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Jusqu’où peut aller l’ISIS ?
samedi 14 juin 2014 - Abdel Bari Atwan
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Un membre de l’État islamique d’Irak et d’al-Shams (ISIS) exhorte l’assistance à se joindre à leur lutte contre le régime, dans la ville syrienne d’Alep - Photo : AFP/Getty

Près d’un million de citoyens irakiens ont fui leurs maisons suite aux offensives en direction de l’enclave kurde au nord plutôt que vers la Syrie où l’ISIS dispose déjà d’un bastion.

L’ISIS a libéré plus de 3000 prisonniers à Mossoul, et pris le contrôle des stations de télévision, de toutes les banques et des institutions militaires et de sécurité.

Apparemment, la police et les soldats ont offert peu ou pas du tout de résistance.

Cette victoire ne reflète pas seulement la taille et la force de l’armée de l’ISIS (au moins 10 000 sont sous les armes en Irak), mais aussi l’immense fragilité de l’État irakien et de ses institutions. L’armée est à présent malade et diminuée, perdant tout moral et toute volonté.

A Mossoul, des soldats ont ôté leurs uniformes, jeté leurs armes, mis le feu à leurs véhicules et se sont enfuis à pied vers le Kurdistan. Leurs dirigeants politiques n’ont pas réussi à mettre en place un État pour lequel il vaille la peine de mourir.

La province de Ninive a été le premier gain stratégique important car elle est proche de la frontière syrienne tout en étant la principale porte d’entrée de la zone autonome kurde, et en particulier de la ville et des champs pétroliers de Kirkouk.

Alors que de vastes étendues du pays tombent aux mains de l’ISIS, l’organisation devient - comme nous l’avions prédit dans Après Ben Laden : Al-Qaïda de la prochaine génération - un acteur étatique avec des ambitions pour l’établissement d’un émirat dans l’ensemble du monde arabe, prenant aujourd’hui racine en Syrie et en Irak.

Des rapports sur le terrain disent que les islamistes ont été rejoints par des officiers et des hommes de l’armée, et des loyalistes de l’ancien régime (de Saddam Hussein). Cela permettrait d’augmenter leur nombre dans la région jusqu’à un million. En outre, ils sont armés avec les toutes dernières armes et technologies militaires. Beaucoup d’officiers de la Garde républicaine de Saddam, qui constituaient l’élite et les mieux formés de ses troupes, se sont associés à Al-Qaïda depuis que l’insurrection a commencé en réponse à l’invasion américano-britannique de 2003.

L’État irakien se trouve au seuil d’une véritable catastrophe dont il ne sortira pas facilement. La faute en incombe aujourd’hui à son gouvernement qui a gaspillé toutes les chances de reconstruction de la nation, de réconciliation et de construction d’une identité irakienne homogène. Cela a offert d’énormes possibilités au zèle sectaire et infectieux des djihadistes.

Le Premier ministre al-Maliki a tenu une réunion d’urgence jeudi, voulant imposer la loi martiale et le couvre-feu. Il a également déclaré que l’État armerait des civils ordinaires et des tribus pour combattre l’ISIS. Mais par la militarisation du problème, il risque une escalade dans une guerre civile. Dans tous les cas, son appel est peu susceptible d’avoir du succès : si des soldats formés pour la guerre n’ont pas de respect pour l’État qu’il préside, pourquoi les tribus, les employés de banque et les barbiers en auraient-ils ?

Malaki se tourne de tous côtés et cherche désespérément du secours. Il est susceptible d’envoyer un SOS aux forces peshmergas kurdes, leur demandant de l’aider à stopper l’ISIS mais ceux-ci sont peu susceptibles d’accepter depuis qu’al-Maliki a refusé les avances du gouvernement kurde pour une réconciliation et une alliance, en fixant des conditions impossibles à respecter.

Les Américains ont été invités à envoyer des drones et même un retour à grande échelle des forces d’invasion, mais malgré le fait que son pays peut être carrément tenu pour responsable du chaos qui règne en Irak, Obama sera réticent à répondre positivement, avec 5000 soldats tués et 30 000 blessés dans la première aventure en Irak, en plus d’avoir dépensé 3000 milliards (3 trillions) de dollars en Afghanistan et en Irak.

La zone que l’ISIS a déjà sous contrôle contient quelques-uns des meilleurs champs de pétrole de l’Irak et menace la stabilité du Kurdistan.

Les États-Unis ont semé les graines de la destruction, non seulement en Irak mais dans toute la région, et il est douloureux de constater que l’invasion de l’Irak au bulldozer et le démantèlement de ses structures civiles et de son armée, ont ouvert la voie à un sectarisme vicieux, avec toute l’amertume, la fragmentation et l’instabilité qui en sont les prémisses.

L’ISIS et groupes similaires liés à al-Qaïda ont été les plus grands bénéficiaires du chaos rampant que les Etats-Unis ont semé, laissant derrière eux des États en faillite comme en Libye, en Irak, en Syrie et au Yémen.

Il y a de fortes possibilités pour que l’ISIS réussisse à établir un émirat islamique recouvrant la frontière entre la Syrie et Irak et puisse alors l’utiliser dans un avenir proche comme un tremplin pour des attaques contre l’Amérique et les pays européens et les intérêts régionaux.

Contrairement à al-Qaïda, l’ISIS a une forte base islamique et sociale, des tonnes d’armes et de munitions et d’énormes ressources financières à travers le contrôle d’énormes réserves de pétrole en Irak et en Syrie. Mais surtout, ceux qui encadrent les combattants disposent de plus d’une décennie d’expérience dans la guérilla et la guerre conventionnelle.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du site Raialyoum. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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12 juin 2014 - Raialyaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=103732
Traduction : Info-Palestine.eu - Al-Mukhtar