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L’après-guerre : les habitants de Gaza font face à de terribles difficultés
samedi 25 octobre 2014 - A. al-Ghoul & R. Abou Jalal
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Le 19 octobre 2014, à l’Est de la ville de Gaza, des Palestiniens se couvrent de la pluie qui s’abat dehors sous un abri de fortune planté non loin des ruines de leurs maisons qui, d’après les témoins, ont été détruites durant l’offensive israélienne qui a duré sept semaines - Photo : Reuters/Mohammed Salem

Umm Mohamed passe la majeure partie de son temps dans ce couloir. Elle y lave les vêtements de sa famille, la vaisselle et c’est là aussi qu’elle reçoit ses invités, sauf qu’elle ne peut pas dormir sur place car le couloir donne directement sur une rue animée. Elle dort dans la bibliothèque de la mosquée d’en face, elle aussi bombardée pendant l’offensive.

Elle raconte à Al-Monitor : « Je suis une femme, et je ne peux donc pas dormir dans la rue comme les hommes. Dès que les prières quotidiennes du soir sont terminées [aux environs de 20h], je me rends à la bibliothèque de la mosquée pour dormir et je dois me lever très tôt le matin avant que ne commencent les prières de l’aube [aux environs de 5h] pour accueillir une nouvelle journée. »

Et la journée d’Umm Mohamed commence par la préparation du petit déjeuner au mari sans emploi et à leurs quatre enfants. Ensuite, elle s’occupe du linge de la famille qu’elle lave à la main. Dans l’après-midi, elle va ramasser le bois des arbres détruits par les chars israéliens afin de préparer le déjeuner de la famille.

« Israël nous a ramenés 100 ans en arrière. Tout comme nos ancêtres, nous vivons actuellement sous des tentes et nous dépendons du bois de chauffage. Nous devons aussi aller chercher l’eau dans des endroits lointains et isolés, » déplore-t-elle d’une voix empreinte d’angoisse.

Elle poursuit son récit pendant qu’elle est assise à même le sol, en train de laver la vaisselle. Elle avoue que la survie de sa famille est due aux dons des bons Samaritains qui leur fournissent la nourriture en conserve. « Nous mangeons quotidiennement le riz, les haricots, la viande et les sardines en conserve. C’est la seule nourriture que les gens nous offrent. »

Avant le crépuscule, Umm Mohamed place un canapé usé dans le couloir pour souffler un peu des tâches ménagères quotidiennes réservées à sa famille. Elle contemple un groupe d’ouvriers bénévoles qui s’aident à construire une petite pièce qui abritera la famille du froid et de la pluie avant l’installation de l’hiver.

Elle explique : « Ces ouvriers ont utilisé quelques pierres de notre maison détruite afin de construire une petite pièce pour ma famille. Cependant, faute d’argent, nous ne pourrons pas la clôturer avec un plafond en béton. Le sol est fait de sable et le toit est en tôle. Autrement dit, il n’y a pas moyen pour que la chambre soit étanche et isole le froid, néanmoins, j’espère que nous serons capables de supporter. »

Umm Mohamed continue à vaquer à ses occupations quotidiennes malgré ses douleurs chroniques causées par l’ostéoporose. « Nous n’avons plus d’argent pour acheter les médicaments qui calment mes douleurs. Tous nos biens sont désormais ensevelis sous les décombres. »

Elle est restée silencieuse un court instant avant d’ajouter : « C’était une très grande et belle maison. Nous avons perdu tout notre argent et tous mes bijoux en or. Nous avons perdu notre avenir et le dur labeur du passé s’est volatilisé. Mon rêve le plus cher est de pouvoir revivre dans ma maison, marier mon aîné et voir mes petits-enfants jouer tout autour. C’est tout ce que je souhaite avant de mourir. »

Adnan al-Najjar, étudiant qui se spécialise dans la gestion de la santé à l’Université Ouverte d’Al-Qods, venait à peine de terminer ses cours lorsqu’il a reçu un SMS de son père lui demandant d’aller voir avec une organisation établie à Khan Younis pour une aide alimentaire. « Tout a changé après la guerre. Moi-même j’ai changé ; je sens comme si j’ai vieilli de 20 ans, » a-t-il confié à Al-Monitor.

Pour arriver à l’organisation qui distribue des aides alimentaires pour les familles affectées, Adnan parcourt le double du trajet qu’il emprunte quotidiennement de son université à la maison. Il lui est même arrivé de devoir sortir au milieu des cours qui d’habitude se terminent à 14h. Il se sent responsable pour sa famille bien qu’il n’apporte que quelques kilos de sucre et de farine.

C’est pendant la dernière guerre israélienne contre Gaza que Adnan, ce jeune homme maigre, a perdu sa maison située dans la ville de Khuza’a, à l’Est de Khan Younis. Avec sa famille, il a été piégé sous les décombres de la maison bombardée par les avions israéliens, le 24 juillet dernier. Après qu’il ait réussi à sortir des décombres, il a été arrêté par les soldats qui n’ont pas tenu compte de sa blessure. « Ma tête était la seule partie de mon corps qui émergeait de la terre durant le bombardement. Je ne m’attendais vraiment pas à ce que ma famille et moi en sortions vivants. Il n’y avait rien autour de nous, n’étaient-ce les soldats israéliens et leurs chiens policiers qui s’approchaient de ma tête pour me renifler, » raconte Adnan.

Adnan a été détenu durant cinq jours. Il a ensuite été relâché et est retourné à Gaza par le passage de Beit Hanoun (Erez), le 28 juillet. Son frère Khaled est, quant à lui, resté en détention.

« J’essaie de me concentrer sur mes études, mais c’est très difficile. Les souvenirs hantent mon esprit et ma tête ne cesse de rappeler les détails de ce jour. Je ferme ainsi le livre et je reviens au moment où la maison fut bombardée sur nos têtes. Je me souviens également de mon frère Khaled qui devait terminer ses études en droit cette année, » raconte Adnan.

Chaque matin, lorsqu’il se lève, Adnan se dirige vers l’entrée de la ville de Khuza’a pour attendre qu’un taxi le conduise à l’Université d’al-Qods. Cependant, son trajet est loin d’être simple et possible après la guerre, et depuis que Khuza’a a été déclarée zone sinistrée.

Il poursuit : « Même les taxis boudent notre zone. J’ai perdu ma maison, mon frère est détenu et la famille a été divisée. Ma mère est actuellement chez mon oncle, mon père chez des proches et mes sœurs sont chez mon frère marié à Khan Younis. »

Al-Monitor a accompagné Adnan le long de son trajet quotidien. Pour arriver à son l’université, il passe une heure de temps à effectuer trois changements. Côté passe-temps, il semblerait que le seul divertissement disponible pour le jeune est de rester assis sur les maisons en ruine de Khuza’a à discuter avec des amis. Lorsqu’il décide de réviser, il pend son livre et se met sur le sol en face de ce qui reste de sa maison. Son frère aîné, Omar, s’assied à côté de lui, les yeux rivés sur un livre au sujet des méthodes d’enseignement. Les deux sont entourés de décombres ; la scène qu’ils offrent aux passants est vraiment surréelle.

Omar reste optimiste : « Pour moi, il n’y a pas plus important que l’éducation ; c’est pourquoi, je ne céderai pas au désespoir. » Adnan sourit et dit : « Je ne suis pas désespéré mais les scènes de destruction ne veulent pas abandonner mon esprit. Mon frère Omar n’était pas à la maison lorsqu’elle a été bombardée, et nous à l’intérieur. »

Si Adnan n’avait pas reçu la subvention à l’éducation que l’Université Ouverte d’Al-Qods réserve aux étudiants dont les maisons ont été démolies, il n’aurait pas été capable de s’inscrire pour cette deuxième année universitaire qui a commencé à la mi-septembre.

« Parfois, je me dis qu’il me faudrait des années de divertissement et de soutien psychologique pour que je puisse recouvrer mes forces, ma concentration et ma vie telle qu’elle était avant, » pense-t-il.

Khuza’a est un petit village dans lequel près de 360 maisons ont été détruites. Marcher avec Adnan à travers ses rues ressemble à une balade au milieu d’un dédale de ruines. Toutefois, il a réussi à mémoriser des raccourcis et des chemins de traverse qui le conduisent à la maison. « Huit de mes frères étudient à l’université. Nous mesurons parfaitement la valeur de l’éducation car elle est la seule solution pour améliorer notre situation, » précise-t-il.

L’entrée de la maison de Adnan est en quelque sorte trompeuse. Restée intacte, l’entrée cache un intérieur ouvert et découvert. Les bombes qui se sont abattues sur la maison à deux étages ont détruit les escaliers intérieurs et les murs des chambres. Il est impossible de marcher à l’intérieur sans tomber.

Il ajoute : « De temps à autre, une autre partie de la bâtisse s’effondre. La maison est certes délabrée, mais les loyers coûtent les yeux de la tête, donc nous préférons rester étudier ici jusqu’à ce que l’hiver s’installe ; après, nous irons chez des proches. »

À l’instar de toute la Bande de Gaza après la guerre, l’aspect extérieur de Adnan semble reconstitué. Il se dirige vers de nouveaux départs, vers l’avenir que tout étudiant et tout universitaire convoite. Mais à l’intérieur, c’est un garçon détruit par la perte, le chagrin, la douleur et les souvenirs.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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* Rasha Abou Jalal est écrivain et journaliste à Gaza, spécialisée dans les nouvelles politiques, les questions humanitaires et sociales liées à l’actualité.

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20 octobre 2014 – Al Monitor – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha