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Le Shin Bet mis en échec
lundi 30 juin 2014 - Meron Rapoport
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Nervi des troupes d’occupation en pleine action... La Cisjordanie sous occupation est certainement le territoire le plus fliqué au monde, et malgré cela le Shin Bet se sera pris pris une claque magistrale s’il se confirme que les colons disparus sont aux mains de la résistance palestinienne - Photo : AP

En septembre 2013, Nidal Omar, un jeune Palestinien travaillant dans un petit restaurant à la périphérie de Tel-Aviv, avait invité Tomer Hazan - un de ses collègues israéliens et un sergent de l’armée de l’air israélienne - à l’accompagner dans son village de Cisjordanie à proximité de Kalkilia. Ce voyage s’est avéré devoir être tragique.

Omar a conduit Hazan jusqu’à un puits près de son village, puis il l’a tué et a jeté son corps au fond. Quelques heures plus tard, les parents de Hazan signalèrent sa disparition et leur déposition a été faite à 22 heures. Cinq heures plus tard, les soldats de l’armée israélienne frappaient à la porte de Omar et l’arrêtaient. Bien que Omar ait agi de son propre chef et qu’il n’appartenait à aucun groupe palestinien militant, ce très court laps de temps a été suffisant pour que le service de sécurité israélien, le Shin Bet, résolve l’affaire et mette la main sur Omar.

Cette histoire n’est pas exceptionnelle. Les forces de sécurité israéliennes ont la réputation de savoir tout ce qui se passe en Cisjordanie, depuis les conflits familiaux jusqu’aux affiliations politiques individuelles. L’exception, dans notre cas, est peut-être liée au fait que deux semaines après la disparition des trois adolescents israéliens dans Gush Etzion, et après que des dizaines de milliers de soldats aient passé au peigne fin chaque pierre dans et autour de la pas-si-grande ville d’Hébron, personne n’ait encore une idée claire sur leur localisation et leur sort.

Il a fallu attendre jeudi pour que le Shin Bet publie les noms des deux ravisseurs présumés, bien que leur identité était apparemment connue depuis le lendemain de la disparition des trois colons. Même si cela est exact, ces deux militants du Hamas de Hébron seraient toujours en liberté.

Est-ce une source d’embarras pour le renseignement israélien à la si bonne réputation ? Alex Fishman, le commentateur militaire de Yediot Aharonot affirme que la décision de publier leurs noms après un si long délai a été faite parce que le public est en train de perdre patience. Le député Israël Hasson (parti Kadima), ex-directeur adjoint du Shin Bet, rejette avec colère ces doutes : « 100% de renseignement, cela n’existe tout simplement pas », dit-il. Pourtant, des points d’interrogation subsistent.

« Le niveau de renseignement d’Israël [sur la Cisjordanie] est excellent », affirme Shaul Arieli, ex-commandant de la Brigade du Nord dans la bande de Gaza et expert de premier plan dans le conflit israélo-palestinien. Outre les dispositifs électroniques israéliens d’enregistrement et de surveillance très sophistiqués, pour Arieli le « facteur humain » reste crucial.

Les collaborateurs - dit Arieli - sont faciles à recruter. Alors que les Palestiniens sont totalement dépendants de l’armée israélienne dans tous les aspects de leur vie, pour un traitement médical en Israël, pour travailler et voyager à l’étranger, il n’est pas difficile de faire pression sur eux aux checkpoints et ailleurs.

Les Palestiniens sont évidemment très conscients de cette réalité et peut-être même la surestiment-ils. « Si un jour le voile se lève » - dit Mohamed M., un Palestinien qui a travaillé pour le Shin Bet - « nous pourrons trouver deux ou trois personnes travaillant pour Israël dans la même maison. Un garçon peut reconnaître son père, un père pourrait reconnaître son fils. Ils [les Israéliens] savent quand un Palestinien va aux toilettes ».

« Le Shin Bet est partout », ajoute-t-Awni Almashni, un analyste palestinien et ex-officier des Forces de sécurité palestiniennes. « Ils sont dans tous les bureaux du gouvernement [autorité palestinienne], dans tous les services de sécurité. »

Depuis 2002, lorsque les forces israéliennes ont envahi les camps de réfugiés et les villes en Cisjordanie pendant l’opération « bouclier défensif » - annulant de facto toutes les différences de traitement inscrites dans les accords d’Oslo entre les zones sous contrôle palestinien (zone A) et celles sous contrôle militaire israélien (zones B et C) - la présence israélienne dans les territoires palestiniens se ressent nuit et jour.

La Cisjordanie est une zone relativement petite (5620 kilomètres carrés) découpée en différentes enclaves par des colonies israéliennes et des postes de contrôle militaires. Avec l’armée qui entre dans les villes palestiniennes presque tous les soirs pour kidnapper des suspects - et ce avec l’aide des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne - il est juste de dire que Israël a (presque) le plein contrôle de la Cisjordanie.

Le Dr Ben Zur Bark, un expert en intelligence stratégique qui a occupé des postes à la fois dans le renseignement militaire (AMAN) ainsi que dans le Shin Bet, explique que cette stratégie a été mise au point après un débat interne à l’intérieur de l’appareil de sécurité israélien. L’armée était hésitante, tandis que le Shin Bet était en faveur d’intervenir directement à l’intérieur de la population palestinienne.

Dans un article publié sur son site internet « mikud-consaltants », le Dr Ben Zur affirme que le Shin Bet a pratiquement gagné ce débat. La stratégie adoptée par l’armée israélienne pourrait se résumer ainsi à un contrôle plus intensif de la population palestinienne - ce qui signifie une meilleure intelligence et donc à son tour moins de résistance. Le nombre de militants « terroristes » est limité, selon Avi Dicter, un ex-chef du Shin Bet. Avec une pression constante, les arrestations et les interrogatoires finiront par apporter suffisamment de renseignements pour supprimer toute résistance.

Selon Ben Zur, cette stratégie était évidente dans les raisons des « assassinats ciblés » et même du mur de séparation. Aux yeux de Tsahal (un acronyme hébreu pour les forces armées d’occupation), le renseignement a cessé d’être seulement un « outil d’aide à la décision » et est devenu « un outil qui façonnent la stratégie de la guerre et un outil opérationnel ».

En d’autres termes, une vue plus large du conflit et de ses motivations politiques, autrefois dans les objectifs du renseignement militaire, a été abandonnée au profit d’une stratégie du « porte à porte ».

Dans ce contexte, il est facile de comprendre pourquoi l’incapacité d’Israël à retrouver l’endroit exact où Gilad Shalit était incarcéré dans la bande de Gaza n’a pas été vu comme un échec. Depuis son retrait unilatéral en 2005, Israël contrôle directement la bande de Gaza. L’armée israélienne y bénéficie de la même capacité technologique qu’en Cisjordanie pour enregistrement des données et surveiller, mais il ne peut pas envoyer ses soldats tous les soirs dans la bande de Gaza et ne peut pas recruter facilement des collaborateurs dans un endroit où les gens sont moins dépendants d’Israël.

La disparition des trois étudiants de la Yeshiva est une histoire totalement différente. Elle a eu lieu en Cisjordanie, où Israël est censé profiter d’une totale « domination dans le renseignement ». Le fait que le Shin Bet affirme maintenant que l’identité des ravisseurs était connue presque dès le premier jour ne va pas nécessairement améliorer les choses. Toute les recherches, à Hébron et ailleurs en Cisjordanie, ont apparemment été menées sans objectifs clairs. « Quand vous tapez au hasard et pas de façon précise, cela signifie que vous n’avez pas l’information, que vous n’avez pas la moindre idée », commente Arieli.

Arieli, Hasson et Ben Zur sont convaincus que ce mystère sera résolu, comme presque tous ces cas l’ont été dans le passé. Le mythe de la force du renseignement israélien est si puissant que de nombreux Palestiniens sont persuadés qu’aucun enlèvement n’a eu lieu etque les étudiants sont en vie et en sécurité dans un lieu inconnu. « L’opinion publique palestinienne est sûre que l’enlèvement n’est qu’un prétexte pour démanteler le gouvernement d’unité du Fatah et du Hamas et pour envahir les villes », dit Almashni. « Pour ma part, je suis certain qu’un enlèvement a eu lieu, mais il y a beaucoup de questions pour lesquelles je n’ai pas de réponse. »

Ces théories du complot sont rejetés d’un revers de main par Israël. Pourtant, le Dr Ben Zur avoue qu’il a du mal à comprendre pourquoi Israël a réagi comme il l’a fait. « J’ai été témoin de beaucoup de crises dans ma carrière, mais je ne me souviens pas avoir vu les photos du premier ministre et le ministre de la Défense regardant des cartes comme s’ils étaient des commandants sur le terrain », dit Ben Zur.

L’armée et le Shin Bet connaissent leur travail, affirme Ben Zur, et le premier ministre doit chercher des indices ailleurs, peut-être par la voie diplomatique. Mais dans ce cas, les politiciens ne font qu’empirer les choses. « J’ai entendu le vice-ministre de la défense menaçant de couper l’électricité. Que veut-il ? Une nouvelle explosion de colère en Cisjordanie ? »

Il semble que Netanyahu ne cherche même pas à cacher le fait qu’il exploite la crise pour mettre la pression sur le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, communément connu sous le nom d’Abou Mazen, afin de démanteler le nouveau gouvernement d’unité. Pourtant, il avoue par une réaction excessive la frustration israélienne découlant du fait que sa « domination du renseignement » n’est pas totale. Mais d’une manière paradoxale, mettre trop de pression sur Abou Mazen pourrait avoir un effet négatif sur les capacités du renseignement israélien.

Arieli et d’autres commentateurs s’accordent à dire que la coordination de la sécurité avec l’Autorité palestinienne aide Israël à maintenir son contrôle total sur les territoires palestiniens. Mais la façon disproportionnée dans laquelle Israël a agi non seulement à Hébron, mais partout en Cisjordanie - en envoyant des milliers de soldats dans les rues et dans les maisons privées, confisquer des documents politiques comme des drapeaux dans le club étudiant du Hamas à l’Université de Bir Zeit - renforce la voix de ceux qui dans la société palestinienne appelent à mettre un terme à cette « coopération sécuritaire », s’alignant sur le Hamas et d’autres partis de l’opposition qui sont farouchement opposés à cette collaboration. Abou Mazen, dit Almashni, s’accroche encore à cette coopération, mais la pression et la colère sont de plus en plus fortes.

Les Palestiniens pourraient facilement vivre sans cette collaboration. Mais Israël ne le pourrait pas.

27 juin 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib