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Disparition des 3 jeunes colons : Israël ne veut rien savoir des raisons
dimanche 22 juin 2014 - Jonathan Cook
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Haneen Zoabi, députée palestinienne à la Knesset, est ici physiquement menacée par une clique de député(e)s d’extrême-droite

L’apparent enlèvement de trois adolescents – imputé par Israël au groupe islamique palestinien du Hamas – a provoqué une vague de colère en Israël mais n’a guère incité les esprits à s’interroger sur les causes de l’incident ou sur l’à-propos de la réponse d’Israël.

Les jeunes, dont l’un est âgé de 19 ans et les deux autres de 16, ont été portés disparus depuis qu’on les a vus faire du stop dans une zone colonisée en Cisjordanie, dans la soirée du 12 juin. Une vaste opération militaire israélienne, qui a entraîné des enlèvements massifs de Palestiniens, un bouclage de la ville de Hébron et des raids contre des centaines de maisons, n’est toujours pas parvenue à l’heure qu’il est, à les retrouver.

Il y a des signes que les tensions montent rapidement. Vendredi matin, un jeune Palestinien de 16 ans a été assassiné par balles par des soldats israéliens au cours d’un raid contre le village de Dura en Cisjordanie, et qu’un autre Palestinien a été grièvement blessé lors d’affrontements à Qalandia. Des frappes aériennes israéliennes contre Gaza ont blessé six personnes, dont quatre enfants.

Mais, du fait que la plupart des Israéliens accueillent favorablement la réponse musclée d’Israël, une députée palestinienne du Parlement israélien, Haneen Zoabi, a constaté quel était le prix de ne pas se joindre au chœur des protestations. Cette semaine, on lui a adjoint un garde du corps après qu’elle ait reçu une avalanche de menaces de mort, mais elle a également fait l’objet d’une enquête de la part du Ministère public, pour incitation [à la violence].

Lors d’une interview, elle a refusé de récuser les gens qui ont perpétré les enlèvement comme de vulgaires « terroristes », les décrivant en lieu et place comme des gens poussés à des actes de désespoir du fait qu’ils vivent sous occupation.

Le ministre des Affaires étrangères, Lieberman, a répondu en traitant Zoabi de terroriste et en ajoutant : « Le sort des kidnappeurs, et le sort de Zoabi, une incitatrice, devrait être le même. » Une page Facebook populaire en Israël va même jusqu’à inciter l’armée à « abattre un terroriste toutes les heures, tant que les garçons ne seraient pas de retour ».

Des Palestiniens kidnappés

Suite à cette explosion de colère, Zoabi s’est dit « surprise » par la controverse, « puisque l’injustice infligée au camp adverse est bien plus grande. Il y a des milliers de Palestiniens kidnappés dans les prisons israéliennes ». Et de conclure : « De même que je veux qu’on libère les Palestiniens kidnappés, je veux qu’on libère les jeunes [Israéliens]. »

Ce genre d’équivalence morale – bien que justifiée – est ce que très peu de Juifs israéliens, au contraire de bien des gens de la communauté internationale, désirent entendre. Mais s’ils espèrent éviter une escalade incessante de la violence entraînant à la fois les Israéliens et les Palestiniens, ils feraient mieux d’écouter des voix palestiniennes comme celle de Zoabi.

Comme l’a fait remarquer cette dernière, les tentatives palestiniennes d’enlever des Israéliens sont étroitement liées à la question des 5000 Palestiniens dans les prisons israéliennes, et plus particulièrement de près de 200 d’entre eux qui sont en détention administrative sans accusation ni procès. Plus de la moitié de ces derniers sont en grève de la faim depuis près de deux mois afin de protester contre la poursuite de leur incarcération.

Des groupes palestiniens ont longtemps considéré les enlèvements d’Israéliens comme un levier pour faire libérer des prisonniers, comme cela s’est passé à grande échelle en 2011 avec la libération de plus de 1000 prisonniers en échange de celle d’un soldat israélien, Gilad Shalit, capturé par le Hamas cinq ans plus tôt.

Le gain escompté avec ce type de moyen est devenu essentiel depuis que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a renié en avril une promesse de relâcher un dernier contingent de prisonniers condamnés à de longues peines. L’ex-président palestinien, Mahmoud Abbas, s’était engagé dans des mois de pourparlers stériles en échange d’un accord de libération de plus de 120 prisonniers.

En fait, Netanyahu n’a répondu aux enlèvements par aucune réflexion quant au problème des droits des prisonniers, mais plutôt en donnant largement de nouvelles raisons aux Palestiniens d’avoir des griefs à propos des prisonniers.

Des enlèvements massifs

L’armée israélienne procède dans toute la Cisjordanie à des enlèvements en masse d’hommes politiques et de toute personne ayant la moindre connexion avec le Hamas. Elle ré-emprisonne aussi un grand nombre de Palestiniens qui avaient été libérés en échange de Shalit. Les chances que l’une ou l’autre des 350 et quelques personnes arrêtées jusqu’à présent ait des informations sur les enlèvements sont hautement improbables, comme l’ont même admis les analystes militaires israéliens.

En outre, le gouvernement israélien se hâte, par le biais d’un vote de loi, à vouloir nourrir de force les prisonniers en grève de la faim, et il a donné son accord à la réintroduction effective de la torture comme procédure usuelle contre les gens arrêtés. Ceci annule un décret de la Cour suprême israélienne qui, voici 15 ans, avait pour la première fois sévèrement limité l’usage de la torture.

Plus susceptible encore de déchaîner les passions que la question générale des prisonniers, il y a celle de la façon dont Israël traite les enfants palestiniens. Jusque 700 d’entre eux passent par les prisons israéliennes chaque année, la plupart pour avoir jeté des pierres et sur des preuves que leurs avocats ne voient jamais, et ces détentions s’appuient souvent sur des aveux forcés de la part de l’enfant lui-même ou de la part d’autres enfants en prison. Le taux de condamnation des mineurs d’âge dépasse 99 pour 100.

Des groupes des droits de l’homme font remarquer qu’Israël est le seul pays qui poursuit systématiquement des enfants devant des tribunaux militaires.

Les raids nocturnes de l’armée israélienne contre des maisons palestiniennes, au cours desquels des enfants de 10 ou 11 ans peuvent être arrachés de leur lit à la pointe d’un fusil, puis transférés dans des prisons en violation de la législation israélienne, ressemblent point par point à des enlèvements, aux yeux de la plupart des Palestiniens.

Les Israéliens et les observateurs internationaux pourraient en arriver à la même conclusion s’ils regardaient les prises de vue horribles proposées dans un documentaire récent diffusé par la télévision australienne, Stone Cold Justice.

Les meurtres de la Journée de la Nakba

Ainsi, le slogan visible sur des t-shirts partout en Israël - « Ramenez nos garçons » – pourrait tout aussi bien être porté par les Palestiniens dans les rues de Ramallah ou de Naplouse.

Les espoirs israéliens actuels d’excuses de la part des Palestiniens pour les enlèvements sont également peu susceptibles de susciter beaucoup d’introspection chez les Palestiniens. Au lieu de cela, ils se demandent pourquoi il y a eu si peu d’intérêt, et de la part des Israéliens, et de la part de la communauté internationale, quand des soldats israéliens ont abattus, plutôt qu’enlevés, deux enfants palestiniens le mois dernier près de Ramallah, lors des protestations de la Journée de la Nakba.

Plutôt que d’évoquer les tollés que l’on entend actuellement, la plupart des Israéliens ont rejeté les preuves clairement visibles sur les prises de vue de la vidéo de la mort par balle de Nadim Nuwara, 17 ans, et de Mohammed Abu al-Thahir, 16 ans. Tous deux étaient désarmés quand ils ont été abattus. Une autopsie récente a confirmé ce qui était déjà manifeste : ils ont été assassinés tous deux par des tirs à balles réelles par des tireurs d’élite israéliens.

Le dangereux repli sur soi d’Israël – et son refus de considérer le cadre politique et militaire dans lequel ont eu lieu les enlèvements – ne sort que renforcé par la réponse internationale. Les dirigeants dans le monde qui se sont hâtés de publier des condamnations à propos des disparitions n’ont pas exprimé semblables dénonciations à propos des atrocités israéliennes plus graves encore commises sur des Palestiniens, tels les meurtres de la Journée de la Nakba.

La Croix-Rouge

Les organisations des droits de l’homme n’ont pas fait mieux. Le Comité international de la Croix-Rouge, l’arbitre officiel des Conventions de Genève - les fondements des lois humanitaires internationales - a publié une déclaration réclamant la libération immédiate des trois adolescents israéliens.

Mais la Croix-Rouge évite soigneusement d’émettre des déclarations critiques sur les nombreux crimes de guerre israéliens commis dans le cadre de l’occupation. Comme on s’y attendait, la Croix-Rouge a rejeté les requêtes l’invitant à adresser un appel similaire à Israël pour qu’il libère les enfants palestiniens qu’il détient.

Ce que les réponses internationales ont négligé de voir, c’est le contexte des actes palestiniens de violence, tels les enlèvements : le quasi-demi siècle d’occupation belligérante de la part d’Israël. C’est un acte de violence permanent et incitatif contre le peuple palestinien, acte auquel ce dernier réagit parfois avec ses propres actes de violence, mais plus limités.

Au lieu de considérer ce fait en face, Israël a répondu en écrasant sa botte militaire encore plus fermement sur les gorges des Palestiniens. Aujourd’hui, il exploite l’indignation suscitée par les disparitions pour justifier l’élimination de la présence politique du Hamas en Cisjordanie, même si, jusqu’à présent, il n’y a aucune preuve permettant d’associer ces enlèvements au Hamas. (Avec l’assistance des services de sécurité de l’Autorité palestinienne, Israël avait kidnappé la plupart des responsables militaires du Hamas en Cisjordanie, après la capture de Shalit en 2006.)

Affaiblir le Hamas

Israël n’a même pas essayé de dissimuler ses intentions. Un officier supérieur, Nitzan Alon, a déclaré cette semaine : « Le Hamas sortira affaibli de cette confrontation, tant sur le plan stratégique que sur le plan opérationnel. Nous allons continuer à l’affaiblir aussi longtemps qu’il le faudra. »

Le ministre israélien de l’Économie, Naftali Bennett, a été plus direct encore : « Nous allons transformer l’affiliation au Hamas en un billet d’entrée pour l’enfer, » tandis qu’Alex Fishman, un analyste aux liens étroits avec les services de sécurité, a déclaré qu’Israël traitait la chose comme « une occasion opérationnelle unique » de « châtrer » le Hamas en Cisjordanie.

Selon les médias israéliens, l’intention d’Israël est non seulement d’arrêter toute la direction du Hamas en Cisjordanie, dont ses dirigeants politiques, et de briser les reins à ses réseaux caritatifs, mais aussi d’exiler sa direction en Cisjordanie vers Gaza. En bref, Israël a l’intention d’interférer encore plus directement dans la politique palestinienne, en garantissant un État à parti unique – sous le parti du Fatah d’Abbas – en Cisjordanie et en confinant le Hamas à l’étroite bande de Gaza.

Étant donné que les factions palestiniennes se sont récemment mises d’accord sur un gouvernement d’unité et qu’elles préparent des élections dans les prochains mois, Netanyahu a en fait l’intention de briser la réconciliation palestinienne et de priver les Palestiniens de l’occasion d’élire leur direction. Ou, comme se demandait l’analyste militaire israélien Amos Harel à propos des objectifs des opérations actuelles : « La campagne se poursuivra-t-elle tant que le président palestinien Mahmoud Abbas n’aura pas renoncé publiquement à l’accord avec le Hamas ? »

« Les portes de l’enfer »

Netanyahu une fois de plus prend le beurre – en refusant de s’engager dans de véritables négociations à propos d’un État palestinien – et l’argent du beurre, en envoyant promener les efforts palestiniens pour chercher d’autres options diplomatiques pour mettre un terme à l’occupation. C’est la confirmation que Netanyahu est bel et bien l’homme - et bien plus que les kidnappeurs - qui menace toute chance de coexistence pacifique entre Palestiniens et Israéliens.

Le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, a déclaré que les expulsions de la Cisjordanie vers Gaza « ouvriraient les portes de l’enfer ». Un autre responsable du Hamas a exprimé une mise en garde plus réaliste en disant qu’une autre Intifada – ou insurrection – était en vue et qu’elle se déclencherait « lorsqu’une pression suffisante serait exercée sur le peuple palestinien ».

Mais la question la plus délicate pour les Palestiniens est de savoir de quelles stratégies de résistance ils disposent réellement ? Et c’est ici que se situe le paradoxe.

Car, du fait qu’Israël les a confinés dans des espaces de plus en plus restreints à l’intérieur des territoires occupés, les Palestiniens ont trouvé les outils qui leur étaient disponibles pour résister davantage mais de façon plus limitée aussi. C’est particulièrement manifeste à Gaza où les militants ont adopté la stratégie du tir de roquettes sur Israël – très condamnée à l’échelle internationale – principalement parce qu’il n’y a pas d’ennemi auquel se confronter directement. Une guerre contre les drones qui volent en attente dans le ciel sans qu’on les voit, n’est pas encore envisageable.

Comme l’a suggéré Haneen Zoabi dans son interview, les enlèvements d’Israéliens sont une arme de faibles, une des façons dont les Palestiniens peuvent riposter contre ceux qui leur volent leurs terres, sans risquer l’option suicidaire de défier la puissance de l’armée israélienne.

Une surveillance de haute technologie

Mais les intentions israéliennes d’affaiblir les structures politico-militaires officielles de la société palestinienne représentée par le Fatah et le Hamas ne rendront pas moins probables les actes de violence tels les enlèvements d’adolescents israéliens. En fait, on peut s’attendre à ce que de tels incidents deviennent plus fréquents.

Les groupes à l’organisation lourde comme le Fatah et le Hamas, dont les actes dépendent d’une direction centrale, ont éprouvé de plus en plus de difficultés à agir contre Israël, en cette époque de surveillance de haute technologie. Les préparatifs d’opérations de résistance ont invariablement laissé une empreinte visible pour les services israéliens de renseignement.

En lieu et place, il y a des signes révélant que des structures bien plus restreintes, largement indépendantes de ces organisations traditionnelles, commencent à apparaître, peut-être basées autour de certaines familles au sein desquelles les liens de loyauté sont plus étroits et qui sont moins susceptibles d’être infiltrées par Israël.

Les difficultés d’Israël à résoudre les actuels enlèvements suggèrent qu’une telle cellule, précisément, pourrait être derrière cette opération. Rompre les liens entre le Hamas et le Fatah et, de la sorte, les affaiblir, pourrait simplement accélérer ce processus.

De tels développements promettent un avenir plein de chausse-trappes, plus encore même pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Samir Awad, un professeur de sciences politiques à l’Université de Birzeit, près de Ramallah, a fait remarquer que l’effondrement des factions politiques pourrait aboutir à ce qu’il appelle l’ « afghanistanisation » des territoires occupés, avec des seigneurs de guerre tribaux reprenant de petites enclaves qui deviendraient ainsi leurs fiefs personnels.

Dans l’intervalle, l’analyste Chemi Shalev a mis en garde récemment contre le fait que les enlèvements poussaient les Israéliens au bord d’une « démence » collective, submergée par l’autosatisfaction sans bornes et l’intolérance, « une société qui perd son emprise sur elle-même ».

La vindicte publique contre Zoabi pour avoir émis quelques simples vérités est un autre signe illustrant combien la plupart des Israéliens préfèrent continuer à vivre dans un dénis dangereux plutôt que de se confronter à la réalité destructrice de l’occupation.

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* Jonathan Cook a remporté le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.

Du même auteur :

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20 juin 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Plateforme-Charleroi-Palestine - J.M Flémal