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Élections en Égypte : une farce tragique
mercredi 28 mai 2014 - Abdullah Al-Arian
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Omniprésence militaire dans les rues du Caire pour "protéger" un processus électoral qui tourne à la farce - Photo : AFP/Mahmoud Khaled

Pour ceux qui ont soutenu le coup d’État militaire de l’été dernier qui a renversé un président élu et a mis brutalement fin à la période révolutionnaire en Égypte, le prochain couronnement de Abdel Fattah al-Sisi sera aussi leur couronnement. Encore plus troublant que les acclamations assourdissantes en faveur de l’ascension de al-Sisi, a été la tendance de nombreux observateurs à conférer à la prochaine élection présidentielle en Égypte un air de légitimité aucunement mérité.

Une grande partie de la couverture médiatique des élections égyptiennes semble être l’héritière du climat politique encore relativement tumultueux inauguré après la chute de Hosni Moubarak au début de 2011, et cette couverture s’est maintenue à travers de multiples cycles électoraux qui comprenaient des référendums, des élections parlementaires et présidentielles.

Mais dans la couverture minutieuse des meetings de campagne, des entretiens télévisés avec les candidats et des programmes électoraux, il n’y a rien qui suggère que les élections actuelles se produisent dans le climat d’ouverture politique et de liberté de choix même relatif qu’avaient connu des millions d’Égyptiens dans les élections précédentes. La prétention affichée par les partisans de al-Sisi - reprise par les dirigeants du monde de John Kerry à Catherine Ashton - selon laquelle l’intervention de l’armée était un autre jalon sur la voie révolutionnaire, est en contraste frappant avec la restauration d’un climat de peur dont l’objectif clair est de rétablir le statut inattaquable de l’ancien régime.

Tragédie et comédie

Dans ce qui était le premier test majeur pour ses penchants démocratiques supposés, le gouvernement intérimaire a arrêté en janvier des militants qui prônaient un « non » au référendum pour une nouvelle constitution élaborée en grande partie par l’armée. Par ces mesures directes, les forces de sécurité égyptiennes ont réussi à construire un climat répressif marqué par la peur et la paranoïa, faisant en sorte que les choix politiques exprimés par les gens ne reflètent plus guère leurs véritables préférences.

Les centaines de personnes assassinées par les forces de sécurité dans les rues égyptiennes depuis juillet dernier ont été rejointes au cours des dernières semaines par des centaines d’autres dont l’exécution a été décidée par une ordonnance judiciaire. En moins d’un an, selon les rapports, 23 000 personnes ont été emprisonnées sous les accusations politiques les plus fantaisistes.

La plupart ont été privées de leurs droits à une procédure régulière et des informations de torture et de violences sexuelles en détention se sont répandues. La guerre des dirigeants militaires de l’information a veillé à ce que, du jour au lendemain, l’Égypte devienne l’un des endroits les plus dangereux au monde pour les journalistes. Le procès de journalistes d’Al-Jazeera emprisonnés a été un gâchis colossal qui pourrait être confondu avec une parodie comique s’il n’y avait les images effroyables de ses victimes mises en cage. Tragédie et comédie ne font qu’un.

Que l’image d’une transition démocratique ait été affichée tout au long de ces élections n’est pas la faute des seuls médias. Au contraire, le théâtre politique qui se déroule en Égypte au cours de la dernière année a impliqué un large éventail d’acteurs, jouant leurs rôles consciencieusement dans cette pièces grossièrement conçue.

Comme de nombreux jeunes militants révolutionnaires l’ont à plusieurs reprises reconnu, la campagne de l’opposition visant Morsi était à divers stades infiltrée et cooptée par les services de renseignement égyptiens. Certains leaders de la jeunesse ont sciemment légitimé les efforts déployés par les institutions répressives de l’État visant à renverser Morsi de force par une vague de mobilisations populaires. Mohamed ElBaradei a également contribué au processus de légitimation du coup d’État militaire avec son soutien enthousiaste pour le renversement de Morsi.

Après avoir exprimé des doutes sur la crédibilité des élections présidentielles de 2012 pour avoir eu lieu sous la supervision de l’armée, ElBaradei n’éprouvait aucune inquiétude pour accepter une nomination à la vice- présidence par un putschiste de cette même armée, dans un processus voulant présenter une façade libérale et civile dans ce qui allait devenir le régime le plus répressif de l’histoire de Égypte moderne.

Les salafistes égyptiens dirigés par le Parti Nour ont apporté leur soutien enthousiaste et total à la répression violente contre les manifestants anti-coup, ainsi qu’au projet de présidence de al-Sisi. Espérant éviter le même sort que les Frères musulmans, le parti Nour a été trop heureux de prêter son nom comme force islamiste de service dans ce qui est de toute évidence une tentative de l’armée de réprimer toutes les forces politiques indépendantes en Égypte.

Jouer son rôle dans la tragi-comédie qui se déroule dans la politique égyptienne est également le cas de Hamdeen Sabahi, dont la candidature à la présidence n’a aucune chance réelle de contester l’ascension de al-Sisi au pouvoir. Loin d’être une « course à deux chevaux », la seule réalisation de Sabahi dans cette élection a été de conférer un air de légitimité démocratique à un ordre autoritaire en pleine construction.

L’histoire récente nous dit qu’aucun de ces acteurs ne pourra survivre à la réémergence d’un état ​​déterminé à réprimer la société civile comme jamais auparavant. Beaucoup de jeunes militants qui ont applaudi à l’entrée en scène de l’armée croupissent à présent dans ses geôles. Une fois que ElBaradei eut rempli sa fonction en tant que visage libéral du coup d’État, il a été discrédité, puis mis sur la touche et expédié vers l’Europe. À jouer leur rôle dans l’élection de Sisi, le Parti Nour et Sabahi seront inévitablement relégués dans l’oubli, se transformant en simples notes en bas de page dans l’histoire de l’Égypte moderne.

Il serait malhonnête d’ignorer les processus autoritaires plus profondément en action et de détourner son attention en débattant les détails d’une lutte politique sans conséquence mise en scène pour justement masquer ces processus. Al-Sisi justifie l’intervention de l’armée contre Morsi en grande partie comme une tentative de rétablir la sécurité et la prospérité économique de l’Égypte. Mais un an de régime militaire s’est avéré être un échec spectaculaire sur ces deux fronts.

De plus, l’agression alarmante et systématique contre les droits des Égyptiens a pour objectif sous-jacent d’éradiquer ce sur quoi la révolution a été construite : la restauration d’une dignité humaine érodée par des décennies de dégradation politique et économique par les dirigeants militaires successifs. Le principe de la présidence al-Sisi semble être que les Égyptiens sont prêts à sacrifier leur dignité au profit d’une stabilité politique et d’un redressement économique. Ce pari s’est déjà avéré illusoire une première fois. Quel que soit le mince vernis de démocratie, cet échec peut se répéter.

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* Abdullah Al-Arian est maître de conférences à Georgetown University, School of Foreign Service au Qatar et auteur de Answering the Call : Popular Islamic Activism in Sadat’s Egypt

25 mai 2014 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib