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Notes sur Israël, le désordre et la dissolution du monde
jeudi 20 février 2014 - Philippe Grasset - Dedefensa
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Les passants traversent les lieux d’une explosion mortelle dans le quartier sud de Beyrouth, le 19 février 2014 - Photo : Marwan Tahtah

Nous commencions à esquisser cette observation le 10 novembre 2013, en plaçant ce phénomène dans un cadre général qui faisait l’essentiel de ces Notes d’analyse, qui concernait la région du Moyen-Orient. Nous y sommes revenus beaucoup plus précisément le 27 janvier 2014, à partir d’une nouvelle de DEBKAFiles, notre article se référant lui-même à un texte du 11 janvier 2014 sur la transformation d’“Al Qaïda, marque déposée” en une dynamique paradoxale de “désordre structuré” et de “désordre immobile” où les références dites “sérieuses” (idéologie, fondamentalisme religieux) le cèdent de plus en plus à des valeurs confuses de désordre et de banditisme. Nous avions déjà observé les premiers signes de ce changement dans un texte qui signalait un rapprochement d’Israël avec la Russie sur cette question de la lutte contre le “terrorisme” (guillemets nécessaires), – le 27 décembre 2013.

De notre article du 27 janvier 2014 : « Il s’agit d’un texte, présenté comme venant d’un officier du renseignement israélien parlant à “des correspondants étrangers”, pour annoncer la possibilité, voire la probabilité d’une transformation fondamentale de la stratégie israélienne. En cause, bien entendu, l’évolution de la situation au Moyen-Orient vers une sorte de “désordre structuré”, bien symbolisé par la prolifération des divers “Al Qaïda”... [...] L’idée est bien que cette stratégie implique le passage d’actions diverses d’interférences dans les conflits en cours autour d’Israël (actions qui, d’ailleurs, contribuèrent au développement du désordre et des “al Qaïda” divers...), à une action stratégique structurée où Israël serait partie prenante. Il s’agit de la réalisation de ce qu’est devenue, en tant qu’importance stratégique et désordre effectif, la situation dans le cœur central du Moyen-Orient. Divers signes ont montré ce qui pourrait être cette évolution stratégique d’Israël, notamment un certain rapprochement avec la Russie, notamment au niveau d’une coopération entre les services de renseignement et les structures policières face à ces situations. Tout cela entraîne des perspectives de changements profonds, effectifs ou potentiels, au niveau des forces militaires israéliennes et au niveau de la politique israélienne de sécurité. »

Depuis, cette idée fondamentale d’un grand “strategic shift” a été largement reprise et analysée par divers commentateurs. Les mêmes sources sont citées, venues des forces armées et des services de sécurité israéliens. On peut se référer à des textes tels que « Al-Qaeda, la principale menace actuelle pour Israël » de Bruce Riedel, sur Al-Monitor, du 31 janvier 2014, « Les officiels de la sécurité israélienne modifient leur analyse de la guerre syrienne » de Ben Caspit, également sur Al-Monitor le 11 février 2014, « La désintégration de la Syrie alarme Israël – Bashar al-Assad semble être la moins mauvaise option alors que grandit la crainte de la montée en puissance des groupes djihadistes » de Ian Black, dans le Guardian du 14 février 2014.

Le “terrorisme” et les guillemets nécessaires

Avant de nous lancer dans l’exploration de cette évolution israélienne, il nous paraît intéressant sinon nécessaire d’en fixer précisément le contexte. Il s’agit d’un processus de transformation du “terrorisme”... Nous parlons de ce “terrorisme” chargé de guillemets, qu’il soit étiqueté “islamiste” ou “djihadiste”, qu’il soit regroupé en termes de communication sous le sigle “al Qaïda”, qu’on pourrait considérer comme une “marque” aussi fameuse dans “l’industrie du terrorisme” que Hermès dans l’industrie du luxe (voir justement le 11 janvier 2014 sur “Al Qaïda, marqué déposée”) ; entité insaisissable, à l’existence incertaine en tant que telle, assaisonnée à toutes les recettes imaginables, dont de si nombreuses faussaires et de convenance pour des politiques variées, etc.

Nous n’avons jamais cru à la pureté du terme “terrorisme” pour al Qaïda et tout ce qui l’accompagne depuis 9/11, avec en plus la lumière de type très clair-obscur des origines de la chose, commençant par les manipulations Brzezinski-CIA-Arabie dès la fin des années 1970 (pour Brzezinski, voir le 31 juillet 2005). (Cette conviction explique que nous n’avons guère traité du “terrorisme” en tant que phénomène fondamental, digne d’être l’objet d’une étude spécifique.) Donc, nous n’avons jamais cru à la pureté de la thèse sur le terrorisme considéré comme une force religieuse et politique pure, opérationnalisant une offensive globalisée majeure qu’on définirait par quelques termes en général sexy, accouchés du système de la communication, et sexy parce qu’accouchés du système de la communication – termes et expressions telles que “choc des civilisations”, “djihad”, “islamo-fascisme”, établissement d’un mythique “califat” musulman, etc. De même et inversement, nous n’avons jamais cru à la pureté de la thèse contraire, – le “terrorisme” exclusivement comme montage, manipulation, avec presque exclusivement false flags et complots, etc., dans des buts politiques spécifiques, quels que soient les monteurs et les manipulateurs.

Nous pensons que la vérité de cette situation se trouve entre les deux, qu’aucun aspect ne l’emporte même si chacun a produit des “évènements”, – mais peut-être devrions-nous employer le passé pour ces affirmations. En effet, nous pensons que ces deux éléments sont en cours de réduction (de dissolution) accélérée au profit d’une nouvelle (troisième) situation qui s’établit, qui est une situation présentant elle-même un caractère de dissolution pour se définir, et produisant des facteurs fondamentaux de dissolution. (Il s’agit de la situation de désordre d’un monde devenu “antipolaire” que nous avons décrit dans deux textes déjà référencés ci-dessus, le 10 novembre 2013 et le 11 janvier 2014.)

Transformation du “terrorisme” en désordre

C’est à la fin de l’année 2013 que diverses analyses, observations, commentaires, etc., ont développé cette thèse, qui est en fait une observation évidente, de la transformation du “terrorisme” en une “force informe” de désordre, – ou bien s’agit-il de la mise en évidence de la vraie nature du “terrorisme”... Nous regroupons ici plusieurs faits, analyses, interprétations, commentaires de cette période fournissant l’élément opérationnel de notre réflexion théorique.

• Dans la nouvelle/Bloc-Notes du 11 décembre 2013, nous mettions l’accent sur une déclaration de Pierre Lellouche, faite au Grand Journal de Canal Plus à propos de l’intervention française en Centrafrique ...

« Il est intéressant d’entendre Lellouche se référer, à propos de l’affaire centrafricaine, à la nécessité du rétablissement de la stabilité pour la sécurité générale à cause des effets de cette affaire sur la situation de l’immense ‘bande sahélienne’ allant de l’Océan Atlantique à la Corne de l’Afrique, qui s’est créée dans sa nuisance actuelle à partir de l’affaire libyenne et donc de l’intervention française, et qui constitue selon ses propres mots un “réservoir de crise de déstabilisation, constitué de réseaux criminels, de drogue, d’enlèvements, et aussi de réseaux salafistes fondamentalistes” ; il est intéressant, disons-nous, de voir mentionner prioritairement l’existence des ‘réseaux criminels’ (le crime organisé sur place), c’est-à-dire le pur désordre et l’illégalité totale et sans but idéologique, alors même que toutes ces entreprises du bloc BAO ont été lancées dans leur esprit affiché du point de vue de la communication, selon le faux-nez humanitaire et droitdel’hommiste transformé pour la cause en stratégie générale contre ‘la menace terroriste et idéologique’ évidemment universelle. »

• Dans une autre nouvelle, le 11 décembre 2013, nous attirions l’attention sur ce qui pourrait bien être un rapprochement entre la Russie et Israël (déjà mentionné ci-dessus), éventuellement jusqu’à une coopération entre les militaires et les services de renseignement des deux pays, pour lutter contre al Qaïda, ou, dans tous les cas, ce qu’on pourrait désigner comme le “concept al Qaïda”. Cette tendance aurait notamment été illustrée par la visite du ministre des affaires étrangères Lieberman à Moscou, pour une rencontre avec Lavrov, le 9 décembre 2013.

« ... avec notamment la précision que les conversations ont porté notamment sur la situation en Syrie, mais aussi en Afrique du Nord. Cela établit clairement une connexion pour conclure que le sujet est bien l’activité terroriste de ce qu’on nomme al Qaïda, – si le terme “terrorisme” est désormais suffisant pour la description de l’activité... Cette idée doit être gardé à l’esprit pour tenter de comprendre l’évolution de la situation générale. [...]

 »Il semble que ces contacts entre Israéliens et Russes et les hypothèses évoquées par DEBKAFiles alimentent l’hypothèse d’un contexte nouveau, moins dans le sens géopolitique classique de modification et d’évolution des alliance, que dans un contexte beaucoup plus large de l’évolution d’une situation générale, notamment de ce qu’on nomme “terrorisme”, avec évidemment l’évolution du label al Qaïda, les situations et les politiques des États impliqués pouvant évoluer, elles, selon des orientations inattendues à mesure que le “terrorisme” évolue vers le désordre pur. Dans ce contexte, il semblerait que des conflits tels que celui de Syrie tendraient à perdre les caractères idéologiques et ethnico-religieux extrêmement pressants qui les ont caractérisés, pour eux aussi évoluer vers des situation plus caractérisées par ce qui se rapproche du “désordre” pur. »

• Dans le Washington Times du 8 décembre 2013, le spécialiste des matières du contre-terrorisme Guy Taylor développait un très long article sur le monde changeant du “terrorisme”, son évolution actuelle, notamment dans le sens d’une décentralisation... Bien que ce texte soit d’abord d’orientation politique, et destiné à alimenter l’attaque contre Obama (le Washington Times est clairement d’orientation républicaine), il donner des indications intéressantes sur le sujet du terrorisme.

« Tandis que certains accusent clairement le président Obama de développer une "narrative mensongère" pour protéger son image de l’homme qui a attrapé Osama bin Laden, d’autres mettent en avant la crainte que des groupes décentralisés liés à al-Qaeda d’un nouveau genre ne soient susceptibles de prendre le contrôle de davantage de territoires encore sûrs du Moyen-Orient et d’Afrique du nord que l’original ne l’a fait en Afghanistan avant le 11 septembre. En même temps, les preuves s’accumulent que la guerre civile syrienne est devenue, selon le terme désormais utilisé par les officiels, un "aimant" pour tous les combattants liés à al-Qaeda en provenance de pays aussi lointains que la Russie, l’Europe occidentale et les Etats-Unis, et cela provoquent seulement un débat de plus en plus intense à Washington au sujet du succès ou de l’échec de la lutte de l’administration Obama contre le terrorisme.

 »Le député républicain du Texas, Michael T. McCaul, qui préside le Comité de la Chambre pour la sécurité intérieure, vient lui aussi de sonner l’alerte sur la situation de al-Qaeda dimanche, en disant à CNN que l’idéologie du réseau terroriste est de "se propager comme une toile d’araignée, comme un incendie, à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient" et que la menace que cela représente pour les Etats-Unis a augmenté et non diminué au cours des dernières années. [...]

 »[Le député républicain du Michigan, Mike Rogers, qui préside le Comité du renseignement intérieur]a dit que l’explosion du nombre des affiliés d’al-Qaeda dans le monde a révélé la que l’affirmation d’Obama, l’année dernière, comme quoi le réseau terroriste était décimé et en fuite, était fausse. "Al-Qaeda est en train de changer, il se métastase en quelque chose de différent,"a dit M. Rogers, et il a ajouté que, même si le groupe ne semble pas vouloir effectuer des attaques sur type de celle du 11 septembre, du fait de sa nature décentralisée, ses complots pourraient se révéler beaucoup plus difficiles à déjouer pour les autorités étanusiennes... »

Signification de la déroute de l’AIPAC

C’est dans ce contexte général qu’il faut envisager et tenter d’expliquer le grande “revirement stratégique” qui aurait lieu actuellement en Israël. Un événement non négligeable vient d’ailleurs pour confirmer ce changement en cours et le colorer d’un certain désordre qui préfigure l’analyse à laquelle nous sommes conduit. Il s’agit de la déroute de l’AIPAC de ces dernières semaines, qui s’est faite dans le désordre le plus complet (voir notamment le 17 janvier 2014, le 31 janvier 2014, le 8 février 2014).

Outre les arguments structurels développés pour expliquer les fautes de manœuvre de l’AIPAC (Jim Lobe : « Elle souffre aussi d’une gouvernance incertaine et indécise comme c’est le cas de beaucoup de grosses organisations qui sont devenues trop sures d’elles-mêmes lorsqu’elles se trouvent soudain confrontées à un revers important »), il y a l’argument politique conjoncturel qu’expose Gordon Duff, dans PressTV.ir le 13 février 2014. Il s’agit de l’absence d’Israël comme inspirateur des actions à entreprendre, cela reflétant le trouble qui touche actuellement la direction politique et stratégique israélienne...

« Ces derniers jours, les mouvements aux Etats-Unis du lobby israélien l’AIPAC et de sa "milice" l’ADL ou Anti-Defamation League (ligue contre la diffamation) se sont révélés désastreux pour Israël. Il apparaît aujourd’hui que la vendetta de l’AIPAC contre l’administration Obama n’était pas soutenue par Tel Aviv. Sans directives d’Israël, il y a une vacance du pouvoir à Washington.. »

Un autre aspect de ce trouble général se trouve dans la réussite inattendue de la campagne de boycott contre Israël au regard de la position et de la politique de ce pays dans les territoires occupés. Face à cette initiative très diversifiée, Israël semble à la fois impuissant et “terrifié” . (Barghouti dans le New York Times du 1er février 2014 : « Ces temps-ci, Israël semble aussi terrifié par la croissance "exponentielle" du BDS (boycott, Désinvestissement et Sanctions palestinien que par le développement de l’influence de l’Iran dans la région. »)

Perspective israélienne : vivre avec le désordre

Tout se passe comme si toute la capacité d’influence d’Israël était en train de se dissoudre, sans pourtant qu’aucun événement stratégique déterminant ne soit intervenu. La “crise iranienne” est certes entrée dans ce que certains jugeraient être une phase terminale, mais il s’agit surtout, du point de vue israélien, d’une phase de désordre où l’on ne sait plus quelle orientation prendre. L’épisode de l’AIPAC en témoigne à suffisance.

La crise syrienne, elle, s’installe dans une sorte de “super-désordre” après avoir connu le désordre d’une simili-guerre civile où l’on pouvait encore envisager (toujours du côté israélien) de suivre une politique, – quoique celle-ci n’ait jamais été très bien définie. Ce que certains jugeaient être le but avantageux poursuivi par Israël, – la division de la Syrie en plusieurs camps avec les camps occupés à s’entre’massacrer, – apparaît aujourd’hui comme une vision catastrophique. Ainsi comprend-on le rapport que fait Ben Caspit, dans son texte du 11 février 2014, de ses entretiens avec des chefs militaires...

« La crise syrienne a maintenant trois ans. Malgré des débuts difficiles, elle croît et embellit devant nos yeux et ne donne aucun signe de se résorber. Les Israéliens ont modifié leur prévisions de "quelques semaines" à beaucoup plus longtemps. Actuellement, les haut gradés de l’armée israélienne (IDF) pensent qu’elle pourrait durer 10 ans. En choisissant ses mots avec soin, un haut gradé de l’armée israélienne m’a dit : "Nous nous préparons à faire face à une décennie de lutte dans la région syrienne". De toutes façons pour Israël la Syrie telle qu’elle est demeurée pendant des dizaines d’années a disparu. Pour eux, la Syrie - où une coalition complexe et équilibrée de minorités avait réussi à maintenir un état stable, tranquille et apparemment uni - fait partie du passé. Par quoi cela sera-t-il remplacé ? C’est sur cette question que porte précisément la lutte qui pourrait durer de longues années.

 »"C’est comme de jouer à pile ou face," a dit un officiel de l’IDF. "Quel que soit le résultat, il sera mauvais. La victoire d’un axe soutenu par la Russie qui comprendrait l’Iran , la Syrie et le Hezbollah ne serait pas une bonne chose pour Israël. Mais d’un autre côté", a-t-il ajouté, "la concentration de tous les fous du Djihad à Damas et sur le plateau du Golan nous pose aussi des problèmes. Donc en ce qui nous concerne, les deux éventualités sont mauvaises. Et il y a aussi la possibilité que les deux alternatives coexistent, ce qui voudrait dire que la situation actuelle pourrait durer encore de nombreuses années. Assad gardera le contrôle sur Damas et les bastions Alawites, tandis que les forces djihadistes se renforceront et prendront le contrôle de tous les autres territoires.

 » L’entretien avec les officiels israéliens haut gradés a eu lieu avant la conférence de Genève sur la Syrie du 22 janvier. "Il y aura d’autres conférences de Genève" a-t-il prédit. "Il y aura Genève II, et peut-être aussi III, IV et V. .La crise va durer... »

Vertu de la crise syrienne : d’une vision l’autre

Effectivement, pourquoi ce qui était vu hier comme un avantage pour Israël, – “la division de la Syrie en plusieurs camps avec les camps occupés à s’entre’massacrer”, – est-il apprécié aujourd’hui comme une perspective catastrophique pour Israël, par l’establishment de sécurité nationale israélien lui-même ? La réponse se trouve, à notre sens dans une autre vision que celle qu’on entretient en général depuis deux ou trois décennies pour juger de la position et du comportement d’Israël. En un mot, il faut passer de la vision apocalyptique à la vision du désordre.

Ce qui est en train de mourir aujourd’hui, avec comme signes de ce trépas la perte de l’influence israélienne, la vulnérabilité au boycott, l’AIPAC laissé à ses propres errements de mastodonte de la corruption sans orientation, c’est la “vision apocalyptique” rassemblée autour d’Israël, celle que suivirent bon an mal an les dirigeants civils israéliens et que Netanyahou porta au degré le plus haut de la paranoïa. Cette vision apocalyptique, exacerbée par l’attaque 9/11 utilisée dans le système de la communication comme l’on sait, s’appuyait sur un symbolisme à consonance religieuse sinon pseudo-métaphysique, avec les références connues de l’Holocauste, des dénonciations de projets divers et innombrables d’anéantissement d’Israël. Cette perception a bien entendu culminé avec l’Iran et la présidence d’Ahmadinejad, et l’utilisation qu’en ont fait les divers relais d’influence israéliens. C’est la transformation naturelle de la crise syrienne, la façon dont la vérité de la situation syrienne a fini par pulvériser les narrative manichéennes et apocalyptiques du bloc BAO, qui a entamé puis dissout rapidement cette perception.

Ce qu’a substantivé et opérationnalisé la crise syrienne, c’est la notion de plus en plus dominante de désordre, en même temps que la notion de “terrorisme” elle-même évoluait, comme on l’a vu plus haut, en une situation trouble et incertaine où se mêlent les extrémismes les plus virulents aux activistes des trafics divers, aux professionnels du crime organisé et ainsi de suite. Bien entendu, l’évolution de ce que l’on a nommé la “crise iranienne” a joué son rôle, mais plutôt comme complément, en servant à mieux mettre encore en évidence combien la thèse apocalyptique “autour d’Israël” s’efface de plus en plus rapidement derrière la thèse du désordre. Dans ce contexte, Netanyahou et sa paranoïa, avec ses anathèmes et ses croquis sommaires sur la bombe iranienne spécialement destinée à anéantir Israël, apparaissent de plus en plus dépassés et caricaturaux. Dans le cadre de cette évolution, bien entendu, les divers événements et constats qu’on a relevés plus haut ont tous leur logique et leur place pour renforcer plus encore le constat qu’on en fait.

Israël, c’est bien plus qu’Israël

Mais nous ne voulons ni ne pouvons nous en tenir là, parce qu’il s’agit d’Israël, et qu’Israël, qu’on le veuille ou non, qu’on s’en félicite ou qu’on s’en désole, c’est bien plus qu’Israël. Nous voulons parler ici d’Israël comme appendice extrême, enclave stratégique du bloc BAO et, en un sens, “annexe du Pentagone” (voir le 17 juillet 2006 ). Nous voulons parler d’Israël comme avancée extrême de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, transmutée en politique-Système et opérationnalisée par Israël sous la forme pathologique et obsessionnelle qu’on a connue, notamment et essentiellement avec Netanyahou.

De ce point de vue, la transformation actuelle de la posture stratégique d’Israël présage une modification ontologique de la situation politique de ce pays, avec la nouvelle pression du désordre, qu’il se nomme terrorisme ou “terrorisme” entre guillemets, qu’il vienne de Syrie ou d’ailleurs, voire de voies inattendues comme celles qui font qu’Israël et la Russie se rapprochent et collaborent au niveau de la sécurité. Elle présage également un surgissement des déséquilibres internes israéliens qui, pour certains chefs israéliens de la communauté de sécurité nationale, est le premier et le vrai problème existentiel d’Israël. (Voir par exemple les avis de divers chefs de services tels que le Mossad, le Shin Beth, voire des forces armées, le 4 novembre 2011, le 28 avril 2012, le 23 mars 2013...) On comprend bien qu’en cela, Israël ne diffère pas des pays du bloc BAO, dont il fait partie, aussi bien que d’autres puissances telles que la Russie, la Chine, le Brésil, etc., – puisque tous, absolument tous et nous tous, nous sommes confrontés à la même crise générale d’effondrement du Système.

Échelon de plus dans la dissolution

Il s’agit en fait d’un échelon supplémentaire dans l’évolution vers une situation de dissolution du système des relations internationales, notamment de ces relations internationales basées sur des affrontements extérieurs de type obsessionnel, paranoïaques, à consonance religieuse souvent, et qui en restent en général au niveau de la communication sans passer à l’acte de la guerre elle-même. On peut en effet imaginer le changement que constituerait l’évolution d’un Israël conduit à abandonner sa politique fondée sur une stratégie inspirée de ce que l’historien Ferrero qualifiait d’“idéal de la puissance”, appuyée pour se justifier sur des narrative d’extermination avec en arrière-plan ce que nous avons désigné comme la “métaphysique-simulacre” de l’Holocauste. (Voir le 1er octobre 2012 et le 5 octobre 2012 : « On a vu à plus d’une reprise que l’événement central de cette métaphysique (métaphysique-simulacre en vérité) est l’Holocauste, mais non l’Holocauste dans son horreur historique, tel qu’il fut, mais de façon fort différente, plutôt Holocauste dans sa représentation symbolique et, justement, métaphysique. »)

Si, effectivement, Israël se départit de cette position extrémiste “de type obsessionnel, paranoïaques, à consonance religieuse”, ce sera tout le bloc BAO, déjà lui-même en bien piètre état dans la situation intérieure de nombre de ses membres, qui en subira les conséquences. Il se verrait privé du socle pseudo-métaphysique de l’une de ses principales narrative mobilisatrices (l’antisémitisme, l’Holocauste en tant que métaphysique-simulacre) dont le rôle est de dissimuler la profondeur abyssale de la crise d’effondrement du Système, – profondeur nécessairement abyssale puisque l’effondrement du Système nous conduit nécessairement aux abysses. Le problème, pour le bloc BAO, c’est qu’Israël ne peut longtemps maintenir une posture qui subvertit et trompe sa sécurité nationale, c’est-à-dire que ce pays ne peut maintenir longtemps la fiction d’une posture obsessionnelle type-Netanyahou pour continuer à alimenter les narrative internes des pays du bloc BAO. Les dangers de déstructuration et de dissolution guettent ce pays extrêmement fragile de ce point de vue, – comme le savent si bien les chefs du Mossad et ceux du Shin Beth.

C’est pour cette raison qu’Israël se rapproche de la Russie, parce qu’Israël sait qu’à cet égard, la Russie est beaucoup plus consciente que le bloc BAO, et plus lucide à cet égard, pour ce qui concerne les véritables dangers de déstructuration et de dissolution. De ce point de vue, nous avancerions les deux idées que 1) Netanyahou n’a plus beaucoup d’avenir, à moins qu’un Netanyahou-II ne remplace le Netanyahou-I des anathèmes anti-iraniens et des croquis sommaires de la bombe iranienne (ce qui n’est pas impossible, car le Premier ministre-anathème qu’est Netanyahou-I sait être aussi un politicien tortueux et arrangeant, pour éventuellement se transformer en Netanyahou-II) ; 2) qu’une éventuelle alliance de facto entre Israël et la Russie a plus d’avenir et de cohérence que l’actuelle position d’Israël comme avancée hystérique des obsessions de type “déflection-deception”, comme le fut la crise financière de 2008 par rapport à la crise d’effondrement du Système (voir le 8 février 2014), pour servir de paravent à la crise d’effondrement pour les pays du bloc BAO continuant à vivre dans l’univers magique de leurs narrative. L’enjeu est bien toujours le même : parvenir à regarder en face, au fond des yeux, la crise d’effondrement du Système.

17 février 2014 - Dedefensa - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.dedefensa.org/article-no...
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet