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Les Rohingyas et les généraux : à quand la fin des persécutions ?
dimanche 6 décembre 2015 - Ramzy Baroud
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Rohingyas réfugiés, au large des côtes de la Thaïlande - Photo : AFP/Christophe Archambault

« Les résultats officiels sont encore en train d’être calculés, » écrit-il, « mais tous les indicateurs témoignent jusqu’à présent de la plus rare des choses : un gouvernement autoritaire qui abandonne pacifiquement le pouvoir dans ce que les observateurs extérieurs au processus électoral ont estimé être un vote crédible. »

Fuller, qui ne dit pas un mot sur la minorité Rohingya persécutée et peu de choses sur les autres millions de Birmans qui ont été privés de la possibilité de voter, n’a fait que contribuer à l’apparente et déconcertante euphorie des médias à propos de la prétendue démocratie dans le pays.

Faisant un reportage depuis la Birmanie, Timothy McLaughlin a traité directement de la question des Rohingyas. Toutefois, il a voulu avancer le sentiment trompeur que la minorité opprimée, qui a été exclue du vote, peut voir une « lueur d’espoir » dans le résultat des élections.

Selon les résultats, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), sous la direction de Mme Aung San Suu Kyi, a remporté une victoire éclatante sur ses rivaux du parti au pouvoir en obtenant 348 sièges, tandis que les militaires qui contrôlent le pouvoir en place depuis 1962 n’en obtenaient que 40.

Il n’y a aucune base réelle pour cette supposée « lueur d’espoir », mis à part une déclaration très vague faite par Win Htein de la NLD disant que la Loi sur la citoyenneté de 1982 « doit être revue » - une loi qui a servi de base à la discrimination contre les Rohingyas.

Les commentaires de Win Htein ne représentent aucun engagement, au mieux. Au pire, ils sont franchement malhonnêtes.

La Loi sur la citoyenneté « doit être revue parce qu’elle est trop extrême ... [nous devons] revoir la loi et apporter les modifications nécessaires afin que nous envisagions que ces gens qui sont déjà dans notre pays, peut-être la deuxième génération, puissent être considérés comme des citoyens, » a-t-il dit à Reuters.

Ses commentaires mettent en avant le mythe selon lequel le bien plus d’un million de Rohingyas sont « Bengalis » et ne seraient venus en Birmanie que récemment comme immigrants en quête d’un abri.

Alors que la Birmanie, comme de nombreux autres pays de la région, a sa juste part d’immigrants, le fait est que la plupart des Rohingyas musulmans sont originaires de l’État de « Rohang » (à l’origine un royaume indépendant), officiellement connu sous le nom de Rakhine, ou Arakan.

Au fil des ans, en particulier entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, les habitants de l’Arakan ont été rejoints par des ouvriers à bas prix forcés de quitter le Bengale et l’Inde, et qui se sont installés de façon permanente.

Pendant des décennies, la tension n’a fait qu’augmenter entre bouddhistes et musulmans de la région. Finalement, la majorité, soutenue par une junte militaire, a prévalu sur la minorité qui ne disposait d’aucun soutien régional ou international significatif.

Une marée montante du nationalisme bouddhiste a atteint des niveaux génocidaires au cours des dernières années, et elle vise non seulement les Rohingyas musulmans mais aussi les groupes minoritaires chrétiens, parmi d’autres encore, dans le pays.

La population Rohingya de l’Arakan, estimée à près de 800 000 personnes, survit entre le cauchemar de n’avoir aucun statut juridique (car ils sont toujours privés de citoyenneté et ne disposent de quasiment aucun droit) et les purges ethniques régulières effectuées par leurs voisins.

Alors que les bouddhistes ont aussi payé un prix dans les affrontements, les Rohingyas apatrides, isolés et sans défense, sont ceux qui ont payé le plus lourd tribut de morts et de destructions.

Écrivant dans The Ecologist, Nafeez Ahmed a mentionné les nouveaux résultats alarmants menées en octobre dernier par l’Initiative international sur le crime d’État à l’Université Queen Mary de Londres, qui « attestent que les Rohingyas font face aux dernières étapes d’un processus génocidaire. »

« Des documents gouvernementaux rendus publiques montrent que les plans pour leur infliger des ’destruction massives’ ont été préparés au plus haut niveau », écrit-il.

Non seulement les élections paralysent et aliènent encore davantage les Rohingyas, mais elles renforcent aussi les groupes politiques qui ont ouvertement fait l’apologie de la « destruction massive » de cette minorité sans défense, dont la majeur partie vit dans un dénuement total dans des camps de réfugiés verrouillés, tandis que des milliers ont péri en mer en voulant échapper à la violence.

Un de ces groupes nationalistes est le Parti national Arakan (ANP), qui a lancé des campagnes de haine et des pogroms violents contre les Rohingyas depuis des années.

En fait, le nettoyage ethnique des Rohingyas est le principal cri de ralliement pour un groupe qui a maintenant gagné 29 représentants au niveau national dans Rakhine, et qui dispose également d’un « contrôle décisif sur l’assemblée régionale de l’État », selon l’agence Reuters.

La triste réalité est que la plupart des rapports sur les élections en Birmanie véhiculent de faux espoir que la démocratie a finalement prévalu dans le pays, et ignorent souvent complètement le sort des Rohingyas.

Mais comment peut-on avec un degré raisonnable de connaissance du contexte politique, historique et constitutionnel des élections de novembre, ignorer tous ces dramatiques écarts de l’armée-championne du programme « discipline nourrissant la démocratie », annoncé en août 2003 par le général Khin Nyunt ?

Les généraux birmans ont organisé toutes les facettes de leur imposture démocratique depuis les début des années 1990, afin de donner l’illusion de la démocratie tout en conservant le pouvoir.

Après que le résultat des élections de 1990 n’ait pas été en leur faveur, ils ont écrasés leurs adversaires et ont placé les dirigeants de la LND sous état d’arrestation à domicile ou les ont mis en prison.

Cette action, cependant, leur a coûté un isolement international, à l’exception de la Chine et de quelques pays de l’Association Sud-Est asiatique.

Pendant des années, les généraux ont acquis le savoir-faire nécessaire pour fabriquer un système qui leur permettrait de gouverner le pays tout en faisant des gestes symboliques pour répondre aux timides requêtes des États occidentaux pour la démocratisation et le pluralisme.

Les dernières élections ont été, de loin, le plus grand succès de ces dernières années du régime des généraux.

Ce système retors est ancré en partie dans la Constitution de 2008, « qui élève les intérêts fondamentaux de l’armée (comme le budget militaire, les nominations, les conglomérats d’affaires et les questions de sécurité) au-dessus de la loi et du contrôle parlementaire », a écrit Maung Zarni dans le Guardian.

Selon la constitution controversée, « l’armée est le dépositaire ultime d’un pouvoir disciplinaire sur un gouvernement élu ou un député qui ose écarter de la voie choisie par l’armée et de sa définition de la démocratie parlementaire. »

En fait, en juin dernier, l’armée a contrecarré une tentative de parlementaires de faire abroger son droit de veto.

Ceci est la raison pour laquelle l’armée conserve la haute main sur le pays, peu importe qui gagne ou perd les élections.

En se réservant un quart des sièges au parlement, l’armée continuera à profiter d’un droit de veto.

Alors pourquoi y a-t-il toute cette excitation à propos de la démocratie birmane ? C’est simple - la rivalité entre la Chine, les États-Unis et leurs alliés respectifs a atteint un point où la masse de richesses inexploitées en pétrole et en gaz naturel en Birmanie ne peut plus être ignorée.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays salivent littéralement devant le potentiel illimité de possibilités économiques dans ce pays, estimées à « 3,2 milliards de barils de pétrole et 18 milliards de pieds cubes de réserves de gaz naturel. »

Selon un rapport du gouvernement britannique, sous le titre : « un point chaud pour l’exploration, » les « ressources [birmanes] non confirmées peuvent être considérablement plus larges. »

Avec la Birmanie se plaçant parmi les cinq premiers pays au monde en terme de réserves établies de pétrole et de gaz, il n’est pas étonnant que les mots de génocide, junte militaire et droits humains aient brutalement et largement disparu du nouveau discours.

En effet, un tout nouveau récit idyllique est maintenant rédigé, écrit conjointement par l’armée birmane, les partis nationalistes, la LND d’Aung San Suu Kyi, les investisseurs occidentaux et toute autre personne qui se met sur les rangs pour bénéficier des richesses de l’un des pires régimes violateurs des droits de l’homme dans le monde.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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18 novembre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/r...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah