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France : quand des écolières se mettent à rêver au Jihad, c’est que la société a un sérieux problème
jeudi 25 décembre 2014 - Nabila Ramdani
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La perception de trop de jeunes Musulmans est que la majorité des Français ne les aiment pas et voudraient plutôt les voir envoyés ailleurs - Photo : Sipa Press

L’angoisse existentielle vécue par des adolescents peut entraîner toutes sortes de comportements fâcheux, mais quand des écolières disent à leurs parents qu’elles veulent joindre le combat en Syrie et en Irak, alors c’est que la société a un problème grave. De façon alarmante, ceci se produit de plus en plus en France, de jeunes Musulmans exprimant leur attirance pour le Jihad. Plus grave encore, ce serait 100 à 150 jeunes femmes et jeunes filles qui ont réellement rejoint des groupes tels que le ainsi-nommé État Islamique (ISIS), se rendant dans une zone de guerre pour consacrer leurs vies à la création d’un califat fortement militarisé et, s’il y a lieu, à mourir pour cette cause.

La même situation s’est produite en Grande-Bretagne, mais en moins grand nombre, et les jeunes femmes concernées ont moins un sentiment de rejet du pays où souvent elles sont nées et ont été élevées. Il n’y a aucun chiffre vraiment sûr des deux côtés de la Manche, mais certain exemples suggèrent que, en France, l’aliénation de la société soit une incitation bien plus grande pour joindre un conflit qu’elle ne l’est en Grande-Bretagne.

Ainsi, en juin dernier, une jeune fille de 14 ans connue sous le nom de Sarah a disparu de la maison familiale dans une banlieue de Paris pour se rendre Syrie. Elle a textoté à ses parents, leur disant de regarder dans sa chambre à coucher, sous le matelas, où ils ont trouvé une lettre douloureuse où elle annonçait qu’elle « se rendait dans un pays où l’on ne vous empêche pas de suivre [les préceptes de] votre religion ».

Plutôt qu’une interprétation fanatique de l’enseignement islamique ou d’une colère face aux attaques occidentales sur des pays tels que l’Irak et l’Afghanistan, les motivations de Sarah étaient basées sur ce qu’elle considère comme une discrimination dans son pays même. C’est nettement différent des jihadistes britanniques qui tendent à intégrer leur choix dans une lutte mondiale contre e violent ’interventionnisme [occidental] dans le monde musulman.

De nombreux autres jeunes filles en France écrivent régulièrement sur des sites de médias sociaux pour expliquer les raisons pour lesquelles elles envisageraient de fuir à l’étranger. Deux d’entre elles, âgées de 15 et 17 ans, sont sous surveillance juridique puisqu’elles correspondaient apparemment avec Sarah en vue de la rejoindre en Syrie, où elles prendraient très probablement un époux parmi les combattants français déjà sur place et seraient aussi formées à l’utilisation des armes.

Tous ces femmes potentiellement combattantes s’opposent à la méfiance française vis-à-vis de l’Islam. Méfiance qui s’est concrétisée dans toute une gamme de lois discriminatoires.

L’interdiction de la burqa a pris valeur d’exemple. Présentée en 2011 comme un moyen d’empêcher une petite minorité de femmes de se couvrir le visage en public, cette interdiction a provoqué une discussion des plus animées au sujet de la place des Musulmans dans la société française. Les attaques contre les femmes Musulmanes sont devenues monnaie courante, depuis les agressions par des éléments d’extrême-droite jusqu’à des gens arrachant le voile des visages pour soit-disant rappeler aux femmes leur « devoir public ».

Les politiciens de gauche comme de droite ont depuis soutenu un large éventail de mesures visant à limiter l’expression de la foi religieuse d’environ 5 millions de Musulmans qui vivent en France. On trouve dans cet arsenal l’interdiction de la prière dans la rue – les Musulmans français y sont pourtant parfois obligés en raison du nombre insuffisant de mosquées - et les contrôles sur l’approvisionnement en viande halal.

L’an passé, une jeune Musulmane âgée de 15 ans a été expulsée de son établissement d’enseignement parce qu’elle portait un bandeau un peu large dans les cheveux et une jupe longue, considérés comme « trop religieux ». Tous Les signes trop visibles d’affiliation religieuse, y compris les foulards islamiques, ont été interdits dans les écoles publiques françaises en 2004. C’était en conformité avec la nature laïque de la République française mais étendre la restriction à un bandeau d’environ 7 ou 8 centimètres de large a été considéré comme absurde. Le cas de la fille a été mis en évidence par des groupes anti-discrimination, tandis qu’était lancée une autre discussion tristement vicieuse au sujet du rôle de l’Islam dans la société.

Le Front National, une organisation qui jouit aujourd’hui d’un succès électoral massif, exploite tous ces cas pour faire campagne pour que soit mis fin à ce qu’il considère comme une islamisation de la société française. Comme dans les messages sociaux écrits par les jeunes filles partant pour la Syrie, les jeunes Musulmans racontent comment ils sont maltraités dans la rue, voir pire. Leur perception générale est que la majorité des Français ne les aiment pas et voudraient plutôt les voir envoyés ailleurs.

Depuis que les lois interdisant les foulards et les niqabs ont été votées, des Musulmans ont été régulièrement accusés de tenter de contourner une législation de plus en plus restrictive. Beaucoup ont cru que le président français, François Hollande - parait-il un socialiste libéral - montrerait une attitude plus conciliante vis-à-vis de la façon dont les Musulmans choisissent de s’habiller, mais son administration est une des plus réactionnaires dans l’histoire récente. C’est Hollande lui-même qui a réclamé l’année dernière que des règlements soient édictés dans les crèches contre le port du foulard islamique et il est aussi un ardent supporter de l’interdiction de la burqa.

Les questions de choix vestimentaire pourraient avec raison être considérées comme de peu d’importance s’il est question d’un mouvement terroriste commettant des atrocités contre ses ennemis occidentaux, mais comme l’illustre l’exemple français, l’influence d’une législation répressive et discriminatoire sur de jeunes esprits influençables ne devrait pas être écartée.

* Nabila Ramdani est une journaliste, chroniqueuse et animatrice franco-algérienne primée. Elle est spécialiste de la politique française, des affaires islamiques et du monde arabe. Elle rédige des chroniques pour les journaux The Guardian, The Observer, The Independent et London Evening Standard. Son site internet : http://www.nabilaramdani.com

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3 octobre 2014 – The Guardian – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.theguardian.com/commenti...
Traduction : Info-Palestine.eu