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Jérusalem : un chaos annonciateur
jeudi 5 novembre 2015 - Jonathan Cook
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Les violences exercées par les troupes d’occupation à l’encontre des fidèles musulmans voulant se rendre sur l’esplanade des Mosquées, sont quasi-quotidiennes - Photo : AFP

La décadence progressive de l’autorité du Fatah et du Hamas au fil des années qui ont suivi les accords d’Oslo, ainsi que les factions palestiniennes qui se sont montrées incapables de protéger leur peuple de la violence structurelle de l’occupation, constituent des éléments déclencheurs du malaise des jeunes orphelins palestiniens qui ont décidé de descendre dans la rue, armés de pierres.

Le désespoir croissant et le sentiment d’abandon ont poussé quelques jeunes dits « loups solitaires » à épancher leur colère sur les israéliens, en improvisant des armes comme les couteaux, les tournevis et les voitures. Ces attaques ont eu un impact médiatique et ont attiré l’attention du public car elles évoquent le souvenir des kamikazes de la seconde intifada. Mais il faut dire que ces actions sont principalement le baromètre du désespoir palestinien.

Le centre de ces événements est Jérusalem, point de discorde au cœur duquel se trouve la mosquée Al-Aqsa, le seul symbole unificateur des Palestiniens. Pour ces derniers, la prise de contrôle progressive du site ainsi que l’indifférence de l’Occident sont des éléments qui les replongent, au ralenti, dans le douloureux épisode de la dépossession de 1948.

En outre, Jérusalem est la principale ligne de faille. Son annexion illégale par Israël a resserré l’étau sur les Palestiniens là-bas en les isolant complètement et en les transformant en des citoyens indéfiniment apatrides et extrêmement vulnérables.

Et enfin, les caméras et appareils photos des smartphones ont permis aux Palestiniens de raconter leurs souffrances et d’être les témoins directs des actes personnels de résistance et d’abnégation de leurs compatriotes.

Vues de l’extérieur, ces attaques peuvent être consternantes, mais pour beaucoup de Palestiniens, elles représentent ce moment de déclic où l’individu affirme, un bref instant, sa position et riposte au nom de tout un peuple soumis et humilié.

Et lorsque nous nous penchons sur les différentes appellations qu’on donne à ces événements, nous découvrons une autre facette très importante de l’actuelle lutte palestinienne, à savoir sa nature dépourvue d’organisation.

Israël a presque achevé son plan de division et d’enfermement des Palestiniens au sein d’enclaves isolées. Et lorsque les portes de ces prisons se referment, les jeunes Palestiniens s’en prennent à ses gardiens qui sont à portée de main.

Le peuple palestinien se trouve au cœur de divisions géographiques très enracinées, et politiques qui ne font qu’affaiblir ses dirigeants. Ce sont ces raisons qui font que les Palestiniens peinent à trouver une vision unificatrice ou un principe d’organisation. En effet, doivent-ils d’abord s’attaquer à leurs occupants ou bien à leur leadership usé et dépourvu d’influence ?

En parallèle, ce manque de planification et de discipline a dévoilé les propres limites d’Israël qui dispose de peu de mesures, sinon provisoires, pour se défendre des manifestants. Ses services de renseignements ne peuvent pas prévoir le loup solitaire, ses armes à feu ne peuvent pas décourager le couteau, sa force militaire ne peut pas apaiser l’envie et le besoin pour la justice et la dignité.

Curieusement, face à tout cela, nous assistons à une perte parallèle de contrôle et de leadership chez la partie israélienne.

Des lyncheurs juifs sillonnent Jérusalem et les villes israéliennes en scandant : « Mort aux Arabes ! » Un soldat nerveux provoque un vacarme infernal en tirant un coup de fusil dans un wagon de train suite à une fausse alerte terroriste. Un juif israélien poignarde son concitoyen parce qu’il ressemble aux « Arabes. »

Pendant ce temps, les politiciens et les commissaires de police alimentent et répandent la peur. Ils appellent les citoyens à se faire justice par eux-mêmes. L’accès dans les villes israéliennes est interdit aux travailleurs palestiniens. Les couteaux sont retirés des étals des supermarchés israéliens tandis que près de 8000 citoyens israéliens, au lendemain de l’assouplissement des lois sur le port d’armes, se précipitent dans des files interminables pour s’en acquérir.

Ce comportement reflète une forme d’hystérie, un sentiment accru de victimisation parmi les Israéliens, entretenu et nourri par les vidéos des attaques aux couteaux. Mais en réalité, cette humeur et cette atmosphère ont toujours été là, bien avant les bouleversements actuels.

C’est aussi le signe de blanchiment progressif dans le courant dominant de l’anarchie pratiquée par les colons. Le slogan le plus populaire utilisé au fil des semaines précédentes est : « Les mains de l’armée sont liées. » Et les civils Israéliens croient sans doute qu’ils doivent prendre le relais, c’est-à-dire, prendre les armes.

Après six années consécutives au pouvoir, l’extrême droite n’a jamais été remise en cause par les Israéliens qui, au lieu de blâmer leur gouvernement pour sa politique d’acharnement qui produit un retour de flamme, demandent encore plus de force à l’encontre des Palestiniens.

Les sondages montrent que la personne la mieux placée pour sortir la nation de la crise est Avigdor Lieberman, l’ancien videur Moldave devenu plus tard l’homme dur de la droite israélienne. Des solutions à la crise sont appliquées, mais les plus brutales sont celles que connait Jérusalem-Est où les Palestiniens se retrouvent davantage enfermés et verrouillés dans des ghettos de quartiers.

La « capitale éternelle et unifiée » d’Israël est découpée par des barrages routiers et des obstacles. Les habitants palestiniens sont contraints d’endurer les fouilles et les insultes au quotidien, une situation qui ne fera que semer les graines de la fureur et de la résistance.

Et pendant qu’Israël tente de fermer complètement la porte de Jérusalem et d’emprisonner ses résidents, leurs pairs ailleurs, à Gaza, menacent de défoncer la porte de leur prison à ciel ouvert. C’est avec une grande inquiétude que les dirigeants israéliens ont, au cours de la semaine écoulée, découvert les brèches répétées dans la clôture qui enferme Gaza, l’œuvre de jeunes gens excédés par leur propre misère et exaspérés par les événements que connaissent les autres parties de la prison.

Les tensions et les troubles actuels pourraient bien diminuer, néanmoins, de plus en plus de vagues de protestations d’une intensité accrue ne sauront tarder.

Jafar Farah, un dirigeant palestinien en Israël, a prévenu que ce qui est aujourd’hui un conflit national risque de se transformer en douceur en une guerre civile, celle définie par la solution dévalorisée à un seul État qu’Israël impose.

La violence chaotique des semaines précédentes semble être un avertissement de l’avenir ; un avenir vers lequel se précipite Israël.

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* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth). Ses derniers livres sont : "Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East" (Pluto Press) et "Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair" (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jonathan-cook.net.

Du même auteur :

- Dans une guerre sans fin contre le terrorisme, nous sommes tous voués à devenir des Palestiniens - 3 septembre 2015
- La misère sans fin qu’inflige Israël à Gaza n’est pas une politique -31 juillet 2015
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19 octobre 2015 – Jonathan Cook – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.jonathan-cook.net/2015-1...
Traduction : Info-Palestine.eu->/spip.php?art... - Niha