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France : un vote parlementaire sans incidence, purement formel...
jeudi 4 décembre 2014 - Alain Gresh
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Paris - Manifestation de soutien à la Palestine

Pour comprendre le sens d’une telle démarche, il faut se référer au discours tenu devant les membres du parlement par le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius : « Loin d’être une querelle sémantique, l’initiative actuelle n’est pas une injonction mais une invitation adressée par le gouvernement. Donc, il n’y a pas d’ambiguïté sur la question de la reconnaissance de l’État de Palestine que le Parlement a le pouvoir de décider, et il va le faire, mais en vertu de notre Constitution, c’est l’exécutif, et seulement l’exécutif, qui est juge de l’opportunité politique. »

Pour clarifier sa pensée, Fabius a ajouté : « Seul, ou avec l’aide des États-Unis, les deux parties ont toujours réussi à négocier avec succès, mais elles ont échoué à parvenir à un accord. En particulier pour des raisons de politique intérieure, les deux parties ne ont pas réussi à réaliser les concessions finales imposées pour la signature d’un compromis. Par conséquent, nous avons besoin de réévaluer cette méthode. Nous devons nous engager avec les deux parties. Certains suggèrent que la pression de la communauté internationale aidera les deux parties à parvenir au consensus final indispensable et à s’engager dans la dernière étape qui va conduire à la paix ».

Fabius a suggéré que se tienne une conférence internationale qui devra aboutir à un accord dans un délai de deux ans, « car en l’absence d’une contrainte de temps, comment pourrions-nous être sûrs que ce ne sera pas juste un processus de plus, sans réelles chances de succès ? »

Intentions françaises

Cette discussion clarifie les intentions des dirigeants français. Si les négociations échouent au bout des deux années, Paris ne sera pas tenu de reconnaître l’État de Palestine. Mais ce que le ministre n’a pas dit, c’est pourquoi et comment le délai de deux ans changerait la situation.

Il est à noter que les accords d’Oslo avaient fixé1999 comme date limite pour les négociations israélo-palestiniennes. La feuille de route publiée en 2003 et parrainée par le Quartet avait de son côté annoncé 2005 comme date finale à des négociations israélo-palestiniennes. Le sommet d’Annapolis en 2007, convoqué par le président américain George W. Bush, avait appelé à un État palestinien d’ici 2007... Et en 2010, le président américain Barack Obama avait également appelé à la création d’un État palestinien, cette fois-ci avant la fin 2011.

Il convient de souligner aussi un autre élément du discours de Fabius. Il soutient que la cause de l’échec des négociations viendrait de l’incapacité des « deux parties » à parvenir à un consensus. Ainsi, ce n’est pas Israël qui pendant des décennies, a violé le droit international, étendu les colonies, accentué la judaïsation de Jérusalem et maintenu le blocus de Gaza. Par conséquent, selon Fabius, les deux parties devraient être tenues également responsables.

La reconnaissance de l’État de Palestine par la France constituera un pas en avant. Mais en fait, le débat doit être contextualisé. Il s’agit d’un geste dans le cadre de la solidarité avec la Palestine qui s’est renforcée après l’agression israélienne contre Gaza l’été dernier.

La Suède a été le premier pays de l’Union européenne à reconnaître l’État de Palestine (ainsi que certains autres pays, dont les pays de l’ancien bloc de l’Est, avant qu’ils rejoignent l’UE). Le Parlement britannique et le Congrès espagnol ont également voté pour la motion. Quant au Parlement européen, il a décidé sous la pression israélienne, de reporter de plusieurs semaines le vote qui aurait dû avoir lieu le 27 novembre.

Sauver la mise à Hollande

Le ralliement du Parti socialiste français derrière cette reconnaissance est une tentative de rattraper les honteuses déclarations faites par le président François Hollande lors de la récente agression israélienne contre Gaza. Hollande avait alors, dans une conversation téléphonique avec Benjamin Netanyahu, exprimé sa solidarité et son soutien au droit d’Israël à se défendre, sans dire un seul mot sur les victimes palestiniennes.

Cela illustre le changement dans la politique française durant la dernière décennie.

Les mots « amour pour Israël » prononcés par Hollande lors de son voyage en novembre 2013, sont maintenant devenus le pilier de la diplomatie française. Il n’est pas seulement question de philo-sémitisme, il s’agit d’un soutien puissant à un pays présenté comme à la pointe de la lutte contre le radicalisme, le fer de lance de l’Occident. Il fait également partie d’une nouvelle alliance avec les États-Unis, que le magazine The Economist a souligné cette semaine.

Considérant ce contexte, que va changer le vote du Parlement français ? Peu de chose, même si c’est une victoire symbolique pour les Palestiniens. Pourquoi ? En supposant que la solution à deux États soit encore possible malgré la colonisation, la question est de savoir si la reconnaissance française la rapprochera. Ce vote n’arrête ni l’expansion des colonies ni la judaïsation de Jérusalem, alors que les Palestiniens endurent une répression quotidienne et que le blocus de Gaza continue.

Pour vraiment faire une différence, il est nécessaire d’aller au-delà des déclarations rhétoriques et de signaler clairement la responsabilité du gouvernement israélien dans le blocage du processus [de négociations]. Par exemple en faisant subir les conséquences [de l’occupation] en imposant des sanctions, comme le fait la France à l’égard de la Russie ou de l’Iran. Et l’UE étant le premier partenaire d’Israël, elle pourrait imposer une interdiction de tous les produits fabriqués dans les colonies.

Paris pourrait également émettre une directive rendant illégale toute entreprise française ou activité des citoyens dans les colonies, dont le service dans l’armée israélienne. Le général Charles de Gaulle, qui avait imposé un embargo sur les armes à Israël après la guerre de 1967, n’aurait pas hésité à prendre de telles mesures. Mais la France gaulliste est une chose du passé.

* Alain Gresh est directeur adjoint de Le Monde Diplomatique et spécialiste du Moyen-Orient.

3 décembre 2014 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu