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Cisjordanie : frustration et colère face aux crimes de l’occupant
mardi 12 août 2014 - Bethan Staton
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Funérailles de Mohammed al-Qatary, jeune Palestinien de 20 ans assassiné vendredi 8 août par les forces israéliennes d’occupation à proximité de la colonie juive de Psagot - Photo : AFP

Ramallah - Les habitants du camp d’Al Amari ont pleuré aujourd’hui la mort de Mohammed al-Qatary. Tué hier par les forces israéliennes, ce jeune homme âgé de 20 ans est l’un des 18 Palestiniens à avoir été assassinés en Cisjordanie depuis l’escalade de l’agression sur Gaza début juillet.

Lors de ses funérailles, ses parents et amis ont défilé dans la direction de Psagot, une colonie juive qui borde Ramallah. Quelques semaines plus tôt, les colons s’en étaient pris à un enterrement palestinien qui se rendait dans la même direction. Ce samedi, une certaine violence était prévisible et on a signalé plusieurs blessés. Mais à la mi-journée, de nombreux habitants regagnaient al Amari. Au camp, l’air paraissait accablé de douleur - mais la tristesse des personnes en deuil n’était pas seulement dirigée vers Qatary.

« Pour tous ceux qui vivent en Cisjordanie, leurs émotions et leurs sentiments sont avec Gaza », dit à Middle East Eye (MEE) Ghaleb al Bis, le directeur de l’UNRWA du camp Al Amari. « La chose qui se passe à Gaza est une chose terrible, comme un tremblement de terre, et cela se reflète dans l’état d’esprit dans les gens d’ici. Ce qui se passe là-bas n’est pas une guerre, c’est juste de la destruction, de la vengeance. »

« Nous espérons que les funérailles se passeront sans incident », nous dit al Bis.

« Mais la guerre contre Gaza est la raison pour laquelle ces choses se produisent en Cisjordanie. Comme tous les gens dans le monde, nous détestons les funérailles, nous détestons les effusions de sang. Nous voulons vivre nos vies dans la paix. »

Dans la salle où sa famille et ses amis ont mangé et ont pleuré ensemble ce samedi, des affiches commémorant la mort de Qatary sont collées sur les murs. La moitié de l’affiche faite à la hâte montre la photo d’un jeune homme à l’air sérieux, tenant un trophée de sport, avec ses cheveux lissés en arrière. L’autre montre un gros plan du même visage mais battu, gonflé, les yeux fermés dans la mort. Il y a aussi d’autres affiches sur les murs. Le samedi matin, Nader Mohammed Idriss âgé de 40 ans est mort d’une blessure par balle reçue lors d’un affrontement vendredi, devenant le deuxième après Qatary, à mourir en l’espace de 24 heures. Dans sa ville natale de Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, les magasins ont été fermés en signe de deuil le samedi.

De nouveaux affrontements ont éclaté en Cisjordanie après les funérailles de Qatary et Idriss, les jeunes palestiniens lançant des pierres et les soldats israéliens répliquant avec des tirs de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes.

« Depuis que la guerre a commencé, les gens d’ici se sentent très en colère, mais impuissants, » nous dit Anas Saraeta, au Centre de ressources et de développement de la jeunesse de Hébron. Le nombre croissant de personnes assassinées alors qu’elles protestaient contre l’effusion de sang à Gaza, dit-elle, augmente à la fois la tension et le sentiment d’impuissance ressenti par les Palestiniens. Les affrontements d’aujourd’hui et depuis un mois ont souvent lieu aux barrages militaires et à proximité des colonies juives, l’incarnation même de l’occupation en Cisjordanie.

« Il y a plus de colère, plus de haine, et les gens sont plus chargés d’énergie négative », explique Saraeta. « Quand les gens vont à des affrontements, ce n’est pas parce qu’ils ont une idée de comment résoudre quoi que ce soit. Ils sont tout simplement en colère à propos de ce qui se passe dans la bande de Gaza, et ils veulent exprimer cette colère. »

« Pas de côtés égaux »

A Ramallah, Dima, âgée de 17 ans, ressent la même colère et la même frustration. « La guerre qui se passe à Gaza, ce n’est pas entre deux côtés égaux. Elle nous bouleverse. Vraiment, les gens se sentent profondément touchés à ce sujet », dit-elle. « [Les Israéliens] utilisent le Hamas comme une excuse pour tuer des gens innocents, et c’est une profonde injustice. Nous faisons de notre mieux pour faire avancer les choses, mais en réalité cela semble impossible. Cela ne suffit pas. »

Au centre de la place Manara à Ramallah, Dima a participé à une manifestation, où des jeunes gens portant des t-shirts sur lesquels est écrit « Nous sommes tous Gaza » - maintenant vendus sur les étals des marchés partout en Cisjordanie - crient des slogans et brandissent des drapeaux. Beaucoup utilisent leur énergie dans la collecte d’argent, de médicaments et de nourriture pour les habitants de Gaza. Mais cela n’assouvit par leur colère ou leur sentiment d’inutilité.

« C’est très difficile pour les Palestiniens, d’autant plus que certains d’entre nous sont dans la bande de Gaza et les autres en Cisjordanie, » nous dit Basma Battat, qui possède un restaurant à Ramallah. « Nous pensons que la communauté internationale considère avec des yeux différents le peuple israélien et le peuple palestinien. Pourtant beaucoup de Palestiniens sont tués. Ce qui s’est passé hier en est un autre exemple. »

Basma a trois enfants, et elle s’inquiète de les voir blessés lors de leur participation aux différentes actions. « Chaque jour, ma fille dit qu’elle va à la prison d’Ofer, à la manifestation, » dit-elle. « J’essaie de lui dire qu’elle ne devrait pas, peut-être que quelque chose va arriver, mais elle me répond : ’vous y alliez quand vous étiez jeunes.’ Maintenant, je lui dis que si vraiment elle doit y aller, qu’elle se garde en sécurité. Qu’elle se tienne derrière ses amis plus grands ! »

Le pire devient réalité

Dans al-Amari, où le pire est devenu une réalité pour la famille Qatary, la douleur et la frustration sont durement ressenties. Qu’il y ait de plus en plus de tués ne diminue pas la volonté de parvenir un jour à la paix, mais cela entretient le sentiment que les voies actuelles vers une solution sont des impasses. « Si les Palestiniens ne peuvent rien obtenir par le processus de paix, nous allons faire une troisième Intifada », dit Alian Alhindi, chercheur et traducteur de l’hébreu. « En fin de compte, la colère finira en explosion. »

Cette explosion de colère ne concerne pas seulement la bande de Gaza. « La première chose est un cessez-le-feu dans la bande de Gaza », déclare Alhindi. « Mais l’application de cette demande n’est pas une solution. L’important est une solution complète pour l’ensemble de la question palestinienne. »

Le samedi, le refrain que « quand il y aura le calme dans la bande de Gaza, il y aura le calme en Cisjordanie » est souvent entendu, et pour beaucoup ici, la douleur de voir l’effusion de sang en cours est dévorante.

Mais les gens savent aussi qu’il n’est pas uniquement question du cycle actuel d’effusion de sang : les décès, comme ceux de Qatary et Idriss ces dernières 24 dernières heures, continueront probablement, et de nouvelles voies devront être explorées pour surmonter le sentiment d’impuissance de ces dernières semaines. Quoi qu’il arrivera ici en Cisjordanie, cela promet d’être long et difficile.

9 août 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/news/g...
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar