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Il faut reconnaître l’évidence : c’est l’Autorité Palestinienne contre le peuple
dimanche 1er novembre 2015 - Ramzy Baroud
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Les flics d’Abbas bloquent des manifestants voulant atteindre le siège de l’Autorité palestinienne dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 1er Juillet 2012 - Photo : APA/Issam Rimawi

Saeb Erekat est un personnage énigmatique. Malgré une popularité minimale chez les Palestiniens, il est omniprésent, fait des apparitions régulières à la télévision et s’exprime avec l’autorité morale d’un dirigeant accompli dont l’héritage est riche en éloges et se caractérise par une clairvoyance, une perspicacité sans faille.

Lors d’un sondage auprès des Palestiniens fait par le Jerusalem Media and Communications Center (JMCC), très peu de temps avant le début de l’actuelle Intifada, il n’a recueilli que 3% d’avis favorables – comparés aux pourtant bien maigres 16% d’avis favorables de son chef, le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas.

Même ceux que l’on désigne souvent comme des dirigeants de rechange – le dirigeant du Fatah, Marwan Barghouti, et l’ancien Premier Ministre du gouvernement du Hamas à Gaza, Ismail Haniyeh – étaient loin derrière avec respectivement 10,5 et 9,8% des sondages.

C’était comme si les Palestiniens nous disaient à nous et à leurs directions traditionnelles, en particulier, qu’ils en avaient assez de la vieille rhétorique, des perpétuelles trahisons, de la corruption éhontée et de la culture pure et simple de la défaite dans laquelle baigne l‘élite politique palestinienne depuis une génération.

Abbas a géré sa fonction politique en se fondant sur l’hypothèse que, tant que les Palestiniens recevaient leur salaire mensuel et se contentaient de ses promesses creuses et de ses menaces occasionnelles – de démissionner, de résister à Israël, de faire un discours explosif à l’ONU, etc. – alors personne ne serait susceptible de contester son règne dans les zones A et B – minuscules cantons à l’intérieur de la Cisjordanie et de Jérusalem occupées par Israël.

Erekat a été le principal artisan de cette mascarade de l’AP, car c’est lui le ‘négociateur en chef’, dont le mandat à rallonge à ce poste précaire n’a rien négocié qui ait une quelconque valeur pour les Palestiniens.

En 2002, j’ai suivi l’invasion israélienne des zones prétendument autonomes sous contrôle de l’AP en Cisjordanie, lorsque Erekat en appela, sur la chaîne de télévision arabe Al-Jazeera, au gouvernement israélien pour qu’il fasse preuve de raison et de bon sens. Toute la prestation de la direction de l’AP faisait la preuve, au-delà du tragique, qu’elle n’avait aucune autorité réelle propre, et aucun contrôle sur les évènements qui se déroulaient sur le terrain, alors que les combattants palestiniens luttaient contre la ré-invasion de l’armée israélienne. Il en appelait à Israël comme s’il se sentait sincèrement trahi par son offensive militaire.

Quand Al Jazeera publia des milliers de documents secrets en janvier 2011, révélant des discussions à huit clos entre les négociateurs israéliens et palestiniens, la part du lion de la responsabilité revenait à Erekat. Muni d’un mandat clair de ses supérieurs, il semblait ne pas être intéressé par de nombreuses aspirations politiques des Palestiniens, y compris la souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est occupée – l’étincelle qui mit le feu aux poudres de l’actuelle Intifada et de la précédente.

Il offrit à Israël la « plus grande Yerushalayim de l’histoire juive, le retour d’un nombre symbolique de réfugiés, un état démilitarisé … que puis-je donner de plus ? » propos cités dans les Palestine Papers.

Ce qui est particulièrement intéressant concernant Erekat, et qui vaut aussi pour la plupart des dirigeants et responsables de l’AP, c’est qu’en dépit du rôle dévastateur qu’ils aient jouer – qu’ils continuent de jouer, que ce soit par incompétence politique ou pure corruption – ils ne semblent pas disparaître. Ils peuvent changer de fonction, graviter dans les mêmes cercles de dirigeants ratés, mais ils tendent à refaire surface et à régurgiter inlassablement le même discours usé, les mêmes clichés, menaces et promesses creuses.

Après être rentrés en coulisses pendant quelques semaines tandis que les jeunes de l’Intifada descendaient dans la rue pour protester contre l’occupation israélienne, les porte-paroles de l’AP, Erekat y compris, sont de retour sur la scène, se livrant à ce discours totalement inepte sur les opportunités de paix gaspillées, les deux états, comme si la paix avait jamais été à portée de main, et si la prétendue ‘solution à deux états’ avait jamais été une solution.

Dans une récente interview donnée à ‘UpFront’ d’Al-Jazeera, Erekat a prévenu que l’AP était à deux doigts de fermer, comme si l’existence même de l’AP avait en soi un quelconque mérite. Mise en place en1994 comme organisme politique de transition qui servirait de guide dans le processus d’indépendance palestinienne, l’AP s’est transformée en bras sécuritaire servant de première ligne de défense à l’armée israélienne, en plus de protection de ses propres intérêts.

Des milliards de dollars plus tard, et après un entraînement militaire intensif fourni par les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Italie, et d’autres pays européens et arabes ‘modérés’, les forces de sécurité de l’AP ont fait un magnifique travail en matière de répression de toute dissidence chez les Palestiniens.

Alors, pourquoi Erekat met-il en garde contre l’effondrement de l’AP, comme si la pauvre direction de Ramallah était au centre de toutes les aspirations qu’aient jamais eu les Palestiniens ? « Très bientôt, Netanyahou se trouvera être le seul responsable entre le Jourdain et la Méditerranée, parce qu’il est en train de détruire l’Autorité palestinienne, » a averti Erekat.

Et alors ? Selon les conventions de Genève qui désignent Israël comme puissance occupante, Netanyahou est, en effet, responsable de la protection sociale , la sécurité, et le bien-être des Palestiniens occupés, jusqu’à ce qu’une solution politique juste soit garantie et mise en œuvre, par la communauté internationale.

Utilisant la même tactique qui, avec Abbas et d’autres responsables de l’AP fut utilisée à plusieurs reprises dans le passé, il jura que « bientôt, très bientôt, vous allez entendre parler de décisions » concernant la dissolution de l’AP.

Ce qu’Erekat et son cercle de Ramallah décident être la ligne de conduite appropriée importe peu. Non seulement son discours est devenu obsolète et ses références non pertinentes, mais toute la mascarade du « processus de paix » d’Oslo – qui n’a rien apporté si ce n’est plus de colonies illégales et le supplice militaire – est morte depuis longtemps.

C’est en fait l’Intifada Al-Aqsa de 2000 qui a tué Oslo, et les dix années écoulées entre la fin de ce soulèvement et le nouveau furent employées à marchander ni plus ni moins, et à désespérément essayer d’insuffler de la vie dans un ‘processus’ qui a rendu certains Palestiniens corrompus beaucoup plus riches.

On peut espérer que l’actuelle Intifada va balayer les résidus de ce processus mort, et dépasser purement et simplement l’AP, non pas par la violence et la vengeance, mais plutôt par la constitution d’une nouvelle direction formée de femmes et d’hommes de bonne volonté qui sont nés au cœur de la Résistance palestinienne, en Cisjordanie, à Gaza et Jérusalem.

La nouvelle direction ne peut pas être imposée d’en haut, ou constituée après délibération avec des Arabes « modérés », mais sélectionnée au cours d’un processus organique à la base qui soit insensible aux allégeances factionnelles, à l’appartenance religieuse, au genre et aux liens familiaux.

Les Intifadas palestiniennes ne libèrent pas la terre mais libèrent les personnes qui assument leur rôle dans la lutte de libération nationale. L’Intifada de 1936 a libéré les fellahs paysans de la sphère des clans dominants et de leur allégeance à des régimes arabes si bien qu’ils ont pu faire front aux Britanniques et aux sionistes ; l’Intifada des pierres de 1987 à libéré le peuple de l’emprise des factions basées en Tunisie, d’où la formation de la Direction Nationale Unifiée de l’Intifada ainsi que du Hamas ; l’Intifada de 2000 a été une tentative contrariée d’échapper aux péchés d’Oslo et à son élite investie du pouvoir.

Quant à l’Intifada actuelle, pour qu’elle remporte un certain succès initial, elle doit trouver le moyen d’écarter totalement ceux qui se sont arroger la prérogative de négocier les droits palestiniens et de s’enrichir aux dépends du peuple palestinien pauvre et opprimé.

Si l’Intifada se veut fidèle à elle-même, elle doit s’efforcer de rompre non seulement l’hégémonie sur le discours politique palestinien injustement accaparé par Erekat et ses pairs, mais aussi briser les frontières politiques, et unir tous les Palestiniens autour d’un tout nouveau programme politique.

Il y a de nombreux opportunistes prêts à s’emparer de l’actuelle mobilisation en Palestine, à utiliser comme ils l’entendent les sacrifices consentis par le peuple, et en fin de compte retourner au statu quo comme si du sang n’avait pas été versé et comme si l’oppression n’était pas toujours en vigueur.

Après avoir réitéré son soutien à la solution à deux états, qui n’est maintenant qu’un mirage qui s’étiole, Erekat a déclaré à Al-Jazeera, « Nous soutenons totalement notre peuple et son exigence de liberté. »

Je ne le pense pas, M. Erekat. Vingt ans suffisent à montrer que ceux qui ont participé à l’oppression de leur peuple, ne peuvent certainement pas être les avocats de la liberté de leur peuple.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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28 octobre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/c...
Traduction : Info-Palestine.eu - MJB