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Irak : un avenir de plus en plus sombre
mardi 9 septembre 2014 - Deepak Tripathi
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Distribution d’aide alimentaire d’urgence - Nord de l’Irak

Les politiciens et les experts ont tablé sur l’éclatement de l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein après l’invasion des États-Unis en 2003. Les événements en Irak et les actions des puissances extérieures comme Israël, les États-Unis et leurs alliés européens, n’ont fait que rendre plus réelle la perspective d’une fragmentation.

On nous rappelle souvent la nature « artificielle » de l’État irakien depuis sa création sous les mandats britannique et français au Moyen-Orient après la chute de l’Empire ottoman. Le nord kurde, le centre sunnite et le sud chiite auraient rendu l’Irak inconciliable, et compte tenu du caractère autocratique du gouvernement de Saddam Hussein, l’éclatement de l’Irak était inévitable. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que l’inévitable ne se produise. Ce moment est peut-être arrivé.

Le passé est instructif, et définit le présent comme l’avenir. Cependant, un élément essentiel qui fait défaut dans ce récit est le rôle des intervenants extérieurs qui précipite aujourd’hui l’éclatement de l’Irak. L’État irakien d’aujourd’hui, démembré et remodelé par les Américains il y a une décennie, est plus fragile que jamais depuis sa création par les Britanniques en 1920. Un siècle plus tard, ceux qui interfèrent dans les affaires de ce pays sont nombreux .

Avec sa déclaration de juin dernier pour soutenir l’idée d’un État kurde indépendant entre l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait jeté le pavé dans la mare. La belligérance instinctive de Netanyahu et sa propre marque dans le sionisme sont comparables aux gènes extrémistes qui existent dans d’autres systèmes religieux, même si des questions se posent à la suite des remarques de Netanyahu et sur ses motifs possibles. Était-ce une suggestion à l’emporte-pièce qui n’engage que lui-même, ou cela fait-il partie d’un plus grand complot visant à remodeler le Moyen-Orient ? Si c’est le cas, d’autres puissance seraient-elles impliquées ?

Ceux qui connaissent un peu l’histoire du Moyen-Orient du siècle dernier, savent que des grandes puissances venues de loin ont redessiné la carte de la région par la force. Elles ont envahi, provoqué des coups de force et manipulé la politique et les peuples de la région. Les cas qui viennent à l’esprit sont le morcellement territorial du Moyen-Orient par la Grande-Bretagne et la France, les États-Unis et l’Union soviétique dans le grand jeu de la guerre froide, et le complot de 1953 par la CIA américaine et l’agence britannique du renseignement MI6 pour renverser le gouvernement élu de l’Iran. Le coup d’État anglo-américain a poussé l’Iran dans un voyage turbulent conduisant le pays à la révolution de 1979 et posant les fondations de ce qu’est l’Iran d’aujourd’hui.

Depuis l’annonce explosive de Netanyahu, l’intrigue s’est épaissie avec les initiatives des États-Unis et de leurs proches alliés européens. Le spectre croissant de l’État islamique (IS) et de la menace pour les minorités de l’Irak et les Américains en service dans ce pays, ont offert à l’administration Obama une nouvelle opportunité pour une plus grande intervention militaire. L’intervention d’Obama est opaque, mais réelle. Encore une fois, la Grande-Bretagne et la France n’ont pas tardé à emboiter le pas aux États-Unis à la fois dans la rhétorique et dans l’action.

Washington a saisi sur le prétexte des progrès rapides des milices de l’État islamique dans certaines parties de l’Irak central et du nord jusqu’à la région autonome du Kurdistan. La réaction dans les capitales européennes a été instantanée, en particulier à Londres et Paris. Certains combattants de l’État islamique en Irak et la Syrie sont venus de la Syrie elle-même où ils ont bénéficié de l’aide des États-Unis, de l’Arabie et du Qatar pour leur campagne contre le régime de Bachar al-Assad. D’autres viennent de Libye, d’Égypte, de Grande-Bretagne même. Cependant, beaucoup sont des sunnites irakiens mécontents produits par un phénomène d’origine locale.

Le magazine The Atlantic a publié le 23 juin 2014 un article accablant signé de Steve Clemons sous le titre « Merci aux Saoudiens : l’ISIS, l’Irak, et les leçons du coup en retour ». Clemons y explique comment l’ISIS a été créée par l’Arabie, avec le soutien du Qatar et les encouragements des États-Unis.

L’Arabie Saoudite, en particulier, a pris l’habitude de soutenir des groupes sunnites pour qu’ils aillent se battre ailleurs, de sorte qu’ils ne constituent pas une menace pour la famille régnante des Al-Saoud. L’habitude remonte à la guerre en Afghanistan contre les Soviétiques dans les années 1980, si ce n’est avant. Obama n’est pas très content de ce comportement erratique des plus proches alliés arabes de l’Amérique. Les tensions sont à peine voilées entre la Maison Blanche et la famille royale saoudienne sur d’autres questions de politique. Néanmoins, après une période difficile, Obama semble avoir relancé l’amitié avec la famille al-Arabie, leur rendant visite en mars de cette année.

Après la création d’un nouveau monstre, le récit officiel américain s’est rapidement retourné contre l’État islamique. Le temps était venu de « détruire » l’organisation. D’où le bombardement de l’Irak, la décision d’envoyer plus de « conseillers » militaires américains, le limogeage du Premier ministre Nouri al-Maliki après que le président Obama et le vice-président Jo Biden aient tenu des consultations téléphoniques avec le président irakien, et la décision de fournir des armes à la région autonome kurde.

Les spéculations vont bon train dans certains milieux sur le déploiement « au sol » en Irak de troupes américaines. Elles y sont en fait déjà, sous un autre voile.

Quand les États-Unis engagent une nouvelle orientation en politique étrangère, la Grande-Bretagne et la France sont désireuses de suivre. Il est autant utile au Premier ministre David Cameron et au président François Hollande de soulever des questions de sécurité et de politique étrangère, les deux dirigeants étant en sérieuse difficulté en politique intérieure. A Paris, le président socialiste a suivi immédiatement Washington en décidant de fournir des armes aux Kurdes irakiens, soi-disant pour vaincre les milices de l’ISIS. A Londres, le gouvernement de coalition du Parti conservateur et du Parti libéral-démocrate a ordonné à la Royal Air Force de voler encore plus profondément à l’intérieur de l’Irak afin de « surveiller » les activités de l’ISIS.

Le changement est venu à peine une semaine après qu’une opération ait commencé pour « soulager » les réfugiés Yazidi assiégés sur le Mont Sinjar. A Londres, le ministre de la Défense, Michael Fallon, a affirmé que la mission britannique en Irak pourrait durer des mois. Le premier ministre, David Cameron, est allé plus loin et a déclaré que la Grande-Bretagne devrait être prête à déployer ses « prouesses militaires » pour aider à vaincre les djihadistes. À ce moment-là, il semblait faire allusion à une autre mission et ce qu’il voulait vraiment dire reste peu clair.

Le public britannique a peu d’appétit pour envoyer des troupes combattre à l’étranger, mais il y aurait déjà, selon certains rapports, des forces spéciales britanniques en Irak.

Ainsi, à quelques semaines seulement de la déclaration de Netanyahou pour soutenir l’indépendance kurde, l’intrigue s’est épaissie. Prenons les bombardements et les opérations de renseignement de l’aviation américaine et britannique ; le déploiement par le président Obama de conseillers militaires (le plus probablement des forces spéciales) ; l’armement des Kurdes par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et éventuellement d’autres ; le départ de Nouri al-Maliki du poste de Premier ministre de l’Irak ; et de plus en plus de pétrole exporté de la région autonome kurde et ses liens stratégiques avec Israël. Tous ces éléments pointent dans la même direction.

Ces actions semblent faire partie d’un programme commun. Celui-ci consiste à affaiblir l’autorité de l’État irakien, enhardir les revendications d’indépendance kurde, renforcer l’implantation d’Israël en Irak, et attiser des troubles dans les populations kurdes de l’Iran, la Turquie et la Syrie qui est déjà réduite à l’état de ruines. Cela enflammera jusqu’au conflit les tensions déjà latentes entre un État kurde, une fois sa sécession terminée, et un État irakien tronqué.

Le succès de ce complot signifiera un revers pour les intérêts stratégiques de l’Iran, son voisin chiite irakien devenant alors une entité plus réduite et plus faible. Par conséquent, les États-Unis et leurs alliés auront encore plus assuré leur griffe sur la région.

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* Deepak Tripathi est un écrivain spécialisé sur l’Asie du Sud, le Moyen-Orient, la guerre froide et la place des États-Unis dans le monde. Il est membre de la Royal Historical Society et la Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland.

3 septembre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar