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Attaque du Bardo : beaucoup de questions subsistent
jeudi 2 avril 2015 - Christine Petré
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Des touristes allument des bougies devant le musée du Bardo à Tunis, en hommage aux victimes de l’attaque, le 27 mars 2015 - Photo : AFP/Fethi Belaid

Comme tous les matins, il a pris le petit déjeuner à la maison puis est parti pour le travail avant 10 heures. Mais ce n’était pas un mercredi comme les autres. Après une heure au travail, à environ 11h du matin, Labidi a dit à sa soeur, qui travaille au même endroit, qu’il devait faire une course pour son patron. Mais il n’est pas revenu. Au lieu de cela, il a retrouvé Saber Khachnaoui, âge de 19 ans, et ensemble ils commirent une des pires attaques terroristes dans l’histoire de la Tunisie.

Après être entrés dans le Musée National du Bardo, Labidi et Khachnaoui ont tué 21 touristes et trois Tunisiens dans une prise d’otages qui a duré plusieurs heures avant qu’ils soient tués par les forces de sécurité. « Si ses parents avaient eu la moindre idée [de ce qui allait se passer] ils l’auraient arrêté immédiatement, » a dit Dalel, la cousine âgée de 27 ans de Yassine Labidi. Comme ses cousins et voisins, elle affirme n’avoir eu aucune idée de ce qu’il prévoyait de faire. Les membres de la famille disent qu’ils n’ont rien noté de particulier ce jour fatidique. Pendant que l’attaque se déroulait, ils en ont maudit les auteurs. Ce n’est que lorsqu’ils ont vu les photos sur Facebook et identifié les vêtements de Yassine qu’ils ont lentement commencé à réaliser ce qui s’était produit. Puis la police est venue et son père, son frère et sa soeur ont été emmenés pour être interrogés.

Le Ministère de L’Intérieur a placé la responsabilité de cette atrocité sur un groupe appelé Uqba Ibn Nafaa, qui aurait des liens avec Al-Quaida dans le Maghreb Islamique (AQMI), et qui opère le long de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie. Le groupe plonge ses racines dans la guerre civile algérienne des années 1990. Cependant, selon Habib M Sayah, spécialiste en Tunisie des questions de sécurité, la revendication officielle était ambiguë.

Lors d’une conférence de presse le 23 mars, le Ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli nous a affirmé que l’attaque était certainement l’oeuvre d’Uqba Ibn Nafaa, mais en ajoutant ensuite : « Nous ne pouvons pas mettre un nom à la cellule terroriste, mais nous savons qu’elle est liée à Al-Quaida. » Sayah a argué du fait que le ministre « a en hésitant accusé l’AQMI » mais sans fournir « les éléments le confirmant ou des indications convaincantes sur un lien effectif et opérationnel entre Uqba Ibn Nafaa et les auteurs de l’attaque du Bardo. »

L’État Islamique (EI) a revendiqué la responsabilité de l’attaque dans trois déclarations différentes. Quelques analystes sont sceptiques sur l’apparente précipitation avec laquelle le groupe a revendiqué la responsabilité des attaques en dehors de son territoire. « Les prétentions de l’État Islamique n’ont pas été contestées par l’AQMI, qui est son organisation rivale en Tunisie, » a ajouté Sayah. Il estime qu’il était commode pour les autorités tunisiennes de charger l’AQMI parce qu’une opération pour capturer Loqman Abu Sakhr, le chef d’Uqba Ibn Nafaa, était en cours. La police a effectué une incursion réussie dans Gafsa ce week-end, à peine quelques heures avant qu’une marche soit organisée dans la capitale Tunis pour dénoncer le terrorisme.

Le cas de Yassine Labidi illustre bien une crainte de plus en plus répandue dans la société tunisienne, où le risque existe de voir la jeunesse du pays entraînée dans l’extrémisme. C’est un développement qui symbolise une menace croissante pour ce pays dont le succès démocratique reste un exemple. Labidi, qui était âgé de 27 ans, travaillait comme livreur à Tunis au moment de l’attaque et il venait d’une famille de la classe moyenne. Il avait étudié le français à l’université et quoiqu’il allait à la mosquée, il était loin d’être radical. « Il était large d’esprit, » explique Dalel Labidi. « Sa soeur ne porte pas le foulard et ses oncles ne font même pas la prière. » Il avait aussi des petites-amies, buvait de l’alcool (il s’était arrêté il y a un moment), et il ne fréquentait pas quotidiennement la mosquée ni ne portait de barbe. Il a rasé sa barbe qui était courte quand ses parents lui ont dit qu’elle ne lui allait pas, raconte Dalel. Ils n’ont noté aucune radicalisation même progressive dans la période précédant l’attaque. « Yassine n’avait aucune raison de faire cela » » insiste M.A, un des voisins de Yassine. « Il avait un travail et ne vivait pas dans la pauvreté. Mais il a été la victime d’un lavage de cerveau. »

Yassine Labidi et Sabre Khachnaoui sont censés avoir voyagé en Libye en décembre 2014 pour y recevoir une formation dans un camp de jihadistes, et ils étaient surveillés par les forces de sécurité tunisiennes. Les jihadistes tunisiens en Libye sont une menace, a affirmé Sayah, car ils agissent pour le compte de l’EI qui affirme avoir une présence dans le pays voisin, la Tunisie. « L’État Islamique est très populaire parmi les jihadistes-salafistes tunisiens, notamment les anciens membres d’Ansar Al-Sharia en Tunisie, » explique-t-il. « Mais son réseau en Tunisie n’est pas assez bien structuré. » L’EI en Libye veut pouvoir organiser le mouvement social tunisien de jihadistes-salafistes, précise-t-il, qui est en grande partie le legs d’Ansar Al-Shari’a. « L’État Islamique et l’AQMI se font concurrence pour sa direction. »

La crainte est que ce cas soit le début d’attaques régulières sur le sol tunisien, et que la Tunisie ne puisse rester à l’écart de la lutte de pouvoir en Libye. Jusqu’ici, bien que la Tunisie ait été plus ou moins exempte de violence radicale, en partie à cause de la stratégie des groupes radicaux tels Ansar Al-Sharia dans laquelle a été encouragé le dawa [prosélytisme] à la maison et le jihad à l’étranger.

Cependant, M.A ne veut pas croire que Labidi soit allé en Libye. « Il était dans Sfax pour un mois, c’est tout, » a-t-il prétendu. Il n’y a aucune « explication » [à ce qu’il a fait], insiste-t-il. « Yassine était un garçon cultivé et gentil. » Pour les membres de sa famille, accepter ce qui s’est passé reste quasi-impossible. « Je donnerais ma vie pour savoir qui a fait cela, » dit en pleurant Sayida, une des cousines de Yassine Labidi, devant la maison de ses parents quelques jours après l’attaque. Elle se sent désespérée et tient à affirmer que Yassine n’était pas un radical. Elle blâme plutôt les soi-disant recruteurs, les personnes qui peuvent manipuler l’esprit de ces jeunes garçons. « Ils les soumettent à un lavage de cerveau, » a-t-elle répété. « Nous devons trouver les personnes qui font cela. »

Si elles sont capable de transformer Yassine comme elles l’ont fait, alors que pouvons-nous faire ? demande-t-elle avec désespoir. Pourtant Nejat, une commerçante dans le voisinage, est peu disposée à voir Yassine comme une victime. « Si une personne commet cela, elle n’est pas une victime, » explique-t-elle, tout en convenant que beaucoup de questions subsistent. Elle a seulement connu Yassine Labidi de loin, mais elle le décrirait comme « normal ».

Les officiels tunisiens ont dit avoir arrêté un certain nombre de suspects en lien avec l’attaque, et selon le Premier Ministre Habib Essid, les autorités coopèrent avec d’autres pays pour en savoir plus au sujet des milieux et des motivations des attaquants. Sayida, qui avait vu Yassine ce mercredi matin, n’a rien noté de différent des autres jours. Aujourd’hui, comme le reste du voisinage, elle a du mal à croire à ce qui s’est produit. Pour eux, il subsiste trop de questions sans réponse.

1e avril 2015 - Middle East Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
https://www.middleeastmonitor.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu