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L’Irak poursuivra Tony Blair jusque dans la tombe
samedi 21 juin 2014 - David Hearst
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Tony Blair et George W. Bush discutant de l’invasion de l’Irak aux Nations-Unies en 2004 - Photo : Bureau exécutif de la présidence américaine

La décision d’envahir l’Irak en 2003 hantera l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair jusqu’à sa mort. Elle garantit à elle seule qu’il n’occupera plus de poste politique majeur en Grande-Bretagne ou en Europe. L’ampleur du désastre engendré par cette décision du Premier ministre est telle que, 11 ans plus tard, Tony Blair lutte toujours pour empêcher la vérité d’être dévoilée.

Hélas, John Chilcot, dont l’enquête sur les répercussions de l’invasion se poursuit sans relâche depuis cinq ans, a outrepassé la récente tentative de bâillonnement en acceptant de divulguer uniquement des « résumés de textes et des citations » de 25 notes adressées par Tony Blair à l’ancien président américain, George W. Bush, ainsi que 130 enregistrements de conversations. Même l’un de ses homologues, John Major, a dénoncé cette dérobade en faisant remarquer que c’est Tony Blair lui-même qui a présenté le Freedom of Information Act (Loi sur la liberté de l’information).

Par conséquent, lorsque Tony Blair a écrit samedi qu’il évoque « avec humilité » les décisions difficiles qu’il a dû prendre au sein du gouvernement au lendemain du 11 septembre, la déception qu’implique cette expression est stupéfiante. Le terme « humilité » n’est pas approprié pour décrire un homme qui a passé les dix dernières années de sa vie à se soustraire à toute responsabilité personnelle et publique et par le fait à la justice internationale quant aux décisions qu’il a prises au cours de son mandat.

Mais depuis 2013, l’image de « Tony Blair, le Défendeur » n’est plus d’actualité. Dans l’essai publié hier, il endosse un nouveau rôle, celui de « Tony Blair, l’Expert du Moyen-Orient ». Grâce à son expérience de la région et à l’étude approfondie de sa dynamique, Tony Blair nous révèle que le véritable ennemi mondial est l’extrémisme islamique. Les « jihadistes » ne « nous » laisseront jamais tranquilles, l’indifférence n’est donc pas une bonne politique. Nous sommes engagés dans une lutte générationnelle contre l’islam radical. Si nous la remportons au Moyen-Orient, nous la remporterons dans le reste du monde.

La décennie de guerre ayant eu lieu au Moyen-Orient suite à l’invasion de l’Irak n’a apparemment pas suffi. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un conflit qui s’étende sur une génération, soit 25 ans.

Tony Blair avance plusieurs arguments hypothétiques pour étayer son plaidoyer. Selon lui, il n’existe pas de relation de cause à effet, et il est « étrange » d’évoquer un lien entre sa décision d’envahir l’Irak et la guerre civile actuelle. Il affirme que si Saddam Hussein avait été au pouvoir, il aurait certainement répondu au Printemps arabe de la même manière que le président syrien Bachar el-Assad. Avec un dirigeant sunnite en Irak qui lutte contre une révolte chiite pour conserver le pouvoir et un dirigeant chiite qui combat une révolte sunnite en Syrie, le résultat aurait été une guerre sectaire à l’échelle régionale.

Poursuivons l’analyse contre factuelle. Le Printemps arabe a donné naissance à une contre-révolution menée par des dictateurs militaires qui proscrivent des opposants politiques élus de manière démocratique et les qualifient d’organisations terroristes. Tony Blair soutient ces dictateurs militaires, comme le président égyptien actuel Abdel Fattah al-Sissi puisqu’ils affirment, comme lui, lutter contre l’islamisme.

Supposons maintenant que Saddam Hussein soit resté au pouvoir et se soit trouvé confronté à une insurrection chiite soutenue par les Iraniens. Tony Blair n’aurait-il pas été tenté de le soutenir contre un régime islamiste intransigeant – peut-être même le plus intégriste de la région – surnommé « l’exportateur de terrorisme » par les amis de Tony Blair au sein de l’actuel gouvernement israélien ?

Tony Blair affirme que « nous devons nous libérer de l’idée que c’est « nous » qui avons causé tout ceci ». Non. « Nous » ne devons pas nous libérer de cette idée. C’est Tony Blair qui le doit.

La guerre sectaire en Iraq a débuté à un moment très précis. Elle prend bien sûr racine dans des siècles d’Histoire et de religion, mais l’étincelle de 2003 n’était ni fortuite ni accidentelle. Tout a commencé avec l’arrivée en Iraq de personnes comme le colonel James Steele. Vétéran des forces spéciales américaines lors des « guerres sales » en Amérique centrale, James Steele avait été chargé par le secrétaire d’État américain à la Défense, Donald Rumsfeld, de former des paramilitaires chiites afin de réprimer l’insurrection sunnite. Le tout dans un cadre juridique. Le Pentagone a autorisé des milices chiites à rejoindre les forces de sécurité et permis à un commando spécial de police (SPC) d’être formé par les brigades al-Badr. Des conseillers américains placés sous la responsabilité de Donald Rumsfeld et David Petraeus, encouragés par des millions de dollars, se sont rendus complices des violations des droits de l’Homme perpétrées par le SPC dans ses centres de détention.

Cette opération de contre-insurrection (COIN) précise fut bientôt renversée. David Petraeus a sauté sur l’occasion de transformer les insurgés sunnites en insurgés anti-Al-Qaida en finançant le mouvement du « Réveil ». Cependant, la stratégie originale d’utiliser des milices chiites pour combattre des milices sunnites afin de détourner les attaques à l’encontre des troupes américaines a été l’une des idées lumineuses du Pentagone.

Le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, a provoqué cette crise en éliminant toutes les catégories de la population sunnite de l’équation politique, même si l’on pourrait arguer qu’il a tout au plus poursuivi ou développé les mêmes politiques sectaires.

Tony Blair doit reconnaître que la guerre d’Irak ne s’est pas arrêtée le jour où le président des États-Unis, Barack Obama, a retiré les dernières troupes de combat du pays. Elle se poursuit aujourd’hui. L’Irak représente bien plus que l’héritage d’un mandat. C’est un poids énorme pour une conscience.

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* David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il est éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

15 juin 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.