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Hana Shalabi, une guerrière de la faim
mardi 22 décembre 2015 - Ramzy Baroud
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Hana Shalabi après sa libération, posant pour les caméras dans l’hôpital Al-Quds à Gaza le 2 avril, 2012

Au bout d’une semaine où elle n’avait rien pris d’autre que quelques gorgées d’eau chaque jour, son corps a tout simplement cessé de fonctionner normalement. Au lieu de dormir, elle se mettait à délirer, en proie à des hallucinations fiévreuses où les souvenirs et l’angoisse de l’avenir se mélangeaient en une symphonie de terreurs nocturnes.

J’ai interviewé Hana récemment pendant des heures, au cours de plusieurs entrevues, pour essayer de comprendre ce qui l’avait poussée à risquer sa vie pour obtenir sa liberté conditionnelle dans la bande de Gaza. Je voulais faire de son histoire un emblème de l’utilisation des grèves de la faim comme forme de lutte politique dans les prisons israéliennes. Actuellement plus de 7000 prisonniers palestiniens sont détenus dans les prisons israéliennes, plus de 500 d’entre eux sans procès.

Hana est née le 7 février 1982, l’année où les factions palestiniennes ont été chassées du Liban et où les réfugiés de Sabra et Chatila camps ont été assassinés en masse. Quand son père, Yahya, et sa mère, Badia, n’ont plus pu avoir d’enfants, le décompte final était de dix. Sur les six filles, Hana était quelque part au milieu, après Najah, Salam et Huda, et avant Wafa et Zahira. Samir était le plus jeune des frères, et n’avait que deux ans de plus qu’Hana.

La famille d’Hana est originaire de Haïfa. Ils ont été chassés de cette belle ville portuaire, avec des centaines de milliers d’autres personnes qui constituent aujourd’hui la majeure partie des réfugiés palestiniens. Après un voyage relativement bref mais très pénible, ils se sont installés dans le village de Burqin, pas loin de Safad, dans le nord, à proximité de la ville et du camp de réfugiés de Jénine.

Burqin, qui se niche non loin de la vallée de Marj Ibn Amer, a offert aux Shalabis un répit temporaire dans leur dure existence. Mais le ce répit a été brutalement interrompue lorsque Hana était encore un enfant. Elle avait huit ans et était en train de manger un gros sandwich de Za’tar et d’œufs quand Mohammed, un garçon du quartier, s’est précipité sur elle, à toute vitesse.

Il est tombé à genoux et lui a dit dans un murmure : « S’il te plaît aide-moi. » Elle est restée pétrifiée. Quand il s’est finalement effondré, il avait un grand trou derrière la tête. Il avait été abattu par l’armée israélienne, un peu plus tôt. Cela s’est passé pendant le premier soulèvement, et le garçon était un de tous ceux qui ont été tués à Burgin. Hana a rejoint la rébellion en ramassant des cailloux pour les garçons qui affrontaient les soldats qui faisaient des raids presque quotidiens dans le village.

Hana, qui a maintenant 33 ans, parle de ces souvenirs avec la même pureté que celle de l’enfant submergée par une euphorie révolutionnaire dont elle-même avait du mal à comprendre la cause. La mort de Mahomet l’avait mise en colère, et voilà tout.

Elle a grandi dans la colère, habitée par une rage que partageaient beaucoup de ceux qui l’environnaient. Son frère, Omar, avait rejoint les Black Panthers dont les membres étaient tous des fils de paysans et d’ouvriers arabes exploités en Israël. Ils se retrouvaient dans des grottes profondes dans les montagnes où ils se cachaient pendant des jours avant de descendre dans les villages, masqués et armés, pour inciter les gens à faire la grève et à se rebeller. Mais quand Omar a été blessé lors d’une altercation nocturne avec les soldats, tout le monde a appris son secret, y compris son père, Yahya, qui a réalisé, atterré, que ses efforts incessants pour garder ses enfants hors de danger avaient lamentablement échoué.

L’histoire d’Omar s’est répétée, encore et encore, avec ses autres frères et sœurs, presque tous impliqués dans la résistance d’une manière ou d’une autre. Huda, la sœur aînée, a été emprisonnée pour avoir soi-disant tenté de poignarder un soldat ; peu après, son fiancé a été pris en embuscade et tué par l’armée israélienne. Son nom était Mohammed al-Sadi. Il a été tué alors qu’il venait la demander en mariage. Huda a appris son assassinat à la radio.

Samir était le plus jeune des garçons. Les soldats, qui perquisitionnaient régulièrement le domicile de la famille Shalabi, le terrifiaient. Il se cachait sous le lit pendant qu’ils détruisaient tout dans la maison, déchiraient ses livres de classe et urinaient dans leurs réserves d’huile d’olive. A 13 ans, il a quitté l’école et, quelques années plus tard, il s’est procuré un pistolet et a rejoint la Résistance, vivant la plupart du temps dans les montagnes. Lorsque l’armée israélienne l’a tué, il était l’un de 17 autres jeunes marqués du sceau de la mort, tous des combattants de diverses factions. Il a été tué avec un camarade près de la vallée où il jouait et aidait son père aux travaux de la terre quand il était petit.

Samir avait la passion des chevaux et Hana, en grandissant, a appris elle aussi à aimer les chevaux. Cependant, elle a refusé de devenir vétérinaire comme son père l’y enjoignait. Elle voulait aller étudier le droit en Tunisie, un rêve qui n’a toujours pas pu se réaliser.

Samir était son meilleur ami. Ils n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre, et, juste avant qu’il ne parte pour sa dernière bataille, il lui avait demandé de veiller à ce que son cercueil soit recouvert de fleurs, surtout d’Hanoun rouge, une fleur sauvage qui pousse autour de Burgin. Elle a tenu sa promesse.

Plus tard, les Israéliens l’ont arrêtée. Ils l’ont enfermée dans un cachot souterrain et l’ont soumise à des mois de violentes tortures physiques et psychologiques. Voyant qu’ils n’obtenaient rien, ils l’ont condamnée à six mois de détention administrative qui a été renouvelée à plusieurs reprises. Après avoir passé des années en captivité, elle a été libérée le 18 octobre 2011 de la prison de Hasharon. Sa libération, et celle de centaines d’autres prisonniers, a été le résultat d’un accord entre le Hamas et Israël pour la libération d’un soldat israélien qui avait été capturé par la Résistance des années auparavant.

La célébration a duré des mois ; quand elle s’est terminée, Hana a été de nouveau arrêtée et jetée en prison. Sa dernière expérience a été encore plus humiliante et Hana répugne à s’appesantir sur elle et à donner des détails. Le jour de sa deuxième arrestation, le 16 février 2012, ses geôliers ont été particulièrement brutaux, mais elle a également fait preuve d’une détermination exceptionnelle. Le journal israélien « Yediot Ahronot » a affirmé qu’Hana complotait de kidnapper un soldat, mais Hana a refusé de discuter avec ses interrogateurs. Elle a entamé une grève de la faim de 47 jours. Pour sa liberté.

Au dernier stade de sa grève, quand la mort était imminente, elle a ouvert les yeux dans un hôpital israélien. Ses bras et ses jambes étaient enchaînés au lit. Elle était à Haïfa, une découverte qui a amené un sourire sur ses lèvres. « C’est la terre d’où ma famille est originaire, » a-t-elle murmuré avec un large sourire. Sa déclaration a été communiquée aux gardes, puis aux autorités de la prison qui ont ordonné son expulsion immédiate de Haïfa. Hana n’était jamais venue à Haïfa* et, pour un court moment, elle avait caressé l’idée d’y mourir.

Suite à un accord signé dans des conditions suspectes, elle a mis fin à sa grève de la faim en échange de sa liberté, mais elle a été déportée dans la bande de Gaza. L’accord stipulait qu’Hana serait autorisée à revenir en Cisjordanie trois ans plus tard, mais elle n’a jamais reçu l’autorisation.

Hana dit qu’il faut aimer la vie, même à l’intérieur des frontière de Gaza assiégée et déchirée par la guerre. « Sinon, les Israéliens gagnent. Je ne veux pas leur donner cette satisfaction, » me dit-elle. « La Résistance nous recommande de profiter de notre mieux de la vie malgré les souffrances. »

Elle rêve toujours de voyager, d’explorer le monde, et de voir un jour autre chose que l’horizon familier de Gaza assiégée.

(Cet article est basé sur le chapitre intitulé : Death Note, dans mon livre à venir sur l’histoire du peuple de Palestine.)

Note :

* C’est difficile à imaginer mais, tandis que les Juifs israéliens circulent comme ils veulent en Palestine, les Palestiniens des territoires occupés ne peuvent quasiment aller nulle part. La plupart des enfants palestiniens n’ont jamais vu la mer qui n’est pourtant parfois qu’à quelques kilomètres de chez eux.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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14 décembre 2015 - Middle East Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
https://www.middleeastmonitor.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet