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Appel palestinien à une « guerre sans armes »
jeudi 19 novembre 2015 - Jonathan Cook
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La résistance non violente des femmes pendant la première Intifada

Pendant que la presse titrait sur les affrontements entre jeunes Palestiniens et soldats israéliens armés, comme toujours Israël renforçait tranquillement sa mainmise sur les vies palestiniennes dans les Territoires occupés.

La semaine dernière à Hébron, cette éternelle poudrière, 50 familles assiégées vivant toujours dans le quartier de Tel Rumeida subissaient de nouvelles restrictions de mouvement pour contribuer à dégager la zone en vue de nouvelles implantations juives.

On pouvait voir des habitants de Tel Rumeida faisant silencieusement la file au poste de contrôle local pour enregistrer leurs cartes d’identité. Toute personne ne résidant pas dans le quartier et ne figurant pas sur la liste militaire sera interdite d’entrée.

La réaction des habitants différait fortement de celle d’il y a 21 ans, lorsqu’ils furent confrontés à une injonction similaire. A cette époque, le quartier tout entier avait refusé d’aller s’enregistrer. Israël les punit par un couvre-feu de six mois, n’autorisant les familles à sortir que quelques heures par semaine pour aller acheter à manger.

La façon de répondre à des ordres militaires de ce type est au cœur d’un débat qui revit parmi les Palestiniens quant aux mérites respectifs de la lutte armée et de la résistance non-violente.

En début d’été, un sondage a montré que 49 % des Palestiniens âgés de 18 à 22 ans étaient pour un soulèvement armé. En septembre, après les premiers heurts à Jérusalem, ce chiffre était passé à 67 %. Cette fluctuation peut s’expliquer en partie par l’inévitable soif de revanche des Palestiniens qui voient leurs compatriotes tués et blessés par les soldats israéliens.

Mais elle reflète également le vide de la direction et de la stratégie palestinienne. Les Palestiniens ont été ballottés entre camps divisés, pour simplifier, opposant la rhétorique de lutte armée du Hamas à la diplomatie bloquée de Mahmoud Abbas et de son Autorité palestinienne.

La non-violence occupa naguère une place centrale dans la résistance palestinienne à l’occupation. Pendant la première intifada à la fin des années 1980, les Palestiniens s’engagèrent en masse dans la désobéissance civile : ils refusèrent de coopérer avec les autorités militaires, brûlèrent leur carte d’identité, refusant de payer les taxes et organisant des grèves.

Cette approche n’a jamais entièrement cessé. Aujourd’hui elle trouve son expression dan les manifestations et les marches hebdomadaires par des communautés villageoises contre les vols de terre et le Mur accaparant des terres agricoles palestiniennes. Ces protestations restent largement pacifiques, même face à une brutalité armée incessante.

Mais l’usage de la non-violence s’est limité à des luttes locales, menées avec l’objectif de modestes victoires isolées. Il a donc invariablement coexisté avec des approches plus violentes, depuis les caillassages jusqu’aux actuelles attaques à l’arme blanche.

La faute incombe largement à Abbas qui s’est approprié le langage de la non-violence tout en omettant de l’atteler à une stratégie nationale de résistance. Même le soutien de l’AP aux luttes des villageois contre le Mur palestinien n’a été accordé qu’à contrecœur.

Dans l’esprit de nombreux Palestiniens la non-violence est contaminée par l’association avec l’inefficacité de l’ère Abbas : ses tentatives désespérées et ratées d’amener Israël à négocier la paix tout en faisant de la lèche à Washington. Le sommet fut atteint avec sa déclaration sur le statut « sacré » de la coordination de l’AP avec Israël.

Les exigences préjudiciables de non-violence lancées régulièrement aux Palestiniens par des médiateurs malhonnêtes comme Washington ont elles aussi été contre-productives. Le mois dernier encore, les Palestiniens ont eu droit au blâme du Secrétaire d’État John Kerry lors des affrontements : « Il n’y a pas d’excuse pour la violence » les a-t-il réprimandés, ignorant les décennies de violences israéliennes pour annihiler les efforts des Palestiniens pour se libérer.

Certains intellectuels palestiniens défendent néanmoins la résistance non-violente et mettent en garde contre un soulèvement armé. En vertu du droit international, les Palestiniens ont le droit de résister à l’occupation même par la violence, mais ce groupe souligne la futilité d’une violence confrontée à la supériorité militaire d’Israël. Leur argument est d’ordre pragmatique.

Dans un article titré « Ne sortez pas pour mourir, la Palestine a besoin de vous vivants », le journaliste Mohammed Daraghmeh a appelé les Palestiniens à « canaliser la colère nationale vers la protestation de masse ». Rappelant que c’est l’Occident qui a créé le conflit et qui doit le régler, Daraghmeh met en garde : « Il n’en fera rien si nous nous suicidons ».

De même le consultant Sam Bahour a forgé le terme « smart resistance », arguant que toutes les factions palestiniennes devraient s’engager dans une résistance non-violente comme voie de la libération nationale.

Tous deux ont évoqué des stratégies de solidarité collective et de sacrifice commun – comme en ont donné l’exemple les habitants de Tel Rumeida il y a deux décennies.
Moubarak Awad, l’un des architectes de la résistance non-violente pendant la première intifada, soulignait récemment que ce n’est pas une option molle. « Il s’agit d’utiliser la non-violence sur un mode militant, comme une sorte de guerre sans les armes » a-t-il dit dans une interview.

Au lieu de refuser de porter les cartes d’identité émises par Israël : braver les couvre-feux, bloquer les routes, planter des arbres sur les sites destinés à des colonies, arracher des clôtures, organiser des sit-in et convier à des arrestations en masse pour saturer les prisons israéliennes. De telles actions exigent une participation de masse, la mobilisation des femmes, des enfants et des personnes âgées – précisément les groupes censés être exclus de la lutte armée.

Comme le note Awad, la non-violence nécessite aussi des gens rodés à ses techniques et à ses principes. C’est pourquoi il a traduit en arabe les enseignements de Gandhi et de Martin Luther King.

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Moubarak Awad, surnommé le "Gandhi palestinien" est un Palestino-américain spécialiste de la non-violence et de la désobéissance civile, qu’il enseigne dans divers pays - Photo : 972mag

Les organisateurs et stratèges politiques tels que Awad ont toujours figuré en tête de la liste israéliennes des arrestations. Il a été emprisonné et torturé au début de la première intifada et ensuite expulsé aux Etats-Unis.

La puissance de la résistance non-violente disciplinée, ajoute-t-il, c’est qu’elle impose à l’occupant un lourd fardeau : « gérer notre volonté de nous lever [pour nous défendre] nous-mêmes, sans rien d’autre que nos corps et nos cœurs ». Cela contraint les Israéliens à « choisir quelle sorte de gens ils sont » et provoque divisions et dissidences au sein de la population qui opprime, affaiblissant sa détermination ».

C’est un message interpellant, surtout au moment où Israël écrase aussi implacablement l’espoir et la dignité des Palestiniens. Mais Awad argumente que c’est précisément en faisant montre d’une humanité irrépressible que les Palestiniens peuvent redécouvrir l’espoir, réclamer leur dignité et gagner leur liberté.

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* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jonathan-cook.net

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11 novembre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM