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« On the side of the road » : Israël et la nécessité de nier
dimanche 6 avril 2014 - Louis De Geest
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Lia Tarachansky présente actuellement en Belgique son documentaire qui a été sélectionné pour la nouvelle édition du festival « Eye On Palestine »**. En tant que journaliste pour « The Real News Network », elle est un témoin privilégié de la situation dans son pays natal.

Lia Tarachansky : Ce film parle des gens qui ont exécuté le nettoyage ethnique de la Palestine et l’ont fait disparaître de la carte. Physiquement, par les opérations du nettoyage ethnique. Mais aussi passivement, comme c’est mon cas, en grandissant dans une colonie juive en territoire palestinien. Ma présence là-bas participait de la construction continuée d’un état israélien.

Le film est un rapport très personnel sur la négation collective dans la société israélienne. Il évoque ce que cela signifie, quand tout un peuple a commis un crime, devenu par la suite le plus grand tabou de notre culture. Le plus grand tabou de toute notre histoire, qui continue de suppurer comme une blessure ouverte que nous refusons de regarder ».

C’est la « guerre d’indépendance israélienne » de 1948 que vous visez ainsi ?

LT : La « guerre » de 1948, à la création de l’état d’Israël, en est le symbole. Comment la naissance de notre état n’a pu survenir qu’en chassant d’autres gens de leur terre. Mais quand on nie aussi longtemps et aussi intensivement, cela devient explosif.
C’est ce qui a mené en 2009 à la « Loi anti-Nakba »**, loi qui interdit aux gens en Israël d’évoquer cette partie de l’histoire. A l’heure actuelle, le sujet tabou est donc si puissant et menace si fort d’exploser que les pouvoirs publics se sont sentis obligés d’élaborer une loi qui interdit aux gens de le déplorer.

Qu’est-ce que les autorités craignent tellement de la part de personnes ressentant du regret ?

LT : La raison c’est que, jusqu’à présent, nous avons parfaitement réussi à piloter l’élaboration de l’image autour d’Israël. C’est une nation de juifs désemparés qui ont survécu à l’Holocauste dans une jungle pleine d’arabes terroristes, islamistes... Voilà le récit que nous avons créé et c’est l’histoire que la plupart des gens dans le monde continuent à croire.

Mais si l’on étudie de plus près 1948, on commence à se rendre compte qu’à chaque étape du développement de notre état, nous avions des possibilités de nous intégrer dans notre région. Il y a eu d’innombrables moments que nous aurions pu saisir pour devenir un état de même valeur au Moyen-Orient. Des démarches que nous n’avons jamais entreprises, parce que nous étions concentrés sur l’isolement et sur la création d’ennemis.

Aujourd’hui, grâce à l’internet, grâce aux nouveaux historiens [« postsionistes »] et grâce au travail accompli par différentes organisations***, il n’est plus possible de dire que nous ne connaissions pas l’histoire de l’état israélien.

Des gens qui ont perpétré des nettoyages ethniques sont toujours en vie. Et beaucoup de réfugiés palestiniens de l’époque, leurs enfants et leurs petits-enfants, attendent encore toujours qu’on leur rende justice. C’est encore et toujours le point d’achoppement crucial dans les négociations de paix. Jusqu’à ce jour, c’est l’élément qui fait toujours échouer les pourparlers.

Pourquoi Israël ne peut-il regarder le problème en face ?

LT : Ce n’est pas seulement un problème, c’est le problème. La question est de savoir comment, au XXIème siècle, on peut s’efforcer de construire un état ethniquement pur. Et si une telle chose est moralement défendable. Dès qu’on se met à poser ce genre de questions, le projet d’état israélien perd toute sa légitimité. C’est bien pour cela que la Loi anti-Nakba a été créée. Afin que les gens n’accordent pas leur attention à cette question en la déplorant. Mais les arabes ne déplorent pas l’existence de l’état d’Israël. Ils pleurent la perte de l’état palestinien.

Vu ainsi, le récit israélien est aussi très confrontant pour l’Occident. Selon moi c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Europe est tellement hésitante à s’occuper de ce conflit. Parce que les européens y reconnaissent leurs propres expériences. Il y a cent ans, par exemple, une grande partie des Italiens ont quitté leur pays pour partir en Amérique. Aujourd’hui, beaucoup d’Africains partent pour l’Italie. Mais la raison pour laquelle les Italiens sont tellement braqués contre ces nouveaux immigrants, c’est qu’ils ont peur que leur culture ne perde ainsi sa spécificité.

En ce sens, on peut voir Israël comme un agrandissement de problèmes qui se jouent partout dans le monde, comme un laboratoire à partir d’où nous allons vers un monde globalisé.

Dans la bande-annonce nous voyons un parlementaire dire : ‘You want to create a state for all its citizens, but you won’t succeed, we will stop you’. [Vous voulez créer un état pour tous ses citoyens, mais vous ne réussirez pas, nous vous stopperons »]. Pour un étranger ces paroles sont hallucinantes …

LT : C’est la forme la plus crue, la plus authentique autour de laquelle pivote l’idéologie israélienne. Pour un état juif, une majorité juive est indispensable. Pour une majorité juive, une minorité non juive. La meilleure manière de l’obtenir, c’est le nettoyage ethnique.

Si vous suivez cette logique jusqu’à sa conclusion inéluctable, il n’y a en fait que deux issues. Soit un état démocratique, soit un état juif basé sur la purification ethnique.

* http://www.eyeonpalestine.be/portfolio/on-the-side-of-the-road/?lang=fr
** http://mcpalestine.canalblog.com/archives/2011/03/23/20707716.html
*** http://ccfd-terresolidaire.org/projets/mediterranee/palestine-israel/zochrot-le-bon-usage-de

1er avril 2014 - Uitpers - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.uitpers.be/index.php/int...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM