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Meurtres, espions et alibis : derrière la dispute entre Mohammed Dahlan et Mahmoud Abbas
vendredi 4 avril 2014 - Ramzy Baroud
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Abbas, à g., et Dahlan, à d., plus menteurs et voleurs l’un que l’autre

Quand feu le leader palestinien Yasser Arafat était confiné par les soldats israéliens dans son QG de la ville palestinienne de Ramallah, Mohammed Dahlan régnait en maître. Sans doute le membre le plus puissant et efficace du « gang des cinq » du Fatah, il dirigeait les affaires de l’organisation, se coordonnait avec Israël sur les questions sécuritaires, négociait et passait des accords sur les affaires régionales et internationales.

C’était la période entre mars et avril 2002, une autre époque. En ce temps-là, Dahlan - ancien ministre de l’autorité palestinienne (AP), ancien conseiller à la sécurité nationale, ancien chef du service de sécurité préventive (PSS) à Gaza, connu notoirement pour ses liens avec la CIA et avec d’autres services de renseignements arabes et pour ses techniques innovantes de torture - était (presque) le Palestinien le plus puissant. Tous ses rivaux avaient opportunément, ou par coïncidence, été marginalisés. Arafat avait été emprisonné dans son bureau de la Mouqataa, et le premier concurrent de Dahlan, Jibril Rajoub, leader du PSS en Cisjordanie, avait été discrédité d’une manière très humiliante. Au cours de la répression la plus violente de la deuxième Intifada par Israël entre 2000 et 2005, Rajoub avait livré le siège du PSS avec tous ses prisonniers politiques palestiniens - surtout de Hamas et d’autres groupes d’opposition - à l’armée israélienne et était parti. Depuis cela, l’étoile de Rajoub était tombée dans un sombre chapitre de l’histoire palestinienne. Mais pour Dahlan, c’était un nouveau départ.

Sombre histoire

Pour affirmer leur nouveau pouvoir, les milices du Fatah loyales à Dahlan et à son « gang des cinq » firent comprendre clairement à tous les leaders ambitieux du Fatah que le mouvement avait une nouvelle direction. Le gang des cinq avait « mis à l’ombre la faction de Cisjordanie de Jibril Rajoub », rapporta UPI, « et les hommes de Dahlan ont même raflé des équipes de voyous de Rajoub ». Le gang des cinq consistait en Dahlan, le ministre des O.N.G. Hassan Asfur, le chef négociateur Saeb Erakat, Mohammed Rashid et Nabil Sha’ath. Asfur et Rashid avaient récemment refait surface avec des accusations de corruption et d’implication dans des meurtres. Il s’agitaient tous pour un retour aux négociations directes avec Israël, appelaient à la fin de l’Intifada, particulièrement sous sa forme armée, et voulaient restructurer les services de sécurité de l’AP en une seule organisation dirigée par Dahlan, soutenue par la CIA et par les agences de renseignements de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite.

Ce n’est pas une histoire dont la direction du Fatah, y compris Dahlan, aime se souvenir. Une telle histoire est trop dangereuse car elle souligne la réalité qui entourait, et continue de façonner la classe dirigeante de l’AP à Ramallah, dont la portée a affecté tous les aspects de la vie palestinienne. L’AP a mis à l’écart l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Conseil national palestinien (CNP) autrefois prééminents. Malgré ses défauts et ses manques, le CNP avait servi de parlement pour les Palestiniens de partout. Beaucoup de Palestiniens ont été désolés de réaliser qu’un seul parti, le Fatah - ou plus correctement un petit groupe dans un mouvement qui fut révolutionnaire, dominait complètement les décisions politiques palestiniennes, l’assistance économique et plus.

La deuxième Intifada, qui commença en septembre 2000, contrairement à la première Intifada de 1987, fit beaucoup de mal. Il semblait lui manquer une unité d’objectif, elle était plus militarisée, et elle permit à Israël de réarranger la scène politique post-Intifada et post-Arafat de manière à privilégier ses alliés fiables dans le camp palestinien. Dahlan et l’actuel président de l’AP, Mahmoud Abbas, élu en 2005 pour cinq ans, furent épargnés des purges israéliennes. Hamas perdit plusieurs niveaux de sa direction, comme le Djihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui, comme d’autres groupes de gauche, souffrit de répression et d’assassinats massifs. Même les militants de Fatah payèrent un prix terrible en sang et en emprisonnements à cause du rôle dirigeant qu’ils avaient joué dans l’Intifada. Mais pour Abbas et Dahlan, ce fut plus confortable. En fait, au moins pour quelque temps, l’issue de l’Intifada a été bénéficiaire pour certains leaders palestiniens qui avaient été relégués à des rôles mineurs. Les manigances israéliennes et la pression américaine ont aidé à les mettre en lumière.

Dahlanistan

Douze ans plus tard, Abbas et Dahlan sont à nouveau au centre de l’attention. Abbas, 79 ans, est un président vieillissant d’une autorité qui a accès au fonds mais ni souveraineté ni pouvoir politique (hormis celui permis par Israël) ; Dahlan, 52 ans, est en exil en Égypte après que ses supporters aient été chassés de Gaza par Hamas en 2007, puis de Cisjordanie par son propre parti en juin 2011. Ceci a eu lieu après qu’il fut accusé de corruption et de responsabilité dans l’empoisonnement d’Arafat pour le compte d’Israël. Mais Dahlan, aidé par de puissants amis en Égypte et dans le Golfe, et par ses vieux contacts en Israël et aux USA, complote un retour.

Abbas sait que son pouvoir s’approche d’une transition délicate, pas seulement à cause de son âge. Si le 29 avril, date limite de la médiation fixée par le secrétaire d’État US John Kerry, passe sans résultat substantiel, comme ce sera vraisemblablement le cas, il ne sera pas facile pour Abbas de garder sous contrôle les différentes cliques du Fatah en compétition. Et comme avec perspicacité Dahlan trouve et manipule les points faibles pour réaffirmer sa pertinence à un milieu politique qui l’a plusieurs fois rejeté, Abbas se lance en prévision d’une épreuve de force. Dahlan répond en nature, en partie par les ondes qui lui sont généreusement accordées par les médias égyptiens. Le Fatah est à nouveau en crise, et à cause de sa domination politique, toutes les institutions politiques palestiniennes vont en souffrir.

Comment est-il possible que Dahlan, accusé de crimes épouvantables pendant son règne à Gaza, reste pertinent ? Il a été accusé de torture, d’espionnage pour Israël et d’assassinats pour son compte. De plus, d’après une enquête de Vanity Fair d’avril 2008, il a tenté un coup d’Etat à Gaza contre le gouvernement élu de Hamas qui a conduit à une guerre civile, à la prise de pouvoir de Hamas à Gaza, et à approfondir la désunion qui nuit toujours aux Palestiniens. Avant son expulsion par Hamas, Dahlan avait commandé une force sécuritaire de 20 000 hommes dans Gaza appauvri, et dirigé une unité spéciale financée et entraînée par la CIA. La bande de Gaza était qualifiée par certains, moquerie éloquente, de Dahlanistan.

Même après avoir été banni à la fois par le Fatah et Hamas, le nom de Dahlan a continué à être associé à des conflits sanglants dans d’autres parties du Moyen-Orient. En avril 2011, le conseil national de transition de Libye l’a accusé de liens avec une cache d’armes israéliennes qui auraient été reçues par l’ancien leader libyen Mouammar Kadhafi. Le nom de Rashid était aussi mentionné par les Libyens. Le Fatah a promis une enquête - particulièrement parce que Rachid était membre du comité central du Fatah, mais l’incident n’a été qu’un autre chapitre dans une pile montante d’enquêtes sur les crimes attribués à Dahlan.

Hamas, le « dénominateur commun »

C’est devenu plus moche quand un leader de Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, fut assassiné à Dubaï en janvier 2011. Tandis que Hamas maintient que le Mossad était derrière l’assassinat (comme l’a prouvé la vidéo), deux des suspects arrêtés à Dubaï pour leur implication supposée et pour avoir fourni un soutien logistique à l’équipe du Mossad- Ahmad Hassanain et Anwar Shheibar – travaillaient pour une entreprise de construction de Dubaï appartenant à Dahlan. Curieusement, leurs CV les lient aussi à une cellule d’exécutions de Gaza commandé par Dahlan, vouée à supprimer les désaccords parmi les groupes palestiniens.

La prise de bec actuelle entre Abbas et un Dahlan qui a relevé la tête confirme les nombreuses suspicions des détracteurs du Fatah concernant le rôle de la direction du mouvement dans la conspiration avec Israël pour détruire la résistance. Bizarrement, cependant, Abbas et Dahlan continuent de se présenter comme les sauveurs des Palestiniens, tout en s’accusant mutuellement de collaborer avec Israël et être un larbin des Américains. Ça n’amuse pas la plupart des Palestiniens, et même le dirigeant de Hamas Mousa Abu Marzouk a appelé Abbas et Dahlan à « se retenir d’échanger des accusations qui ne servent que les intérêts israéliens ». Il ajouta « Hamas prend ses distances avec les querelles entre Abbas et Dahlan, malgré même que [Hamas] soit un dénominateur commun entre les deux parties ».

Le commentaire d’Abu Marzouk sur le « dénominateur commun » se référait à la liste des accusations d’Abbas contre Dahlan, dont le rôle supposé de ce dernier dans les assassinats du leader de l’Hamas Salah Shehadeh, de sa famille et de plusieurs voisins dans une frappe aérienne israélienne en 2002. Abbas laissa aussi entendre que Dahlan avait aussi joué un rôle dans l’empoisonnement d’Arafat en 2004. Le président de l’AP se référait à « trois espions » qui travaillaient pour Israël et avaient conduit des assassinats de Palestiniens de haut niveau. Outre Dahlan, et se référait à Hassan Asfur, un autre membre du « gang des cinq ». Hamas a immédiatement demandé une enquête.

Une question évidente est : si Dahlan était impliqué dans ces crimes au su des leaders du Fatah et des dirigeants de l’AP, pourquoi ont-ils continué de confier à Dahlan des responsabilités névralgiques ? Le timing des commentaires d’Abbas n’est pas arbitraire. Abbas est de plus en plus inquiet d’une tentative, impliquant les puissances régionales, pour réimplanter Dahlan sur la scène politique palestinienne. Pour Ramallah, le séjour confortable de Dahlan en Égypte, les rencontres fréquentes avec des hauts dirigeants de l’armée égyptienne et l’accès à de vastes sommes d’argent sont des sources d’inquiétude.

Accès aux médias

La plate-forme médiatique de la réponse de Dahlan le 16 mars fut intéressante. Il lança son attaque sur la chaîne privée de télévision Dream2 en Égypte. Lors d’une interview qui dura des heures, Dahlan se fit attribuer un espace incontesté pour présenter son programme politique. « Le peuple palestinien ne peut plus supporter une catastrophe comme Mahmoud Abbas » a dit Dahlan. « Depuis le jour où il a pris le pouvoir, les tragédies ont frappé le peuple palestinien. Je suis peut-être un de ceux qui portent le blâme pour avoir amené cette catastrophe sur le peuple palestinien ».

La responsabilité de Dahlan pour avoir « amené » Abbas au pouvoir n’est pas claire, mais il est clair que l’épreuve de force entre les deux hommes qui ont été alliés contre Arafat a atteint un nouveau niveau. Dahlan tenta d’avoir une allure de chef d’État, mais il échoua. « Je ne veux pas m’installer dans ce discours ridicule dans lequel Mahmoud Abbas s’est couvert de honte » a dit l’ancien chef de la sécurité. « Il s’en fiche si d’autres gens l’insultent ou s’il se fait honte. Il a l’habitude que les gens le traitent avec mépris… Quand (le Fatah était) en Tunisie, ils l’appelaient le président de l’Agence Juive ».

Quand Hamas a investi la maison de Dahlan à Gaza en 2007, ils ont découvert une énorme cachette d’armes non immatriculées et des milliers de balles. Des piles de photographies de lui avec des hauts militaires et agents du renseignement israélien ont aussi été trouvées. Les photos suggéraient des relations amicales entrent Dahlan et les leaders israéliens responsables d’une violence substantielle contre les Palestiniens.

Mais les aventures de Dahlan, semble-t-il, ne se restreignent pas à des déclarations sauvages sur le président de l’OLP. Ses supporters dans le désert du Sinaï sont suspects de causer des ravages et d’être partie intégrante de la violence dans la région. Et sa femme a été accusée de distribuer de grosses sommes d’argent à des Palestiniens sélectionnés dans les camps de réfugiés au Liban. L’histoire de Dahlan va monter, et elle est liée intimement au coup d’état égyptien et au rôle de l’Égypte dans la région. Les membres et supporters du Fatah qui ne sont loyaux ni à Abbas ni à Dahlan croient que leur mouvement doit revenir à son identité révolutionnaire, la raison même de son existence.

* A lire aussi : Choc à Gaza

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

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31 mars 2014 - AMEC - Vous pouvez consulter cet article à :
http://amec.org.za/articles-present...
Traduction : CCIPPP - JPB