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La campagne électorale de Netanyahu : entre racisme, paranoïa et désespoir
mardi 17 mars 2015 - Jonathan Cook
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La seule bonne nouvelle de cette campagne affligeante sera, espérons-le, le score réalisé par la coalition des partis arabes israéliens. Ici la députée palestinienne Haneen Zoabi du parti Balad, lors d’un meeting électoral - Photo : AFP

Lors des quinze derniers jours de la campagne électorale israélienne, le Premier Ministre Binyamin Netanyahu a été aussi bien célébré pour avoir attaqué le Président américain Barack Obama devant le Congrès des États-Unis, que comparé à un des prédécesseurs d’Obama les moins appréciés : Richard Nixon.

A bout de souffle, confuse, désespérée et paranoïaque sont juste quelques unes des épithètes qui ont jalonné et entaché les derniers jours de la campagne de Netanyahu.

Avec des projections en baisse dans les derniers sondages à la fin de la semaine dernière, Netanyahu s’est emballé en offrant des interviews à chaque moyen de communication disposé à l’accueillir. Dimanche Soir, il a tenu un rassemblement de dernière minute à Tel Aviv, organisé par le mouvement des colons, pour tenter de redresser sa situation.

Selon les estimations, son parti du Likud est susceptible d’être relégué ce mardi à la seconde place par l’Union Sioniste, une coalition de centre gauche dirigée par Isaac Herzog et Tzipi Livni.

Dans sa réplique, Netanyahu s’est concentré sur ce qu’il fait le mieux : jouer sur la peur.

Avertissant que la totalité de la droite tombera avec lui, s’il est défait, il a refusé d’attribuer ses difficultés à des échecs personnels, préférant faire référence à un sinistre complot animé par « des groupes étrangers ».

Ceux-ci sont supposés avoir aidé ses adversaires - non seulement l’Union Sioniste mais également la Liste Commune, un front uni des partis arabes représentant la large minorité palestinienne en Israël, qui se présente sous une liste unique pour la première fois et pourrait bien accéder à la troisième place.

Dans un commentaire digne de Nixon dans sa pire période, Netanyahu a averti qu’il y avait « un effort énorme et mondial pour renverser le Likud ». Des financements frauduleux « des états Européens » et des « gauchistes à l’étranger » pourraient faire en sorte que « la liste [commune] arabe obtienne jusqu’à 16 sièges, déterminant de ce fait le résultat général de l’élection ».

Son principal spot de campagne montrait un Israélien libéral ayant perdu la tête et indiquant leur chemin à une équipe de jihadistes armés de l’État Islamique circulant en camion et cherchant la route à Jérusalem. « Tournez à gauche, » leur disait l’Israélien...

Hormis le manque de preuves d’un complot étranger, par les Européens ou les jihadistes haïssant les juifs, le culot [chutzpah] de Netanyahu a atteint de nouveaux sommets.

Les rapports des médias ont révélé qu’il a reçu plus de financements de l’étranger - principalement d’affairistes juifs américains - que n’importe quel candidat dans l’histoire d’Israël. Si en effet des étrangers se mêlent de la politique Israélienne, c’est sous la bannière de Netanyahu.

Arithmétique électorale compliquée

Néanmoins, même s’il a du mal à rassembler des partisans, le passage de Netanyahu à l’opposition est loin d’être évident. Beaucoup d’électeurs sont irrésolus et leur décision de dernière minute conditionnra le résultat.

Dans l’arithmétique électorale compliquée en Israël, une baisse de performance n’empêchera pas forcément Netanyahu de former le prochain gouvernement. Cela dépendra du marchandage pour gagner l’appui des petits partis.

Une autre possibilité, au cas où le résultat soit peu concluant entre la droite et le centre, est que Netanyahu et Herzog se mettent d’accord pour un gouvernement d’unité nationale.

Mais si jamais le nombre de sièges de députés emportés par Netanyahu tombe nettement au-dessous des estimations actuelles à 20, il luttera pour rester le chef du Likud. Les autres dirigeants du parti qualifient déjà la campagne « d’échec colossal ».

Les problèmes de Netanyahu reflètent deux tendances qui se sont placées au premier rang dans cette élection.

La première est que la position traditionnelle du Likud au cœur du camp nationaliste n’est plus assurée. Tandis que Netanyahu poussait à droite, le parti s’est brisé en tendances qui ont affaibli sa position et rétréci sa base.

Les colons ont préféré le parti d’extrême droite, la Maison Juive, dirigé par Naftali Bennett, dédié à leurs propres intérêts. À la différence de Netanyahu, souvent équivoque, Bennett est tout à fait direct et exige l’annexion par Israël d’une large part de la Cisjordanie pour fixer définitivement les colonies.

D’autres soutiens du Likud se sont déplacés vers ce que les Israéliens appellent le centre.

Ce processus a commencé par Ariel Sharon et Tzipi Livni il y a presque une décennie, quand ils ont quitté le Likud pour former le parti Kadima après la mise en œuvre du soi-disant « désengagement » de Gaza auquel Netanyahu et d’autres du Likud s’étaient opposés.

Le parti Kadima lui-même s’est graduellement effondré après la disparition de Sharon, mais ses successeurs peuvent s’avérer plus durables. Lors de la dernière élection, la vedette de télévision Yair Lapid a émergé comme une surprise avec son nouveau parti du Yesh Atid.

Dans cette élection il a été rejoint au centre par le renégat Moshe Kahlon du Likud, qui a créé son parti du Kulanu.

Lapid et Kahlon ignorent en grande partie « les menaces régionales » qui hantent Netanyahu et parlent plutôt d’économie. Ils promettent de briser les monopoles appartenant à une poignée de familles riches et de ramener l’argent dans les poches des Israéliens ordinaires.

Séparément ou ensemble, ils pourraient s’avérer être les faiseurs de roi de cette élection, décidant qui de Netanyahu ou Herzog sera couronné. Tous les deux ont d’exécrables relations avec Netanyahu.

Mode de vie somptueux

À la différence de ses rivaux centristes, Netanyahu a été considéré au cours de la campagne comme trop étroitement lié aux familles qui dominent l’économie, et trop peu disposé à s’y opposer.

Les accusations selon lesquelles lui et son épouse Sara - unanimement détestée - se vautrent dans un mode de vie somptueux et digne de despotes, tournent autour d’eux depuis de nombreuses années. Mais dans cette élection, la boue a finalement fini par coller.

Dans la politique israélienne, les incidents apparemment marginaux finissent toujours par prendre une plus grande importance. Les révélations pendant la campagne sur les énormes sommes dépensées par les Netanyahus pour leurs loisirs et sur les sommes empochées personnellement par Sara Netanyahu en profitant des variations de prix dans les consignes de bouteilles vides - s’élevant à centaines de dollars - semblent avoir cimenté une image des Netanyahus comme gens sacrément corrompus.

Netanyahu a répondu en se concentrant sur son sujet préféré : la sécurité.

C’était en partie pourquoi il s’est présenté devant le Congrès des États-Unis ce mois pour crier au loup sur un accord avec l’Iran, et pourquoi la semaine dernière son parti a fait savoir qu’il retirait son engagement de 2009 devant Obama de soutenir une solution à deux états.

Selon Netanyahu, un retrait israélien de Cisjordanie attirerait automatiquement des groupes venus d’Iran et de l’État Islamique, créant un « d’état de terreur » à la porte d’à côté.

Mais son alarmisme peut tomber à plat, en partie parce que les partis centristes n’offrent pas de message beaucoup plus conciliant sur le conflit israélo-palestinien.

Les vues du soi-disant « camp de la paix » en Israël ont été présentées sur des panneaux publicitaires dans la partie la plus peuplée du pays par un groupe appelé l’Association des experts nn matière de sécurité nationale, dirigée par d’anciens généraux relativement modérés.

Leurs affiches, se rapportant à Netanyahu par son surnom Bibi, avertissent : « Avec Bibi [et] Bennett, nous serons coincés pour toujours avec les Palestiniens. »

De leur point de vue, la solution est de se séparer des territoires occupés comme on se débarrasse d’un membre gangreneux.

Mais comparé aux parties centristes, même ce message est radical. Herzog, Lapid et Kahlon ont tous proclamé qu’il n’y avait aucun « partenaire » du côté palestinien pour un accord de paix.

Ce diagnostic désespéré semble être partagé par une majorité du public israélien. Environ 70 pour cent des juifs israéliens estiment que des entretiens de paix sont futiles, et 64 pour cent pensent que sur la question palestinienne, peu importe de savoir qui dirige le pays « parce qu’il n’y a aucune solution ».

Dans de telles circonstances, le centre a eu tout bénéfice à se concentrer sur les difficultés sociales et économiques.

La Maison Blanche, craignant que son rôle comme caution d’un processus de paix sans fin soit en péril, a manqué à sa propre promesse de ne pas intervenir dans l’élection en insistant la semaine dernière pour que le prochain gouvernement israélien s’engage dans de nouveaux entretiens avec les Palestiniens.

Souffle d’air frais

Si la politique juive est gelée dans un statu quo face aux défis politiques, la Liste Commune est arrivée comme un souffle d’air frais pour la plupart des 1,5 million citoyens palestiniens d’Israël.

C’est un front uni des partis arabes, habituellement désunis, qui s’étend des socialistes aux islamiste en passant par les nationalistes démocratiques.

Mené par Ayman Odeh, un avocat disposant de charisme et qui est nouveau dans la politique, la Liste a en grande partie évité de s’occuper des politiques spécifiques et s’est attachée à inverser le sentiment croissant de désillusion de la minorité palestinienne à l’égard de la Knesset.

Les deux élections précédentes ont vu qu’à peine plus de la moitié de l’électorat arabe se déplaçait pour voter. Les projections prévoient que la Liste Commune pourrait gagner jusqu’à 15 sièges, alors qu’elle en possède actuellement 11, répartis entre trois organisations.

Des trois scénarios principaux mis en avant par les sondages, deux suggèrent que la Liste Commune - si elle peut se maintenir unie - pourrait représenter un certain poids politique dans la Knesset.

Un gouvernement de droite de Netanyahu ne représentera aucun changement, indépendamment d’une probable intensification de la législation anti-arabe.

La Liste Commune a exclu de se joindre à un gouvernement dirigé par Herzog, mais elle accepterait probablement de soutenir les centristes depuis l’extérieur si cela permettait d’empêcher le retour de Netanyahu au pouvoir.

Cela exigerait un retour de la part de Herzog, probablement sous forme de budgets accrus pour les communautés palestiniennes en Israël.

Le troisième scénario est le plus surprenant. Si un gouvernement d’unité nationale est formé, la Liste Commune pourrait accepter la position d’opposition formelle. Cela lui donnerait accès - pour la première fois de son existence - à des réunions régulières avec le premier ministre et un siège dans plusieurs comités importants.

Mais les deux derniers scénarios exposent également la Liste Commune, et la minorité palestinienne à un niveau plus large, à un contre-offensive de la droite qui pourrait intensifier les insinuations malhonnêtes de Netanyahu sur l’interférence « étrangère ».

La semaine dernière, pour repousser l’idée de toute protestation à l’intérieur d’Israël, le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman a réclamé que l’on coupe la tête aux citoyens Palestiniens considérés comme déloyaux.

Ces déclarations proviennent d’un homme qui a traité la Liste Commune « d’organisation terroriste » et Odeh, qui est partisan d’une coopération entre juifs et arabes, de « cinquième colonne ».

Son slogan de campagne a été « Umm Al-Fahm vers la Palestine », réclamant que les habitants des grandes communautés palestiniennes en Israël soient dépouillés de leur citoyenneté israélienne.

Le danger est que la droite - de Lieberman à Netanyahu - puisse finalement se réjouir de voir les divers partis arabes dans une liste commune, exploitant alors cette unité pour les dépeindre tous comme des traîtres, se mêlant des affaires d’un état juif.

Plus sera important le succès et l’influence de la Liste Commune, plus elle fera face aux accusations d’être une cinquième colonne à la Knesset.

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* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jonathan-cook.net.

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16 mars 2015 - Al-Araby al-jadeed - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.alaraby.co.uk/english/po...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib