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Dans les ruines de Gaza, « nous penserons à ceux que nous avons perdus »
mardi 22 septembre 2015 - Charlotte Silver & Ezz Zanoun
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Assis devant les décombres de leur maison détruite, dans le quartier de Shujaiya, à l’est de la ville de Gaza, les membres de la famille al-Ejla rompent le jeûne du ramadan plus tôt cet été.

Plus de 12 500 foyers ont été complètement détruits au cours de l’été dernier, et à peu près autant ont subi des dommages importants ou graves, ce qui a forcé 100 000 personnes à être déplacées.

Le manque de solutions de relogement a contraint certains de ces nombreux Palestiniens déplacés à retourner parmi les ossements de leur foyer. D’autres retournent sur le site de leur ancienne maison pour s’y asseoir, rencontrer leurs anciens voisins et se souvenir de ce que c’était autrefois.

Les photographies sont d’Ezz Zanoun, photographe indépendant basé dans la bande de Gaza. Le reportage est de Charlotte Silver, journaliste basée à San Francisco.

Faraj Alareer, 65 ans, retourne tous les jours dans sa maison détruite dans le quartier de Shujaiya, situé à l’est de la ville de Gaza. Lorsqu’il a échappé au siège israélien de Shujaiya, le 20 juillet, son foyer et tout le bloc étaient encore debout. Aujourd’hui, il ne reste plus une seule habitation.

Il louait avec sa famille un appartement que l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine) leur fournissait pour les quatre premiers mois suivant la guerre. Depuis que l’UNRWA a suspendu la distribution des indemnités de logement, Alareer payait 1 000 shekels par mois (environ 227 euros) pour y rester.

Alareer a expliqué que le bloc où il vivait était joli ; les habitations étaient alors entourées d’arbres adultes et de verdure. Il a montré un arbre mort qui poussait à côté de ce qui était alors sa maison : c’était un caroubier à partir duquel il préparait une boisson fraîche qui est une spécialité du ramadan.

« Nous jouions dans la rue avec nos amis », a raconté Yasmine al-Ghomeri, petite-fille de Faraj Alareer, âgée de 8 ans. Mais depuis la guerre, elle n’a pas vu ses amis, qui ont été déplacés du quartier. Le père de Yasmine a été tué pendant le bombardement, le 20 juillet, en essayant d’y échapper, et sa mère a succombé à une maladie il y a six ans. La jeune fille et ses deux frères vivent alternativement avec leurs grands-parents, leurs oncles et leurs tantes.

Dans la ville de Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, Ali Zaki Wahdan, 36 ans, a perdu douze membres de sa famille l’été dernier, à différents moments. Sa mère, son père, sa nièce de deux ans et cinq autres membres de leur famille ont été tués lorsqu’Israël a bombardé sa maison, qui avait été précédemment occupée par des soldats israéliens qui détenaient la famille dans une unique pièce. Selon Wahdan, les Israéliens savaient qui était dans la maison lorsqu’ils l’ont bombardée.

Au moment du bombardement, Wahdan se trouvait à l’hôpital al-Shifa. Jusqu’au jour où elle a été tuée, sa sœur de 27 ans, prise au piège, lui envoyait des textos pour l’informer de la situation chez eux. Elle lui a indiqué que les Israéliens ont quitté la maison le 25 juillet, mais qu’ils ont ordonné à la famille de rester. Wahdan ne savait pas que la maison avait été bombardée et que sa famille avait été tuée avant de retourner chez lui au cours d’un bref cessez-le feu humanitaire, le 26 juillet. C’est ensuite qu’il a trouvé les corps calcinés des membres de sa famille.

Par la suite, Wahdan a trouvé refuge chez un proche dans la ville de Jabaliya, où il a retrouvé sa femme et ses trois enfants. Ils se trouvaient dans la maison depuis moins d’une semaine lorsque cette dernière a été bombardée, tuant son épouse de 22 ans. Son frère, sa belle-sœur et leur fille en bas-âge ont également été tués. Ses trois fils, tous âgés de moins de six ans, ont été gravement blessés et transférés en Turquie pour y être soignés. Wahdan a été amputé de sa jambe gauche, tandis que sa jambe droite a été gravement touchée.

Wahdan a raconté son histoire à contrecœur. « Il n’y a de dieu que Dieu ; il n’y a rien d’autre à dire », a-t-il confié.

Suad al-Zaza, 55 ans, est retournée auprès de sa maison détruite, à Shujaiya, pour pleurer la mort de son mari, décédé trois jours avant le premier jour du ramadan de cette année. Ses enfants ont érigé des feuilles d’aluminium pour remplacer les murs qui ont été détruits lorsqu’Israël a bombardé leur quartier l’année dernière, à la fin du mois de juillet. L’UNRWA a suspendu les indemnités de logement pour le petit appartement où sa famille s’amasse.

Al-Zaza a décrit son ancienne maison : « Elle était belle et avait trois étages. Nous avions un parc au bout de la rue. Ce que nous avons là n’est pas un foyer. » Elle explique que ses enfants sont aujourd’hui très angoissés et ont peur lorsqu’ils entendent des feux d’artifice.

Atallah Ashour, 25 ans, a raconté qu’il gagne 200 shekels (environ 45 euros) par tonne de barres d’armature déformées des bâtiments détruits qu’il redresse. Interviewé dans le quartier de Shujaiya, près de la ville de Gaza, il a indiqué qu’il redresse autour d’une demi-tonne de barres d’armature chaque jour et qu’il finit par rentrer chez lui avec environ 35 shekels (8 euros). Récemment, au cours du mois du ramadan, il n’a pas travaillé la journée, car son travail est trop pénible physiquement pour être effectué pendant le jeûne.

Il vit à Beit Hanoun et poursuit également des études de gestion d’entreprise. Ashour a expliqué qu’il reviendra après l’iftar, le repas du soir qui rompt le jeûne, et travaillera toute la nuit.

Hosni Abou Salman al-Mughani, mukhtar (chef de village) à Shujaiya, rencontre le ministère des Travaux publics et les agences de l’ONU pour discuter de l’avancement de la reconstruction. Il a expliqué qu’à Shujaiya, 2 200 personnes attendent de regagner leur maison qui reste totalement détruite ; 800 personnes vivent aujourd’hui dans des maisons partiellement détruites.

« Il y a beaucoup de personnes sans emploi : Les médecins et les enseignants n’ont pas de travail, a-t-il déploré. Les commerçants apportent de la nourriture et des marchandises à Shujaiya, mais personne n’a d’argent pour acheter les marchandises. Les taxes ont empiré les choses : personne ne peut se permettre d’acheter quoi que ce soit. »

« Dans une heure, nous aurons notre iftar [rupture du jeûne] et nous penserons à ceux que nous avons perdus pendant ces jours l’année dernière », a indiqué Jaber Shaaban Zukar lors du premier jour du ramadan. Zukar a perdu cinq proches l’été dernier. L’immeuble qu’il a construit à Shujaiya quand il était jeune, où il vivait avec ses fils, est aujourd’hui détruit.

La famille Zukar était prospère avant la guerre ; il a raconté qu’il faisait don de 20 000 dinars jordaniens (environ 25 000 euros) de nourriture aux Gazaouis dans le besoin pendant le ramadan. Mais il a perdu l’équivalent de 2 millions de dollars lorsqu’Israël a bombardé son usine qui produisait des noix et des bonbons.

Muhammad al-Shinberi, sa femme et leurs six enfants sont retournés dans les ruines de leur maison à Beit Hanoun après que l’UNRWA a suspendu le paiement des indemnités de logement pour leur appartement temporaire. C’est sur un des murs de la maison détruite d’al-Shinberi que l’artiste britannique Banksy a dessiné son célèbre chaton à la bombe de peinture.

Al-Shinberi a expliqué que jusqu’au mois de mai, l’agence gouvernementale américaine USAID fournissait un réservoir d’eau. Désormais, il doit faire plusieurs kilomètres avec son âne et sa charrette pour remplir de grands récipients d’eau. Les bombardements israéliens ont endommagé de manière significative les infrastructures d’approvisionnement en eau déjà insuffisantes de Gaza, laissant 120 000 personnes sans accès à l’eau.

* Charlotte Silver est journaliste indépendante à San Francisco. Elle a travaillé en Cisjordanie en Palestine.

De Charlotte Silver :

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28 juillet 2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
https://electronicintifada.net/cont...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.