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Gaza : le statu quo est précurseur d’une prochaine attaque sur le territoire assiégé
mercredi 17 février 2016 - Ramzy Baroud
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Cérémonie de remise de diplômes dans un camp d’entraînement du movement Hamas (résistance islamique) le 29 janvier 2015 à Khan Younès, au sud de la bande de Gaza - Photo : AFP

Il n’est pas exact que trois guerres ont eu lieu depuis que le Hamas a remporté les élections parlementaires de 2006 dans les Territoires Palestiniens Occupés. D’autres guerres considérées comme insignifiantes ou comme des « escarmouches » ont également eu lieu. L’Opération Returning Echo en mars 2012, par exemple, a tué et blessé plus de 100 personnes. Mais comme ce bilan, comparé aux autres attaques majeures, semblait banal, il n’a pas été cité comme « guerre » en tant que telle.

En suivant cette logique, les opérations dénommées Cast Lead (2008-9), Pillar of Defense (2012) et la plus meurtrière de toutes, Protective Edge (2014) ont été suffisamment graves pour être incluses dans toute discussion sérieuse, en particulier lorsqu’on se penche sur la nouvelle guerre israélienne en perspective contre Gaza.

Il est important de souligner que la plupart des médias, de masse ou autres, adhèrent aux termes dans lesquels Israël désigne les guerres – pas aux désignations des Palestiniens. Par exemple, les Gazaouis se réfèrent à leur dernière confrontation avec Israël comme étant la « Bataille Al-Furqan » (critère, discernement), un terme que nous n’entendons quasi jamais en relation avec cette guerre.

Etudier le discours de guerre des Israéliens comme facteur central pour comprendre la guerre contre la Résistance surpasse tous leurs autres discours dans d’autres domaines. Les souffrances de Gaza n’ont jamais cessé, ni depuis la dernière guerre, ni depuis celle d’avant, ni depuis la précédente encore. Mais c’est seulement quand Israël se met à réfléchir à la guerre comme option réelle que beaucoup d’entre nous en reviennent à Gaza pour discuter des potentialités de violence qu’elle recèle.

Les problème de la relégation de Gaza [dans l’oubli] jusqu’à ce que les bombes israéliennes se mettent à pleuvoir participe de la pensée collective des Israéliens – gouvernement et société, c’est pareil. Gideon Levy, l’un des très rares journalistes israéliens sympathiques dans la presse dominante, a écrit à ce sujet dans récent article pour Haaretz :

« L’addiction à la peur et l’éternelle complaisance [à invoquer] le terrorisme en Israël nous rappelle tout à coup l’existence du ghetto voisin » écrit-il en se référant à Gaza et au son des tambours de guerre israéliens. « C’est seulement ainsi qu’on nous fait nous ressouvenir de Gaza. Quand on tire, ou au moins quand on creuse… (alors seulement) nous nous en souvenons ».

En fait, le passé excessivement violent d’Israël à Gaza ne dépend pas du contrôle relatif du Hamas sur cette place terriblement pauvre et assiégée, pas plus qu’il n’est corrélé, conformément à la croyance conventionnelle, au factionnalisme palestinien. Bien sûr, la force du Hamas sur place ne pousse guère Israël à laisser Gaza tranquille, et le pitoyable sectarisme palestinien ne remédie guère à la situation.

Car le problème d’Israël c’est l’idée même qu’il existe une entité palestinienne qui ose défier la domination israélienne, et ose lui résister.

Par ailleurs, l’argument selon lequel c’est la résistance armée, en particulier, qui rend le plus furieux Israël, est également inexact. La résistance violente peut accélérer les rétorsions et l’intensité de leur violence, mais comme nous le voyons actuellement en Cisjordanie, aucune forme de résistance n’a jamais été admissible, pas maintenant, pas depuis que l’AP est sous contrat principalement pour contrôler la population palestinienne, et certainement pas depuis le début de l’occupation israélienne en 1967.

Israël veut détenir le monopole complet de la violence, c’est l’argument ultime.

Si on passe rapidement en revue l’histoire d’Israël contre la résistance palestinienne sous toutes ses formes, il en ressort que la version d’Israël opposé au Hamas a toujours été réductionniste, en partie parce que cela bénéficiait politiquement à Israël, mais aussi parce que cela pouvait servir politiquement les querelles intestines des Palestiniens.

Le Fatah, qui fut le principal parti politique palestinien jusqu’à ce que le Hamas remporte 76 sièges sur les 132 du Conseil législatif aux élections de 2006, a joué un rôle majeur dans l’élaboration de cette version mensongère, celle qui considère que les dernières guerres et le conflit actuel ne sont rien d’autre qu’une lutte entre le Hamas en tant que rival politique, et Israël.

Récemment, quand sept combattants du Hamas ont été tués par l’effondrement d’un tunnel – qui avait été détruit par Israël pendant la guerre de 2014 puis reconstruit – le Fatah a publié un communiqué qui est paru sur Facebook. Le communiqué ne témoignait aucune solidarité avec les différents mouvements de résistance qui ont opéré dans des conditions extraordinairement pénibles, sous un siège impitoyable de plusieurs années, mais il blâmait les « marchands de guerre » — en référence au Hamas – qui, selon le Fatah, « ne sait rien faire de mieux qu’enterrer ses jeunes gens sous les cendres ».

Quelles autres options la Résistance a-t-elle vraiment à Gaza ?

Le gouvernement d’unité conclu entre Fatah et Hamas au Camp de réfugiés de La Plage (al-Shati) en été 2014 n’a pas produit de résultats pratiques, laissant Gaza sans gouvernement fonctionnel, et avec le siège qui s’aggrave. Cette réalité, pour le moment, scelle le destin de toute solution politique impliquant une direction palestinienne unifiée.

Se soumettre à Israël est la pire solution possible.

Si la Résistance de Gaza devait déposer les armes, Israël s’efforcerait de recréer le scénario de la guerre au Liban après 1982, quand ils ont pacifié leurs ennemis en faisant usage de la plus extrême violence puis ont laissé à leur alliés collaborateurs le soin de réorganiser le paysage politique qui s’en est suivi. S’il est quelques Palestiniens qui seraient disposés à jouer ce rôle déshonorant, la société gazaouie va sans doute tout faire pour l’éviter.

Un troisième scénario où Gaza serait libre et où en même temps les souhaits politiques du peuple palestinien seraient respectés a peu de chance de se réaliser bientôt, vu qu’Israël n’a pas de raison de se soumettre à une telle option, du moins pour le moment. Cela ne nous laisse que l’option de la guerre comme seule possibilité réelle et tragique.

Dans son article intitulé « Le désir du Hamas d’augmenter les attaques en Cisjordanie pourrait provoquer une nouvelle guerre à Gaza », l’analyste israélien Amost Harel soulignait le raisonnement fondant cette logique. « Aujourd’hui, Israël et les Forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont réussi à faire échouer la plupart des machinations du Hamas », écrit-il, faisant allusion à ses allégations que le Hamas est en train de tenter de récupérer la rébellion en cours en Cisjordanie. Dans un des scénarios qu’il proposait, « Le premier est qu’une attaque victorieuse du Hamas en Cisjordanie suscitera une réponse israélienne contre le groupe à Gaza, qui entraînera les parties dans une confrontation ».

Dans la plupart des analyses des médias israéliens il y a un mépris quasi absolu des motivations palestiniennes, sinon un penchant incohérent à commettre des actes de « terreur ». Bien sûr, la réalité est rarement proche de la version auto-centrée d’Israël sur les événements, comme le soulignait justement l’écrivain israélien Gideon Levy.

Après sa dernière visite à Gaza, Robert Piper, l’émissaire de l’ONU et coordinateur humanitaire pour les TPO, a quitté la bande Gaza avec un sombre constat : seules 859 des maisons détruites au cours de la dernière guerre ont été reconstruites. Il a blâmé le blocus qui fait souffrir Gaza, mais aussi le manque de communication entre le gouvernement basé à Ramallah et le mouvement du Hamas à Gaza.

« Il n’y a pas de changement dans la fragilité fondamentale de Gaza » a-t-il déclaré à l’AFP, et la situation « se maintient sur une trajectoire franchement désastreuse de dé-développement et de radicalisation, pour autant que je puisse dire ».

A propos du blocus, il a dit « C’est un blocus qui empêche les étudiants de se rendre dans des universités pour poursuivre leurs études en d’autres lieux. C’est un blocus qui empêche les gens d’accéder aux soins de santé dont ils ont besoin ».

Dans ces circonstances, il est difficile d’imaginer qu’une autre guerre n’est pas imminente.

La tactique stratégique, politique et militaire d’Israël, telle qu’elle se présente aujourd’hui, ne permettra pas à Gaza de vivre dans un minimum de dignité. Par ailleurs, l’histoire de la résistance de Gaza rend impossible à imaginer un scénario dans lequel la Bande brandit un drapeau blanc et attend le châtiment qui lui a été assigné.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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9 février 2016 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/n...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert