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La dictature égyptienne fait tout pour s’incruster ... mais à quel prix ?
vendredi 26 février 2016 - Wael Haddara
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La police égyptienne est aujourd’hui totalement débridée... Elle réprime, rançonne, kidnappe, torture et tue en toute impunité - Photo : Reuters

L’une des grandes leçons que l’armée égyptienne a tirée des de 30 ans de règne de Hosni Moubarak, c’est qu’il ne faut pas laisser le pouvoir exécutif trop s’éloigner de son contrôle. Le coup d’État militaire contre le président Mohamed Morsi était plus qu’une simple coup de force pour prendre la place d’un président islamiste. Ce qui était en jeu, c’était de reprendre aux civils le contrôle du pays. Ce fut une menace d’abord sous le régime de succession dynastique de Moubarak, puis après le soulèvement du 25 janvier 2011.

Pour mettre en œuvre cette ré-appropriation du pouvoir, l’armée a mis au point un coup par le biais d’une coalition de forces avec des intérêts communs, dont certaines civiles pour lui donner un vernis de respectabilité. Mais immédiatement après le coup, l’armée a rapidement commencé à concentrer sous son contrôle.tout le pouvoir économique.

Contrairement aux espoirs de l’armée, il n’y a ces derniers temps que de mauvaises nouvelles pour le pouvoir égyptien.

Pour commencer, il a dû faire face à une crise de blé. Le GASC (General Authority for Supply Commodities) avait lancé un appel d’offres pour l’acquisition de blé et les prix proposés étaient bien au-dessus des prix du marché, de sorte que le GASC a finalement été contraint de chercher des fournisseurs en dehors de ce processus d’appel d’offres.

La crise du blé

Cette absence de compétitivité est le résultat de la confusion entretenue sur le pourcentage accepté de champignons ergot dans le blé importé. Alors que le GASC a affirmé que la norme internationale de 0,05 pour cent était acceptable, le ministère de l’agriculture a confisqué récemment une cargaison de blé français qui contenait exactement cette proportion.

Faisant volte-face, les ministères de l’alimentation et de l’agriculture ont tenu une conférence de presse conjointe pour rassurer les fournisseurs, mais jusqu’à présent, le marché reste sur la réserve. Les ministères apparemment refusent de consigner cet engagement par écrit et par conséquent les marchands tentent de prendre en compte dans le prix du blé le risque induit. Le fournisseur français dont la cargaison a été détournée menace à présent de lancer des poursuites judiciaires et l’Égypte n’a toujours pas de fournisseurs.

Cela signifie-t-il que l’Égypte se dirige vers une crise alimentaire potentiellement explosive ? Non. La crise sera évitée, mais avec un coût financier et politique important pour le gouvernement égyptien. Les marchés ont été secoués et le souvenir d’un comportement incohérent du gouvernement persistera.

Dans un autre cadre, GM, la société qui fabrique 25% des voitures en Égypte, a annoncé une suspension temporaire de ses activités en Égypte en raison du manque de dollars disponibles. Les politiques de la Banque centrale visant à consolider la livre égyptienne perpétuellement affaiblie et à arrêter la spéculation sur le marché noir, ont abouti à une pénurie chronique de dollars.

Ce problème sera également probablement résolu à un moment donné dans un avenir pas trop lointain. Une information a déjà été divulguée que le gouvernement avait pris en compte une livre dévaluée dans le budget de l’année prochaine.

Bien que cela aidera à consolider les réserves en devises du pays, cela ne fait que retarder le traitement du problème fondamental que représentent le déficit commercial et la chute de la productivité.

Problèmes de trésorerie

L’Égypte est fortement tributaire de trois sources de devises, dont aucune ne fournit de résultats particulièrement bons : les envois de fonds des expatriés, le tourisme et l’investissement étranger direct.

Les transferts par les travailleurs égyptiens à l’étranger ont été durement touchés par la chute des prix du pétrole. Le tourisme s’est ratatiné à la suite de l’interdiction de voyager après les attaques terroristes à Charm, Hurghada et dans le désert occidental, et l’’investissement direct étranger est confronté à un certain nombre de problèmes liés à l’infrastructure, la production d’électricité et la bureaucratie égyptienne.

Le gouvernement a voulu promouvoir avec vigueur le potentiel économique de l’Égypte, Abdel Fattah El-Sisi rencontrant personnellement des délégations commerciales et s’engageant dans diverses affaires. Mais les mauvaises nouvelles n’arrivant jamais seules, le corps d’un étudiant diplômé italien, Giulio Regeni, a été retrouvé en plein milieu d’une visite d’une délégation commerciale italienne.

En réaction, la délégation a écourté sa visite et les rapports ultérieurs délivrés par les autorités italiennes ont indiqué que des tortures « inhumaines » avaient été infligées à l’étudiant italien. Cet incident a jeté une ombre sur les relations de l’Égypte avec un certain nombre de partenaires, et l’on sait de plus en plus que le gouvernement égyptien compte non seulement ce meurtre à son actif, mais aussi des disparitions, cas de tortures et assassinats de centaines d’Égyptiens.

Sur le plan intérieur, un certain nombre de développements sont tout aussi inquiétants. Les Ahly Ultras, membres d’une association de fans liés à l’équipe de football de l’Égypte, semblent être sur la voie d’une confrontation de plus en plus probable avec l’État.

Mais les groupes de football inconditionnels ne sont pas la seule opposition qui prend forme contre le régime. Un désaccord entre un médecin dans un hôpital du Caire et un policier subalterne a abouti à une agression par un véritable gang de policiers, sur un groupe de médecins de l’hôpital de Matara.

Cet incident a échappé à tout contrôle et les médecins de l’hôpital se sont lancés dans une grève tandis que les médecins à l’échelle nationale ont voté le principe d’une prochaine grève générale. La question est ostensiblement la sécurité des médecins.

Les extravagances de al-Sisi

Sisi lui-même n’est pas sorti indemne des faux pas et des erreurs de calcul qui assaillent le régime égyptien dans ces dernières semaines. Prêt à tout pour imposer plus de contrôle sur le budget, il a prononcé un discours important sur l’austérité dans lequel il a demandé aux Égyptiens de faire des économies et de se serrer la ceinture. Alors qu’il était en route vers le lieu de son discours, son cortège de voitures a roulé sur plus de 4 km de tapis rouge spécialement déroulé pour l’occasion. Le dictateur a reçu de vives critiques pour cette extravagance.

Mais ce ne fut pas le seul exemple où le comportement à la tête de l’État n’est absolument pas en phase avec les exigences imposées au peuple. Ignorant l’austérité et des contraintes budgétaires, le ministre de la justice a récemment ordonné une augmentation de salaire de 10% pour les juges - laquelle s’ajoute à une augmentation de 30% attribuée l’été dernier.

Tout cela est-il un signe que le régime tombe en ruines ? Il se peut... Mais cela peut aussi être le signe de quelque chose de bien plus sinistre.

Au mieux, cela révèle un manque de coordination entre les différents organes qui composent l’État. La main gauche non seulement ne sait pas ce que fait la main droite, mais elle est occupée à distribuer des coups.

Ce manque de coordination a de multiples causes mais c’est peut-être simplement dû au fait que l’Égypte est retombée sous le giron des militaires.

L’armée a largement prouvé son incompétence à gouverner, et cette incompétence était affichée au premier plan dans les années 1950 et 1960 lorsque Gamal Abdel Nasser avait attribué à des officiers de l’armée la charge de presque tous les aspects de la gestion de l’État, et plus récemment en 2011 et 2012 lors de la transition sous la conduite du SCAF [Supreme Council of the Armed Forces].

Manque de coordination

Mais il y a une possibilité bien plus grave. Le manque de coordination peut révéler une résistance de bas niveau, des luttes intestines et l’effritement de la Coalition du 30 juin [coalition des putschistes]. L’aspect le plus dangereux de cette résistance est qu’elle ne cherche pas à remplacer le dispositif de décision en cours, mais qu’il s’agit plutôt d’une bagarre pour une plus grande part du gâteau.

L’armée a peut-être fini par comprendre que la force ne signifie pas automatiquement le pouvoir et que l’autorité est différente de l’influence. Les mini-crises telles que le fiasco du blé, la suspension des opérations de la compagnie GM et l’assassinat brutal et cruel de Giulio Regeni peuvent être dus à autre chose qu’à des différents pour une redistribution des cartes à l’intérieur de la Coalition du 30 juin.

Pourquoi est-ce inquiétant ? Parce que si les militaire cèdent à leurs demandes, le pays continuera à foncer vers la ruine financière et la désintégration de la société, phénomène qui s’est accélérée au cours des 15 dernières années. L’environnement sera alors celui d’une révolution, une fois de plus nécessaire et possible.

Si les militaires n’acquiescent pas, il n’y a aucun signe que des segments tels que les oligarques, les juges ou les services de sécurité soient prêts à sacrifier leurs propres intérêts.

Leur résistance se poursuivra, avec un coût énorme pour le pays, et l’armée va se retrouver en situation de ne plus pouvoir gouverner. Finalement, nous allons retrouver une situation où les forces déployées contre le régime seront plus fortes que celles qui le soutiennent.

Dans tous les cas, la lutte entre les divers ex-partenaires est peu probable de cesser avant que le pays n’ait subi des impacts financiers, politiques et sociaux importants. Et la reprise économique et la stabilité politique semblent insaisissables, très peu probables dans un avenir proche.

* Wael Haddara a servi comme conseiller du président Mohamed Morsi lors de sa campagne électorale en 2012, et a continué à servir en tant que conseiller durant l’année de l’exercice présidentiel.

19 février 2016 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah