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Lettre ouverte aux jeunes musulmans : l’adversité est source de victoires
dimanche 10 janvier 2016 - Ramzy Baroud
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Palestine occupée - octobre 2015 - Photo : AFP

Quand j’étais petit garçon, j’imaginais souvent être né à l’écart des difficultés du camp de réfugié à Gaza, en un lieu et en une époque sans aucun soldat, aucune occupation militaire, aucun camp de concentration et sans cette angoisse quotidienne - où mon père luttait pour notre simple survie, tandis que ma mère faisait tout ce qui était en son pouvoir pour compenser de tout son amour l’humiliation de la vie.

Devenu adulte, et en repensant à mes rêves d’enfant, je suis arrivé à une conclusion tout à fait différente : si nécessaire, je referais le même chemin, je ne changerais rien à mon passé - essayant néanmoins de le transformer - de quelque façon que ce soit. J’embrasserais chaque moment, revivrais chaque larme, chaque perte, et me réjouirais de chaque succès, même réduit.

Quand nous sommes jeunes, il est rare que l’on nous explique de ne pas craindre les souffrances et la peur, que rien ne peut être aussi profitable pour construire son identité, donner un but à sa vie et libérer son esprit que la lutte contre l’injustice. En vérité, il ne faudrait jamais faire sienne la servitude ou porter comme un badge la victimisation. Le plus simple acte de résistance à la pauvreté, à la guerre et aux injustices de toutes sortes est la premier pas, et le plus important, pour se préparer à une existence plus digne et à une vie meilleure.

Je dis ceci parce que je comprends ce que bon nombre d’entre vous doivent aujourd’hui endurer. Ma génération en a subi, dans les camps de réfugiés, la manifestation la plus violente que vous pourrez jamais imaginer. Ce sont des années difficiles et pleines de défis pour la majeure partie de l’humanité, mais d’autant plus pour vous, jeunes musulmans.

Entre le racisme des hommes politiques et des partis aux États-Unis et en Europe, le sentiment anti-musulman balayant une grande partie de la planète - propagé par des personnes égoïstes et aux objectifs sinistres, jouant sur la peur et l’ignorance - et la violence et contre-violence propagées par des groupes qui se présentent comme « musulmans », vous vous retrouvez emprisonnés dans les stéréotypes, entre les paroles de haine des médias et la violence, marqués, stigmatisés, et injustement craints.

La plupart d’entre vous sont nés ou ont grandi dans cette marginalisation sociale et politique et ne se rappellent aucun moment particulier dans votre passé où la vie était relativement normale, quand vous n’étiez pas le bouc émissaire bien pratique pour une bonne part de qui allait mal dans le monde. En fait, en toute connaissance de cause ou non, vos caractères ont été trempés par cette réalité faite d’injustices, partagés entre les accès de colère face aux mauvais traitement et les tentatives désespérées de vous défendre, pour protéger votre famille, votre communauté, votre culture et votre religion.

Avant tout, vous continuez à lutter, chaque jour, pour développer un sentiment d’appartenance, de citoyenneté dans des sociétés dont vous êtes souvent rejetés et exclus. Celles-ci exigent votre « assimilation », tout en vous poussant à l’écart chaque fois que vous vous rapprochez. C’est apparemment une tâche impossible, j’en conviens.

Et il semble que, quoi que vous fassiez, vous serez toujours en situation de dissimuler qui vous êtes et les nobles valeurs qui sont celles de votre religion. Leur racisme semble se développer, et toutes les flèches de leur haine sont tournées vers l’Islam, en dépit de vos tentatives passionnées de les convaincre du contraire.

En fait, vous comprenez difficilement pourquoi l’Islam est, en effet, le premier point dans cette dispute. L’Islam n’a jamais incité les États-Unis à partir en guerre au Moyen-Orient, à suborner vos civilisations et à tourmenter vos frères musulmans ailleurs dans le monde.

L’Islam n’a été jamais consulté quand Guantanamo a été construit pour servir de goulag dans le mépris le plus total des normes internationales en matière de droits de l’homme.

Il n’était guère question d’Islam quand les partis fauteurs de guerre, avec des agendas politiques singulièrement intéressés, ont décidé d’intervenir violemment en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen, en Afghanistan, pour ne citer que ceux-ci.

L’Islam n’était pas le problème quand la Palestine a été envahie par les milices sionistes, avec l’aide des Anglais et plus tard, des Américains, transformant la Terre Sainte en un champ de bataille pour la majeure partie du siècle dernier. Les répercussions de cet acte ont scellé le destin de la région, faisant basculer celle-ci d’une paix relative à une guerre perpétuelle, répugnante.

La même logique peut être appliquée à tout ce qui a mal tourné, et vous vous êtes souvent interrogés à ce propos. L’Islam n’a pas inventé le colonialisme et l’impérialisme, mais les Asiatiques, les Africains et les Arabes s’en sont inspiré pour combattre ce mal écrasant. L’Islam n’a pas produit l’esclavage de masse, alors qu’au contraire, des millions d’esclaves des États-Unis et de l’Europe ont été eux-mêmes musulmans.

Vous essayez de leur expliquer tout ceci, et vous insistez sur le fait que des groupes aussi vindicatifs que l’État islamique ne sont pas un produit de l’Islam mais plutôt un sous-produit de la violence, de l’avidité et des interventions étrangères. Mais ils n’écoutent pas, répliquant avec des versets choisis à bon escient dans votre Livre Sacré et qui ont été écrits pour des contextes historiques et des circonstances bien spécifiques. Vous partagez alors certains versets du Coran avec tous vos disciples sur les réseaux sociaux : « … si l’ont tue in individu, c’est comme si l’on tuait la totalité de l’humanité ; et si l’on sauve une vie, c’est comme si l’on sauvait la totalité de l’humanité… » (Sourate 5 ; Verset 32), en espérant gagner une certaine compréhension sur la sainteté de la vie humaine telle que défendue par votre religion, mais un changement fondamental d’attitude doit encore advenir.

Aussi quelques-uns parmi vous désespèrent. Certains de ceux qui vivent dans les pays occidentaux cessent de partager avec d’autres le fait qu’ils sont musulmans, évitant n’importe quelle discussion qui pourrait avoir comme résultat de les marginaliser encore plus dans des sociétés de plus en plus intolérantes. D’autres qui vivent dans des pays à majorité musulmane, hélas, réagissent à la haine par leur propre haine. Les uns et les autres naviguent entre la haine de l’autre et la haine de soi, la crainte et l’apitoiement, l’apathie contrainte, la rage et le dégoût de soi. Avec le temps, un sentiment d’appartenance devient impossible à atteindre, et comme moi lorsque j’étais plus jeune, peut-être vous demandez-vous comment les choses se passeraient si vous viviez dans une autre époque et dans un autre lieu.

Mais au milieu de toute cette adversité, il est essentiel de se rappeler que les peines dans la vie peuvent être l’occasion des meilleures leçons pour en sortir personnellement et collectivement grandi.

Vous devez comprendre qu’il n’existe guère de communauté à qui aient été épargnées les souffrances collectives dans l’histoire, qui n’ait pas subi les persécutions, le racisme, la guerre, la purification ethnique et tous les maux que les musulmans endurent en ce moment, de la Syrie à la Palestine et jusque dans l’Amérique de Donald Trump. Ce n’est en rien « une excuse » mais c’est un rappel important que vos difficultés ne sont pas uniques parmi les nations. Il se peut simplement que tout ceci marque l’heure d’apprendre certaines des leçons les plus précieuses de la vie.

Pour surmonter ces difficultés, vous devez d’abord être absolument clair sur qui vous êtes. Vous devez tirer de la fierté de vos valeurs, de votre identité. Ne cessez jamais de combattre la haine par l’amour, d’aller de l’avant, d’éduquer, d’appartenir à votre communauté. Si vous renoncez, alors le racisme l’emporte et vous perdez cette occasion sans égale d’un progrès individuel et collectif.

Il m’arrive de plaindre ceux qui sont nés trop privilégiés : bien qu’ils aient accès à l’argent et aux biens matériels, ils peuvent difficilement apprécier le genre d’expériences que seule la souffrance peut apporter. Aucune sagesse n’est possible sans expérience de la souffrance.

Et si vous êtes sur le point de céder, tenter de vous souvenir que Dieu « ne charge pas une âme au delà de cela qu’elle peut supporter. » (Sourate 2 ; Verset 286).

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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30 décembre 2015 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.ramzybaroud.net/an-open-...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah