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Genève II : un point de vue depuis Alep
jeudi 23 janvier 2014 - Edward Dark - Al-Monitor
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Des parties entières de la ville syrienne d’Alep ont été détruits durant cette guerre civile. Ici les suites d’un bombardement sur le nord de la ville, par l’armée syrienne - Photo : Getty/Images

Le régime syrien a présenté sa liste finale des participants et nommé les officiels qui le représenteront, tandis que l’opposition en exil soutenue par l’Occident et les pays du Golfe en est encore à se chamailler. Mais la menace par les États-Unis et le Royaume-Uni de cesser tout soutien si cette opposition ne se présentait pas à Genève peut fournir l’impulsion nécessaire pour que la coalition nationale réussisse finalement à aligner sa délégation.

Mais Haytham Mana (organisme de coordination national pour le changement démocratique, un groupe de coordination connu comme l ’« opposition interne ») ne sera probablement pas représenté. Un grand absent également est l’Iran, ce qui soulève de sérieuses questions sur l’objectif des négociations.

Sont-elles simplement un cirque médiatique qui va à annoncer au monde ce qui a été déjà convenu entre les superpuissances ? Ou sont-elles juste une tentative hésitante et débile de promouvoir un accord - en fait une perte de temps ?

L’événement le plus notable et dramatique, bien sûr, concerne les récente luttes internes entre rebelles islamistes de l’État islamique d’Irak et d’al-Sham (ISIS), et le Front islamique soutenu par l’Arabie saoudite, qui a coûté plus de 1000 vies dans les deux dernières semaines, faisant passer d’un côté ou de l’autre des zones dans le nord de la Syrie après que l’Armée syrienne libre plus modérée en ait été presque complètement chassée le mois dernier.

De manière significative, les États-Unis et la Russie sont maintenant apparemment plus proches d’un consensus alors qu’ils essaient de pousser à des cessez-le-feu localisés en Syrie, ce qui a en fait déjà pris place avec succès dans Madamieh et Barzeh à Damas, fournissant un exemple possible pour un plus large cessez-le-feu ainsi que pour des échanges de prisonniers et pour l’accès à l’aide humanitaire dans les zones assiégées à travers la Syrie.

L’autre évolution importante vient de la Turquie voisine, en proie depuis peu à une crise politique interne. Le président Abdullah Gul a inopinément annoncé que la Turquie est à nouveau en train de changer sa stratégie envers la Syrie, sans doute alarmé par les gains de l’ISIS et sa prise de contrôle de l’ensemble de la province de Raqqa - dont la traversée de la frontière vers la Turquie à Tal Abyad - ainsi que de nombreuses villes à travers le nord de la Syrie, notamment Al-Bab et Jarabulus dans le district d’Alep.

Bien sûr, certains diront que cela a plus à voir avec des manœuvres politiques internes et de la surenchère entre Gul et son ancien allié le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dans un affrontement ouvert pour le pouvoir. Gul utilise ce changement pour contrecarrer Erdogan, dont la politique envers la Syrie a été en grande partie un échec et s’est retournée contre lui, puisque elle est considérée en Turquie le plus souvent comme négative.

Mais de nombreux observateurs estiment que c’est un mouvement pragmatique, d’autant plus qu’il survient sur ​​les talons de la fermeture d’un organisme de bienfaisance islamique dans la ville frontalière de Kilis, sous l’accusation d’être liée à Al-Qaïda en Syrie. Il s’agit du même organisme que celui qui avait été impliqué dans les incidents du Mavi Marmara au large de la bande de Gaza, qui ont déclenché un importante crise diplomatique internationale à l’époque. La récente controverse concernant l’obstruction de la fouille d’un camion censé transporter des armes pour les rebelles en Syrie pourrait aussi avoir joué un rôle.

Il semble que la Turquie considère maintenant la situation en Syrie comme très dangereuse et comme une menace imminente pour sa sécurité nationale. Dommage qu’il ait fallu une prise de contrôle d’Al-Qaïda sur ses frontières immédiates pour qu’Ankara finisse par voir ce que beaucoup avaient depuis longtemps anticipé. Là encore, le gouvernement turc islamiste a été accusé de fonder l’élaboration de sa politique sur l’idéologie, et non pas sur la realpolitik. Il reste à voir quel impact cela aura sur le terrain en Syrie, mais si les déclarations de Gul doivent être prises au mot, il semble que la Turquie souhaiterait finalement une désescalade militaire en Syrie dans l’intérêt de tout le monde, comme il est maintenant clair que le régime d’Assad ne peut plus être renversé par la force et que les groupes extrémistes seraient les bénéficiaires d’une plus grande militarisation du conflit.

Assad est là pour rester, au moins dans l’avenir immédiat, et il est donc temps de préparer la table pour discuter avec lui. C’est ce que Gul semble entendre par « patience et diplomatie tranquille ». Le joker dans tout cela, bien sûr, reste l’Arabie Saoudite, dont la position a été jusqu’ici contraire à celle de ses alliés occidentaux et régionaux, préférant l’armement continu de rebelles djihadistes à tout règlement politique qui pourrait voir Assad rester au pouvoir. Vont-ils être amenés à rentrer dans le rang ou pas ? Cela reste à voir alors que les négociations commencent pour de bon.

En dehors de la surenchère et des réalignements régionaux et internationaux, le Syrien moyen a très honnêtement de très faibles attentes vis-à-vis des pourparlers de Genève II. Les innombrables millions de Syriens qui sont maintenant déplacés, affamés et assiégés - ou tout simplement en état de choc et las de la guerre - ne se soucient pas des nuances et subtilités de la diplomatie internationale. L’action concrète sur le terrain, c’est ce qu’ils désirent le plus : un cessez-le-feu et de l’aide avant tout, le reste étant de la littérature.

Qui gagne et qui perd quoi sont des considérations secondaires, les masses aspirant à un semblant de normalité et à la fin de l’effusion de sang. En outre, les cyniques sont partout, du plus ardent des partisans du régime au plus engagé des rebelles. Pour eux, Genève II est juste un autre forum de discussion où les forts et puissants pourront se faire plaisir tout en prétendant aider à soulager la souffrance des Syriens. « Nous serons à Genève 17 avant de voir une fin à cette guerre », me fait remarquer l’un d’eux.

Les pourparlers ont été la cible de blagues et de caricatures à travers les médias sociaux à la fois loyalistes et d’opposition, ce qui donne une indication sur ce qui en est attendu. Pourtant, alors qu’il est toujours si facile d’être négatif et cynique, les observateurs et les commentateurs prudents souligneront que ces négociations sont le seul moyen de sortir du conflit, et le seul salut possible. Sinon, les malheureux Syriens seront condamnés à rester pris au piège dans un cercle vicieux de mort et de destruction absurdes, s’enfonçant toujours plus profondément dans un bourbier de vengeance, de haine auto-entretenue et de guerre. Les seuls gagnants, si les pourparlers de Genève II échouent, seront les extrémistes et les profiteurs qui veulent la guerre, et le perdant assurément seront les Syriens, quelles que soit leurs affiliations et leurs préférences politiques.

* Edward Dark est un pseudonyme pour un Syrien résidant actuellement à Alep. Il tweet à @ edwardedark

Du même auteur :

- Comment la révolution en Syrie a sombré - 30 mai 2013

21 janvier 2014 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar