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Une jeunesse fière et indomptable se masse aux funérailles du combattant du Hezbollah assassiné
jeudi 22 janvier 2015 - Rana Harbi
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Funérailles de Jihad Mughniyeh au sud de Beyrouth - Photo : Al-Akhbar/Haitham Moussawi

Jihad est un des six combattants du Hezbollah tués par une frappe israélienne en Syrie dimanche. On s’attend à des représailles de la part de la Résistance. Cet assassinat aura certainement de graves conséquences pour toute la région.

Les hommes se frappaient la poitrine en signe de tristesse et, des balcons, les femmes en pleurs lançaient des pétales de roses sur le cercueil enveloppé du drapeau du Hezbollah que des hommes en grand uniforme militaire sortaient du hall bondé puis portaient dans les rues à travers l’immense foule.

Pour sa famille et tous ses proches, Jihad, le fils de 24 ans du commandant assassiné Imad Mughniyeh, est devenu un martyr et un héros, quelqu’un qui est mort au combat pour défendre leur droit de vivre dans la dignité.

Des Imans en turban, des femmes vêtues de noir, des enfants et des collégiens avec leur sac à dos, marchaient dans leur uniforme scolaire derrière le cercueil, lançant le poing en l’air et psalmodiant “Notre parti c’est le Hezbollah, notre leader c’est Nasrallah.” Des tirs de mitraillette retentissaient dans tout le faubourg en l’honneur du défunt.

Des personnalités politiques sont aussi venues aux funérailles et des mesures de sécurité draconiennes ont été prises pour les protéger : des hommes se sont mélangés à la foule des balcons et des toits en terrasse des maisons qui n’ont pas été détruites par la brutale agression d’Israël en 2006.

"Ils ne parviendront pas à nous effrayer” a crié un homme dans un micro. "Nous ne les laisserons pas nous humilier”.

"Mort à Israël ; mort à l’Amérique," a hurlé la foule en réponse.

Dans la foule, les camarades d’université de Jihad s’étreignaient plus fort et plus longtemps que d’habitude. C’était la première fois qu’ils se voyaient depuis la mort de Jihad et ils enfouissaient leur visage dans l’épaule de leurs amis, incapables de se regarder dans les yeux. Trois baisers sur la joue et, avec chacun, des mots de réconfort parvenaient à leurs oreilles : “Sois fort … c’est ce qu’il souhaitait … il est dans un monde meilleur .... la vie est éphémère … la mort suit nécessairement la naissance … La vie n’est pas éternelle.”

Des pétales qui tombent des balcons ; des larmes ; des femmes et des hommes qui arrivent en masse de toutes les directions ; le bruit des incantations, des pleurs et des plaintes qui saturent l’atmosphère autour du cercueil soulevé à bout de bras : tout cela, hélas, est courant dans les rues de Ghobairy et de Chiyah.

Depuis la fondation du Hezbollah, des milliers de martyrs, dont Imad Mughniyeh qui a été assassiné par Israël en 2008 à Damas, ont défilé sur les épaules de leurs partisans avant d’être enterrés ici.

Refuser de vivre dans l’humiliation

“Nous étions en train de jouer au foot quand nous avons appris la nouvelle,” explique Mehdi, un des plus proches camarades de Jihad à Al-Akhbar en Anglais. “Nous sommes tristes de voir partir un être cher mais nous sommes heureux qu’il soit mort de cette manière. Il ne se contentait pas de souhaiter devenir un martyr. Il le voulait vraiment.”

Selon ses amis, Jihad a quitté l’Université Libanaise Américaine (ULA) un semestre seulement avant d’obtenir son diplôme. Il faisait des études de commerce.

“L’occasion de devenir un martyr s’est présentée à lui à ce moment-là et il n’a pas pu résister,” ajoute Mehdi dont les doigts égrènent les perles de son bracelet de prière.

“Il aurait pu attendre d’avoir passé ses derniers examens, mais il ne l’a pas fait. Aujourd’hui justement nous allons tous recevoir le diplôme dont il a longtemps rêvé.”

A la question : pourquoi Jihad a-t-il choisi d’aller dans une université américaine comme l’ULA, un de ses amis a répondu en plaisantant : “Parce qu’il n’a pas été accepté à l’UAB (Université Américaine de Beyrouth).”

Puis il a ajouté plus sérieusement : “Pour avoir une enseignement de qualité comme tous les jeunes Libanais.”

Les amis de Jihad sont assiégés de sentiments contradictoires, la tristesse, la colère, la fierté et la joie, un mélange qui ne cesse de fasciner les occidentaux et qui montre bien que la jeunesse libanaise n’est pas déshumanisée et monolithique comme on le prétend souvent.

“J’ai beaucoup de peine,” nous confie Hussein, un ami et camarade d’école de Jihad. “J’ai eu un choc quand j’ai appris son martyr, je n’ai pas pu dormir de la nuit. J’avais la tête pleine d’images et de souvenirs.”

Les amis de Jihad le décrivent comme un jeune homme aimant la compagnie, fidèle à ses croyances, consciencieux, affectueux, charismatique et très intelligent. Un jeune homme qui avait donné son âme à la cause, bien avant son corps, qui haïssait l’injustice et fuyait tout ce qui est superficiel. Un homme qui avait l’étoffe d’un leader.

“Il aimait boire un café sur la Corniche au bord de la mer en face du Rocher de Raouché ou à l’université avant les cours. Il aimait les nuits calmes du sud-Liban avec les camarades et toutes les activités de groupe, il aimait s’amuser,” dit Hussein tout en sortant son téléphone pour nous montrer des photos de Jihad.

“Celle-ci a été prise le jour de son anniversaire,” dit Hussein en retenant ses larmes. “C’est dur, vous savez de le voir partir. Mais notre tristesse n’affaiblira pas notre adhésion à sa voie.”

La voie dont parlent Hussein et ses compagnons est celle qui conduit à la fin de l’état sioniste d’Israël.

“[Le chef du Hezbollah] Sayyed Hassan Nasrallah a dit en 2008 que ‘le sang d’Imad Mughniyeh sonnerait le glas d’Israël,’ et je lui fais confiance,” conclut Hussein.

Les amis de Jihad nous ont conté bien des épisodes de sa vie, mais ils nous ont aussi dit leur colère concernant la manière, selon eux “mensongère et erronée dont sont décrits” les jeunes du Hezbollah dans les médias.

“Ce n’est pas que nous voulons mourir, c’est que nous ne voulons pas vivre dans l’humiliation,” a dit Ali, un ami de Jihad lui aussi combattant du Hezbollah, à Al-Akhbar, en soulignant à quel point il aimait et admirait son ami.

“Il [Jihad] souhaitait le martyr, il voulait retrouver son père. Dieu a exaucé son souhait. Je ne le pleure pas. En réalité, je l’envie.”

Un sang qui n’aura pas été versé en vain

La mine sombre et en silence, les amis de Jihad attendaient à la sortie du cimetière où Jihad a été enterré dans la même tombe que son père, pour offrir leurs salutations avant de partir.

Jihad n’est qu’un des centaines de combattants qui sont morts en Syrie depuis que le Hezbollah a rejoint la guerre qui fait rage dans le pays voisin.

Le rôle du Hezbollah en Syrie a déclenché une controverse au Liban, certains approuvant le Mouvement et d’autres reprochant au Hezbollah de s’ingérer dans les affaires syriennes, de se battre aux côtés d’un régime indésirable et d’entrainer le pays dans la tourmente en attirant les représailles sur le Liban.

De nombreux jeunes Libanais affiliés au Mouvement du 14 mars ont aussi pris part au conflit syrien en rejoignant à la fois des groupes rebelles qui veulent renverser le président syrien Bashar al-Assad et des Islamistes extrémistes qui veulent établir un “califat islamique” à cheval sur plusieurs pays.

Ali, lui, est resté fidèle à la Résistance.

“On ne nous lave pas le cerveau et nous ne sommes pas suicidaires, nous sommes pleinement conscients des enjeux et nous venons des meilleures universités,” affirme Ali pour défendre l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie.

“Aurions-nous dû attendre qu’ils [les militants extrémistes] nous attaquent par surprise comme ils l’ont fait à Mosoul [en Irak] ? Nous avons le droit de défendre une terre [le Liban] abreuvée du sang de nos martyrs.”

La frappe a révélé la présence du Hezbollah aux abords du Golan, à l’endroit où Israël coopère avec la branche syrienne d’al-Qaida, le Front al-Nusra, qui se bat contre l’armée syrienne.

Les assassinats de dimanche mettent le Hezbollah dans une situation difficile et il réfléchit soigneusement à la réponse appropriée. Des représailles pourraient avoir de graves conséquences et pourraient plonger le Liban dans une nouvelle guerre sans merci contre l’état sioniste.

Israël et le Hezbollah ont évité de s’affronter sur une grande échelle depuis la guerre d’un mois de 2006. Mais le raid que Al-Manar, la chaine d’information affiliée au Hezbollah a qualifié d’“aventure coûteuse qui menace la sécurité du Moyen-Orient,” s’est produit quelques jours après que Nasrallah ait menacé Israël de représailles s’il persistait à opérer des frappes en Syrie.

"Si Dieu le veut, la Résistance se vengera, mais ce sont les leaders qui doivent décider quand et comment," a déclaré Ali. “Il ne faut pas réagir émotionnellement. Il faut être rationnel et savoir attendre.”

Mahmoud Qumati, un membre du bureau politique du Hezbollah, a dit aux journalistes, aux funérailles, qu’une guerre à grande échelle était improbable mais que les "frappes, les assassinats, et les confrontations épisodiques se poursuivraient.”

Mais un autre official du Hezbollah, le député Bilal Farhat, a refusé de dire ce qui allait se passer. "Nous verrons bien," a-t-il dit.

“Il faut d’abord venger Hajj Imad [Mughniyeh],” a dit Mehdi. “Je ne sais ni quand ni comment mais je suis sûr que le Hezbollah n’acceptera pas que leur sang ait été versé en vain.”

Et Mehdi de nous citer les paroles qu’a prononcées Nasrallah en 2008 après l’assassinat de Mughniyeh : "Ce meurtre, son timing, sa location et sa méthode sont autant de provocations — Sionistes, si vous voulez une guerre ouverte, j’en prends à témoin le monde entier, vous aurez une guerre ouverte," avant de conclure “le fait que nous soyons aux abords du Golan fait partie de cette guerre ouverte.”

* Rana Harbi est journaliste à Al-Akhbar.

De la même auteure :

- Des nationalistes arabes se battent aux côtés de la Syrie - 10 mai 2014
- Le féminisme en Islam : combattre la théologie par la théologie - 7 mai 2014

20 janvier 2015 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/node/23302
Traduction : Info-Palestine.eu - Traduction : Dominique Muselet