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Pour Israël, l’engagement en faveur de la solution à deux États n’est qu’un coup de pub
samedi 15 août 2015 - Ghada Ageel
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Fillette palestinienne marchant au milieu des ruines causées par l’assaut mené l’été dernier par Israël contre Gaza

Dans une lettre publiée le 3 août par le Jerusalem Post, un groupe d’anciens responsables de la sécurité a formulé des conseils à l’attention du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, indiquant qu’« Israël devrait initier une manœuvre politique qui donnera de la crédibilité au soutien d’Israël pour une solution à deux États. » Bien que sceptiques quant à la possibilité de faire la paix à ce moment précis, les anciens responsables de la sécurité ont souligné la « nécessité de profiter de l’opportunité de poursuivre des intérêts mutuels avec le monde arabe modéré ». Qualifiant Netanyahou de « grand soldat », ils ont exhorté ce dernier à « rendre possible l’établissement d’un axe reliant les sunnites modérés et les occidentaux qui agira contre les forces extrémistes nourrissant l’instabilité dans la région ».

Sans surprise, la lettre n’a fait aucunement mention des Palestiniens, dont l’importance dans les calculs et les futurs projets politiques de ces anciens responsables est nulle. Tout comme les Palestiniens et leurs intérêts n’ont pas eu et n’ont toujours pas la moindre importance dans la position politique du gouvernement d’Israël et dans sa vision de la paix. En effet, la plupart des plans de paix basés sur la formule à deux États ont été conçus pour court-circuiter et contourner les Palestiniens et leurs droits.

Une ministre des Affaires étrangères (Tzipi Livni ) a par exemple évoqué la possibilité de révoquer la citoyenneté des Arabes israéliens et de les déplacer d’Israël comme un avantage de la solution à deux États. Cette approche concorde avec les déclarations de la plupart des représentants officiels d’Israël, dont l’ancien Premier ministre Ehud Barak, qui voit les Palestiniens comme une « menace démographique » pour l’existence d’Israël et considère la solution à deux États comme un moyens de garantir le rêve sioniste. L’ancien chef d’État-major Moshe Yaalon a quant à lui fait part de sa conviction que le paradigme des deux États n’a rien à voir avec la paix, et que ceux qui en doutent sont tout simplement déconnectés de la réalité. La création d’un État palestinien indépendant porterait atteinte à l’État d’Israël, estime Yaalon.

Ces déclarations reflètent clairement l’orientation de la politique d’Israël, de ses institutions politiques et de ses doctrines de sécurité. En outre, ces déclarations, qui illustrent parfaitement les attitudes du mouvement colonialiste, représentent également la pensée de la majorité des Israéliens juifs quant à la signification d’un accord de paix avec les Palestiniens. Tandis que l’actuelle ministre de la Justice israélienne a déclaré que « la totalité du peuple palestinien est l’ennemi », le vice-président du parlement israélien a établi un plan en plusieurs phases pour l’extermination de Gaza. Plus que de « simples mots », ces propos sont des manifestations d’une mentalité bien ancrée dans le tissu de l’appareil militaire et politique d’Israël.

Intégrer l’axe sunnite opposé à l’Iran

Pourquoi d’anciens responsables de la sécurité appellent-ils donc leur gouvernement à initier une manœuvre politique visant à montrer son engagement pour une solution à deux États ? Quel est le problème lorsque ces anciens responsables sont convaincus que cette vision ne peut pas apporter la stabilité ou la paix ? Ou lorsque certains de leurs plus proches alliés, comme l’ancien représentant américain Joe Walsh, affirment que « cela ne peut pas fonctionner, cela n’a pas fonctionné et cela ne fonctionnera pas » ? Pourquoi maintenir ce simulacre d’engagement pour une solution à deux États vue comme le seul moyen de résoudre l’impasse israélo-palestinienne ?

Une partie de la réponse se trouve dans le contenu même de la lettre. Elle énumère les avantages potentiels du lancement d’une nouvelle manœuvre politique, dont notamment ses chances de garantir à Israël de l’aide supplémentaire en matière de sécurité, mais surtout de permettre « à la fois l’intégration des capacités israéliennes avec ces acteurs régionaux et internationaux qui partagent le point de vue que l’Iran nucléaire représente une menace sérieuse, et le recrutement d’États arabes modérés en vue d’une progression vers un règlement politique entre Israël et les Palestiniens ».

Ces responsables comprennent qu’Israël dispose d’un statut bien établi de puissance militaire régionale importante. Une chose reste cependant en suspens : la question de sa légitimité et de son acceptation par ses voisins. Israël n’est pas intégré dans le Moyen-Orient, que ce soit sur le plan politique, économique ou culturel.

Initier une nouvelle tentative de paix réitérant un engagement pour une solution à deux États pourrait rapprocher Israël de cette légitimité jamais atteinte jusqu’ici, estiment ces responsables. Tout au moins dans le camp régional soi-disant « modéré », dirigé par les Saoudiens et soutenu par l’Occident pour contrer le camp de la ligne dure dirigé par l’Iran. Cela devrait placer Israël sur l’axe du bien, remodeler potentiellement son image dans le monde arabe et, à moyen terme, ranger Israël du côté des éléments stabilisateurs plutôt que des éléments perturbateurs. D’autant plus que les ennemis d’Israël dans la région (l’Iran, le Hezbollah, les Frères musulmans et les mouvements de résistance palestiniens dirigés par le Hamas) sont également dans une large mesure les ennemis des États « modérés » arabes et de leurs alliés internationaux.

Les auteurs de la lettre suggèrent aussi d’exploiter l’aspect sectaire (sunnites/chiites) du conflit qui bat son plein actuellement au Moyen-Orient, en alliant Israël avec le camp sunnite dirigé par l’Arabie saoudite contre le camp chiite mené par l’Iran. Malgré la véhémence de son identité juive, l’État devrait quelque peu entrer dans le domaine du réalisme politique et régional, indiquent-ils. Après tout, Israël et le camp saoudien conviennent tous deux que l’Iran constitue une menace grave et s’opposent tous deux à l’accord nucléaire qu’il a signé récemment avec les pays du P5+1.

Profiter du déclin du soutien à la cause palestinienne

La lettre révèle également que les responsables de la sécurité israéliens sont conscients de la sombre situation politique qui a suivi le réveil arabe. Les gouvernements arabes et leurs peuples sont bien trop préoccupés par leurs propres luttes pour se soucier des Palestiniens. Les enjeux nationaux et les guerres en cours au sein des pays arabes ont complètement écarté la question palestinienne. Cette situation a déjà entraîné de graves conséquences pour la cause palestinienne et a offert à Israël davantage de marge de manœuvre pour poursuivre son projet expansionniste et imposer ses politiques. Les Palestiniens étant divisés entre eux et entre deux leaderships dont les programmes divergent sérieusement, les responsables israéliens y voient une occasion en or de maximiser les avantages qu’Israël tirerait d’un futur accord politique.

Cependant, ces « visionnaires » oublient les effets durables de l’horreur qu’Israël a fait subir à Gaza l’été dernier. Dans le sillage de la guerre, l’ensemble du peuple palestinien en est venu à la conclusion que ses droits seront toujours férocement bafoués par les occupants. Le discours actuel semble indiquer que la grande majorité des Palestiniens opte pour la ligne dure quant à un potentiel accord politique et ne saura consentir la moindre tentative de déni de ses droits. Ils sont conscients que la formule de paix existante n’a jamais été conçue pour leur assurer des droits ou leur offrir une quelconque dignité. Ils savent qu’elle a été employée pour les dépouiller de leur rêve national et les rassembler dans des bantoustans séparés.

Rabâcher la vision à deux États, comme le recommandent les anciens responsables de la sécurité d’Israël, n’est rien de plus qu’un accès de folie recyclé. Il est temps d’abandonner les appels à une solution à deux États une bonne fois pour toutes. Elle n’apportera pas de stabilité, ni à Israël, ni à personne d’autre. Le chemin menant à la paix doit passer par la porte palestinienne. Tout le reste revient uniquement à appuyer sur le bouton « rejouer la partie ».

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* Ghada Ageel est une réfugiée palestinienne de la troisième génération qui a grandi dans le camp de réfugiés de Khan Yunis. Elle est professeur invitée en Sciences Politiques à l’Université d’Alberta à Edmonton (Canada) et membre de Faculty4Palestine . Spécialiste de la Nakba, elle est l’auteur de nombreuses publications sur le sujet.

De la même auteure :

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- Expulsé, ghettoïsé et tué par Israël : histoire de mon cousin à Gaza - 19 août 2014
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11 août 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : MEE - VecTranslation