération.

Au delà d’une contestation au cœur du projet national israélien, une stratégie basée sur les droits des Palestiniens offre de clairs avantages. Elle fournit un guide de principes pour le combat ; elle réduit les différences entre les Palestiniens des territoires occupés et ceux en Israël et elle se fait entendre dans un discours international sur les droits et l’anti-racisme qu’il sera très difficile d’écarter, aidant à créer de solides alliances pour soutenir le combat.

Toute stratégie gagnante doit non seulement évaluer correctement les motivations d’Israël et identifier les points faibles de son armure, mais doit aussi obtenir l’assentiment de la communauté palestinienne. C’est une gageure difficile, en partie à cause de la fragmentation du peuple palestinien mais aussi parce qu’il existe un profond attachement à l’idée d’un État-nation, en dépit de la non-réalisation d’une solution à deux États.

Il est par conséquent important d’essayer de concilier une stratégie politiquement valable avec, autant que possible, les sentiments nationaux des Palestiniens. Les arguments en faveur d’une approche basée sur les droits, auraient par exemple besoin de souligner que l’abandon de la notion d’État ne signifie pas l’abandon des liens avec le sol et de voir comment l’étroit amalgame entre les conceptions d’État et de Nation pourrait aller plus loin.[2]

Des tactiques pour des résultats

La façon la plus rapide, la plus sûre et la plus efficace de promouvoir une stratégie nationale est par le truchement d’un système politique plus représentatif et plus performant. En l’absence de perspectives vers un leadership efficace et sans compromission dans les territoires occupés palestiniens (TOP) ou pour le peuple palestinien en général, cela devient une tâche difficile.

Dans l’intérim, les Palestiniens peuvent compter sur quelques-uns des outils créés par les institutions et réseaux existants dans la société palestinienne et la société civile dans son ensemble, pour promouvoir une pensée et une action stratégiques, en espérant que des pas dans la bonne direction vont hâter ou complémenter la formation d’un nouveau leadership.

Le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) reste le plus puissant outil civique pour encadrer la lutte palestinienne dans un langage de droits, et contester la répression israélienne basée sur l’apartheid. BDS est bien connu grâce aux charges qu’il impose régulièrement à l’occupation, mais la plus grande importance du mouvement demeure dans la vision et la philosophie qu’il apporte.

Il propose un discours auquel nombre de Palestiniens et le monde peuvent adhérer et qui ne s’embourbe pas dans un labyrinthe de discussions de solutions et de fins de partie. Il va aussi droit au cœur de la vision d’Israël pour la région : Nétanyahou n’a pas exagéré pas quand il a qualifié le mouvement BDS de « menace stratégique » pour le projet national israélien, dans ses aspects racistes et colonisateurs.

Bien que la campagne BDS ait à confronter des limitations dans les territoires palestiniens sous occupation [TPO], dues à leur dépendance structurelle de l’économie israélienne, le fait que le langage des droits soit davantage dans le courant dominant est un signe encourageant.

L’adoption du discours BDS et le lancement de campagnes BDS sur les campus, dans les structures locales, les conseils d’administration et autres institutions est une mesure concrète pour aider les Palestiniens à résister à l’apartheid et se rapprocher de la réalisation de leurs droits humains.

Les Palestiniens peuvent aussi tirer parti des cadres juridiques existants, qui s’adressent directement aux droits de l’homme et à la loi. Les moyens juridiques aujourd’hui accessibles au peuple palestinien comprennent l’Avis consultatif de 2004 auprès du Tribunal pénal international quant au Mur de Séparation, qui renforce l’opinion internationale dominante selon laquelle les colonies sont illégales en regard de la loi internationale.

De tels moyens peuvent faire levier et servir à démontrer à des États tiers que leur engagement en faveur d’Israël compromet leur position juridique, et à demander que ces États fassent respecter la loi internationale en suspendant les échanges ou les traités avec Israël pour autant qu’il maintient son régime d’apartheid.

L’adhésion de la Palestine au Tribunal pénal international pourrait aussi offrir des moyens de contester les violations israéliennes des droits de l’homme, mais il est important d’être réaliste et de continuer à mobiliser les soutiens internationaux.

A l’intérieur des TPO, les cycles de confrontation avec l’occupant aident aussi à rompre le monopole exercé sur la politique par l’Autorité palestinienne (AP) et pourraient alors aider à accélérer et légitimer la recherche de stratégies alternatives. Les mouvements de colère à répétition redéfinissent le rapport des Palestiniens à l’État israélien comme étant un rapport de conflit plutôt que de « compréhension » et exigent le plus souvent et ouvertement l’annulation des accords d’Oslo.

Alors que, comme il a été noté au cours d’une récente table ronde d’Al Shabaka, la capacité de ces mouvements à réaliser des buts politiques est très limitée, à cause d’un faible potentiel organisationnel ainsi qu’à cause de la violente réaction de l’AP et d’Israël, ils suscitent malgré tout un drastique changement de discours et servent à unifier, ne serait-ce que symboliquement, le message des Palestiniens.

De façon décisive, les citoyens palestiniens d’Israël, marginalisés par l’OLP et l’AP dans leur quête d’un État, seraient en tête d’une approche basée sur les droits de l’homme. En fait, cela sous-tend ouvertement leur lutte pour la justice et l’égalité des droits en Israël.

De plus, leur proche contact et leur familiarité avec l’État d’Israël ainsi que l’accumulation de leurs combats « à l’intérieur » de celui-ci, représentent une importante ressource de compréhension stratégique, dont d’autres Palestiniens peuvent tirer profit.

Certains n’ont pas seulement noté qu’il s’agit d’une ressource dans la lutte plutôt négligée par l’Autorité palestinienne mais ont même soutenu qu’avec la formation de la Liste commune, le peuple palestinien devrait rechercher le leadership des partis politiques palestiniens en Israël.

Les Palestiniens dans les territoires occupés, les camps de réfugiés et dans la Diaspora feraient bien d’examiner sérieusement les liens qu’ils pourraient établir avec leurs homologues « à l’intérieur » et d’adapter quelques-unes de ces expériences et tactiques à leur environnement domestique, quand c’est possible et approprié.

En même temps et comme noté ci-dessus, le manque de stratégie pose des risques quant à l’ignorance des types de moyens et de tactiques à éviter. Bien que la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État ait ouvert la porte de la CPI, un ralliement pour une adhésion à l’ONU comme État observateur ou pour la reconnaissance verbale d’un État par des États tiers implique de sérieux risques.

Il occulte la réalité que la stratégie d’Israël est d’assurer que la création d’un tel État soit impossible. Il valide aussi le défunt modèle d’Oslo et affaiblit l’argument selon lequel Israël est responsable des droits de la population qu’il occupe et opprime.

D’autres tactiques à risque comprennent la mobilisation pour des élections au Conseil national palestinien, un organisme qui n’a eu qu’une efficacité limitée. Ou des élections démocratiques qui maintiennent le règne de partis non-démocratiques ou qui prennent place en l’absence d’une éminemment souhaitable stratégie nationale.

De même, la tactique de création d’institutions adoptée ces dernières années, par laquelle une aide est fournie à quelque soi-disant projet de création d’un État, s’est révélée fragile et irréaliste. Au lieu de cela, il faut reconnaître que la stratégie d’endiguement actuelle d’Israël empêche non seulement la formation d’un État palestinien indépendant mais aussi celle d’une économie palestinienne viable.

Il faut étudier davantage les façons dont la solution de non-État maintient l’économie palestinienne dans un état de dépendance, improductive et structurellement régressive. En même temps, il est toujours d’une importance cruciale de donner du travail aux Palestiniens, non pas comme un développement sous de faux prétextes mais pour soutenir leur ténacité et pour que les Palestiniens restent en Palestine.

Pour résumer, la question n’est pas de savoir si certains moyens ou tactiques sont bons ou mauvais en principe, mais s’ils confrontent ou occultent activement la réalité politique en cours et s’ils font avancer ou entravent une stratégie spécifique conçue pour répondre à cette réalité.

Cette brève réflexion se propose de contribuer au processus d’identification d’une telle stratégie, qui puisse rassembler le peuple palestinien pour un combat qui remettra efficacement en cause le plan israélien pour la mise en œuvre d’un régime d’apartheid.

Notes :

[1] Une stratégie est basée sur le long terme ; elle identifie les buts et les principes à propos desquels il est possible de s’organiser et repose sur l’analyse et la communication des possibilités et des limitations existantes. Une tactique s’exerce du court au moyen terme et utilise des ressources humaines et matérielles pour obtenir des résultats spécifiques ou concevoir des processus qui feront progresser une plus grande stratégie.

[2] Je souhaite remercier Anais Surkin pour m’avoir aidé à clarifier ma pensée sur cette question.

* Al-Shabaka est une organisation indépendante à but non lucratif dont la mission est d’éduquer et promouvoir le débat public sur les droits humains et l’autodétermination des Palestiniens dans le cadre du droit international.

* Amal Ahmad est chercheuse en économie. Elle a étudié à l’Institut Palestinien de Recherche politique et économique à Ramallah, avant son Master en économie du développement à l’Ecole des Etudes Orientales et Africaines à Londres. Elle s’est spécialisée dans les relations fiscales et monétaires entre Israël et la Palestine, tout en s’intéressant à la politique du développement dans tout le Moyen-Orient.

De la même auteure :

- L’union douanière, la solution israélienne « Zéro État » - 8 décembre 2014

1er février 2016 - Al-Shabaka - Vous pouvez consulter cet article à :
https://al-shabaka.org/commentaries...
Traduction : Info-Palestine.eu - Jean Cartier