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Sajed, jeune migrant de Gaza porté disparu en Méditerranée
jeudi 7 mai 2015 - Arwa Ibrahim
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Sajed Nafez avait espéré poursuivre des études universitaires après que sa société de médias ait été détruite dans la dernière guerre contre Gaza

Alors que nous apprenions la semaine passée que des milliers de migrants ont trouvé la mort dans la mer Méditerranée, les souvenirs de beaucoup de tragédies reviennent au premier plan, ramenant à la vie l’histoire de Sajed Nafez, jeune gazaoui âgé de vingt-quatre ans qui avait tenté le dangereux voyage l’automne dernier.

Comme beaucoup de migrants autour de la Méditerranée, Sajed était à la recherche d’un avenir meilleur après que la guerre de l’été 2014 à Gaza lui ait coûté son rêve - une société de production de médias qu’il avait mise en place une année auparavant.

Les bureaux ainsi que tout l’équipement de l’équipe avaient été détruits lorsqu’un des derniers raids aériens israéliens avait frappé un immeuble dans Gaza, juste deux heures avant l’annonce d’un cessez-le-feu le 26 août 2014.

Moins de deux semaines après, le 6 septembre 2014 et après 10 essais infructueux, Sajed a quitté Gaza par un tunnel et est monté à bord d’un bateau à Alexandrie en Egypte, lequel devait l’amener de l’autre côté de la Méditerranéen et le débarquer en Europe.

« Après qu’il ait perdu son entreprise, je pouvais le voir s’étioler chaque jour », raconte Nour, la soeur de Sajed, tout en décrivant la misère dans Gaza après la guerre.

« J’ai encouragé Sajed à partir. Il m’avait raconté que les trafiquants avaient des membres de leur famille sur le bateau. J’ai alors pensé que tout irait bien », expliqua Nour, qui était particulièrement proche de son jeune frère.

Sajed avait décroché une offre de bourse en Turquie où il avait l’intention de poursuivre ses études cinématographiques. Mais après la guerre, tous les passages frontaliers de Gaza ont été bloqués et un des rares moyens de quitter l’enclave palestinienne était de partir sur des bateaux de migrants.

Diplômée en études littéraires de l’université islamique de Gaza, Nour avait prévu de rejoindre Sajed une fois qu’il serait installé, et de poursuivre ses études auprès de lui.

Mais à peine six jours plus tard, sa famille apprit que Sajed ainsi que 500 autres migrants – dont des Palestiniens, des Syriens et des Egyptiens – s’étaient très probablement noyés quand leur bateau a été apparemment fracassé et délibérément coulé par des trafiquants près de Malte.

« Nous avons eu un appel téléphonique d’un des rares à avoir été secourus. Il nous a dit que Sajed avait surnagé à ses côtés pendant trois jours jusqu’à ce qu’ils le perdent, inconscient », raconta Nour.

Il n’y a eu aucune vérification possible de ce qui est arrivé au navire en route pour l’Italie, surtout du fait que seules neuf personnes paraissent avoir survécu, déclara à ce moment-là l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) basée à Genève.

Selon les récits des survivants, les trafiquants ont délibérément percuté et coulé le bateau après le refus des passagers d’être transbordés sur un plus petit navire, ceux-ci craignant que le second bateau ne chavire, dit Nour.

« La plupart des femmes et des enfants se sont abrités à l’intérieur du premier navire quand une bagarre a éclaté entre les trafiquants et les passagers à bord. Apparemment, ils ont été [les femmes et les enfants] les premiers à se noyer », poursuit-elle.

La question de la mort de migrants en Méditerranée a pris un tour de plus en plus dramatique depuis le début de cette année, de récents comptes faisant état de plus de 1 750 migrants ayant péri en mer depuis le début 2015 - soit trente fois plus qu’au cours de la même période en 2014, selon l’OIM.

Quand un bateau transportant des migrants coule en mer, les passagers à bord peuvent connaître différents sorts : quelques-uns survivent et sont sauvés, d’autres meurent et leurs corps sont récupérés, tandis que la grande majorité va tout simplement disparaître.

Mais vérifier la mort de personnes disparues est parmi les tâches les plus difficiles pour les organisations et les autorités étatiques intervenant sur un incident. « Nous comptons sur ce que les témoins oculaires nous disent », explique Joel Millman, responsable à l’OIM pour les rapports avec la presse.

« De temps en temps, quand nous avons un peu plus de survivants, nous apprenons en général quels étaient les noms de ceux qui sont morts, du fait que quelqu’un qui les connaissait était à leurs côtés quand ils se sont noyés », ajoute Millman.

Mais avec moins d’une douzaine de survivants dans le bateau sur lequel Sajed avait embarqué, les possibilités de vérifier l’information étaient très minimes.

« Personne ne plonge dans les eaux pour tenter de trouver l’épave. C’est ce que les services de renseignement appellerait une information non corroborée », dit Millman.

Comme Nour, les membres de la famille sont abandonnés à eux-mêmes, dans une recherche impossible de leurs proches.

« La Croix-Rouge italienne n’a cessé de me renvoyer à la Croix-Rouge de Gaza, tandis que les gardes-côtes me disaient seulement qu’ils avaient des milliers de cas à traiter chaque jour », raconte Nour, décrivant ses nombreux appels téléphoniques, tous décevants, avec des autorités qui lui répondaient qu’aucune information ne pouvait être communiquée par téléphone.

Elle a donc sollicité des visas pour Malte, la Grèce et l’Italie - les endroits où des survivants du drame avaient été retrouvés - mais ses demandes ont toutes été rejetées.

Après des mois de tentatives infructueuses pour quitter Gaza et pouvoir se lancer à la recherche de son frère, Nour a sauté sur une occasion de suivre un enseignement à Londres - un endroit qu’elle a cru pouvoir utiliser comme point de départ pour retrouver Sajed.

Elle obtint un visa pour le Royaume-Uni et début janvier, elle a quitté Gaza par le passage de Rafah comme celui-ci avait été brièvement ouvert à deux occasions dans le mois.

Ayant réuni dans un rapport toutes les informations qu’elle avait recueillies sur le drame, et présentant tous les scénarios possibles de ce qu’il pouvait être advenu de Sajed, elle contacta et rencontra durant son séjour à Londres plusieurs autorités et organismes d’aide – dont des membres du parlement britannique, la Croix-Rouge et Amnesty International.

Mais, dit-elle, peu est sorti de ces nombreuses réunions, nombreux courriers électroniques et mois d’attente.

« Ils ont tous envoyé des courriers ici et là, puis ils m’ont dit d’attendre. J’ai vraiment pensé qu’ils seraient plus utiles que cela », a dit Nour en parlant de sa déception.

Bien qu’il paraisse à Nour que plus d’efforts devraient être faits pour retrouver son frère, avec le temps, il n’y a plus guère de chance qu’une personne disparue soit retrouvée, et encore moins vivante.

« Habituellement nous n’avons pas plus d’information que celles que nous recueillons dans les quelques jours et semaines qui suivent un incident. Après que des mois aient passé, la probabilité que des personnes réapparaissent est tout à fait mince », dit Millman.

Mais en dépit des difficultés, Nour croit qu’il est toujours possible que Sajed soit vivant, mais sans possibilité de contact avec l’extérieur.

« Il pourrait être dans une prison en Egypte, dans un camp d’immigration en Italie ou à Malte, ou dans une situation problématique qui l’empêche de nous contacter », énumère-t-elle alors que ses yeux se remplissent de souffrance et d’évocations douloureuses à l’idée du danger possible auquel son frère pourrait faire face pendant qu’elle parle.

Un survivant du naufrage a été en effet retrouvé dans la prison d’Azuli en Egypte, une prison militaire - connue sous le nom de la prison secrète de l’Egypte - où beaucoup de détenus et de personnes portées disparues sont soumis à des conditions extrêmes et à la torture.

Bien que Nour souhaite retrouver Sajed sain et sauf, où qu’il soit, elle espère qu’il n’est pas dans une prison égyptienne où beaucoup de réfugiés sont incarcérés dans des conditions très dures.

Selon Meron Estafanos, une journaliste et une militante pour la défense des droits de l’homme, les migrants portés disparus au Moyen-Orient ont plus de chances d’être vivants que ceux partis pour l’Europe.

Bien que le bateau de Sajed ait coulé près des rivages européens et si malgré tout il était en Egypte, Sajed pourrait être dans une prison sans avoir accès à un téléphone, ou - comme c’est le cas de beaucoup de migrants africains - dans un camp non déclaré de migrants, soumis à la torture, ou avec sa famille extorquée pour une rançon.

« Il y a ceux qui meurent en mer. Mais il est probable au Moyen-Orient que les personnes disparues soient vivantes - en prison ou kidnappées », dit Estefanos, dont le travail se concentre sur la recherche des migrants érythréens et éthiopiens qui ont disparu.

Nour essaye actuellement de se rendre à Malte après qu’elle ait reçu des nouvelles récentes à propos d’un autre survivant retrouvé par la Croix-Rouge suédoise sur l’île méditerranéenne.

Selon les nouvelles qu’elle a reçues du père du survivant, il y a dix autres personnes avec son fils. Nour est persuadée que l’une d’entre elles pourrait être Sajed.

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Morts de migrants en Méditerranée, 2014-2015 - Au minimum 5006 migrants sont morts ou portés disparus depuis janvier 2014. Les figures indiquent les naufrages connus et les nombres de victimes - Source : IOM

22 avril 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/in-dep...