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La crise en Égypte menace d’étouffer Gaza
lundi 20 janvier 2014 - Ruth Pollard
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En décembre 2013, Gaza a été inondée par les eaux des pluies, et par l’ouverture de plusieurs barrages israéliens situés à proximité de la bande de Gaza - Photo : Ruth Pollard

Gaza-Ville - Comme cadeau de mariage, Ayman avait offert à sa jeune épouse une réservation pour deux au point de passage avec l’Égypte de Rafah, un ticket pour la liberté destiné à marquer le début de leur vie de couple.

Ayman et Sameeha, qui s’étaient connus et étaient tombés amoureux l’un de l’autre alors qu’Ayman étudiait à Paris, caressaient l’espoir de retourner dans la ville où tout avait commencé pour eux.

Les jeunes mariés devaient d’abord participer à une conférence à Genève, et puis prendre le train pour Paris où ils auraient passé leur lune de miel, respirant un peu à distance de Gaza sous blocus.

Ça ne s’est pas passé comme cela. Après avoir obtenu –tant auprès du Hamas que des autorités égyptiennes- les permis et documents leur permettant de voyager, ils ne sont heurtés à la fermeture de la frontière par l’Égypte, en compagnie de centaines d’autres Palestiniens.

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Sameeha et Ayman, bloqués dans Gaza, comme les plus de 1,5 million de leurs concitoyens palestiniens - Photo : Ruth Pollard

« Nous avons changé nos billets d’avion à trois reprises successives, j’appelais constamment mes amis à Genève pour les prévenir de nos retards, mais on n’y est pas arrivé, ni à Genève, ni à Paris », raconte Ayman, un jeune de 27 ans qui travaille pour une organisation non gouvernementale à Gaza.

L’ouverture de la frontière est un sujet sans fin dans la bande de Gaza, une bande de terre de 42 kilomètres hermétiquement bouclée de trois côtés par Israël – tant par terre, que par mer et dans l’air- et faisant face, au sud, à un gouvernement égyptien de plus en plus dur, apparemment décidé à punir le Hamas, le parti qui gouverne Gaza, pour ses relations étroites avec les Frères Musulmans.

« C’est le règne de l’insécurité et de l’inquiétude », commente Ayman. « Quand vous êtes en voyage à l’étranger, vous pouvez faire des plans pour le lendemain. Ici, ce que nous devons planifier, ce sont les choses de la vie la plus élémentaire – la nourriture, l’électricité, le fioul, l’eau, le gaz et on ne sait jamais en se lavant chaque matin si on va en disposer ».

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Marché à Gaza où des bijoux peuvent se monnayer - Photo : Ruth Pollard

Alors que les différents membres de la famille d’Ayman entrent dans la salle à manger où j’ai été invitée à dîner. Ayman me décrit comment le blocus, qui en est maintenant à sa septième année, affecte la vie de sa communauté.

Son propre frère, qui est ingénieur civil, est au chômage, du fait des restrictions au passage de marchandises imposées et par Israël et par l’Égypte. La destruction, par l’Égypte, des 1200 tunnels qui servaient à fournir des matières premières à Gaza, a pour conséquence qu’il n’y a plus de ciment pour les chantiers de construction où il travaillait.

Sa petite sœur, âgée de 8 ans, ne supporte d’être obligée de faire ses devoirs à la bougie pendant les coupures d’électricité. Au cours des derniers mois, les coupures se sont multipliées, jusqu’à réduire la fourniture de courant à moins de 6 heures (et encore, pas d’affilée) par 24 heures.

Sa mère, par exemple, a passé tout le mois dernier à se lever à quatre heures du matin pour faire le repassage et s’assurer que les ordinateurs et les téléphones portables se rechargeaient au cours des misérables 60 minutes de courant disponible à l’aube.

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Un vendeur ambulant sur un marché de la ville de Gaza - Photo : Ruth Pollard

« C’’est complètement paniquant d’être obnubilé par la crainte d’avoir oublié un objet important à recharger pendant cette heure de courant. Je ne parviens pas à me rappeler, depuis que le siège a été instauré il y a sept ans, une seule fois où nous avons 24 heures d’électricité de suite », poursuit Ayman.

Ce sont de telles tâches, a priori si ordinaires, qui détruisent les habitants de Gaza, qui volent leur temps, tous les jours avant de se mettre au travail, d’aller à l’école, d’étudier pour leurs examens et de prendre soin de leurs enfants.

Que ce soit pour trouver l’essence de la voiture, le chargement d’un téléphone, faire des choix difficiles dans les médicaments que l’on pourra acquérir, prendre une douche chaude, assister à un cours à la faculté, tout cela exige des trésors de préparation, de dépenses d’énergie et de coordination, qui ont épuisé les 1,7 million d’habitants de la bande de Gaza.

« Les relations entre le Hamas et les autorités égyptiennes a atteint le point de non-retour. »

Lorsque le gouvernement intérimaire égyptien, mis en place par l’armée, a désigné le 25 décembre les Frères musulmans comme une organisation terroriste, il était clair qu’allait s’accélérer la destruction entamée il y a six mois des tunnels de contrebande creusés entre l’Égypte et l’enclave palestinienne sous blocus.

Cela se produit au pire de la pénurie de carburant dans Gaza, qui s’est aggravée la fin de l’année dernière quand la principale centrale électrique du territoire a dû fermer suite à un différend entre le Hamas, le mouvement islamiste qui gère la bande de Gaza depuis 2007, et l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah, en Cisjordanie sous occupation .

La décision de l’Égypte de couper les tunnels s’attaque directement au Hamas, qui était à l’origine une branche palestinienne du mouvement des Frères musulmans.

« Vous ne pouvez pas vraiment séparer le Hamas des Frères musulmans », dit Mkhaimar Abusada, professeur agrégé de science politique à l’Université Al-Azhar à Gaza.

« Quand vous regardez les six derniers mois, depuis l’éviction du [président égyptien Mohamed] Mursi ... Je crois que la relation entre le Hamas et les autorités égyptiennes a atteint le point de non-retour. »

La semaine dernière, il y avait des rumeurs qui circulaient selon lesquelles les autorités égyptiennes avaient gelé les avoirs de Moussa Abou Marzouk, second responsable du Hamas, qui réside actuellement au Caire. Fairfax Media a été en mesure de confirmer cette information .

« En tant qu’adjoint de Khaled Mechaal, Abu Marzouk est le seul canal de contact entre le Hamas et les services de renseignement égyptiens - ce serait catastrophique pour le Hamas s’ils coupaient les communications avec lui », explique le professeur Abusada.

Le passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte est maintenant ouvert seulement un ou deux jours toutes les quelques semaines. Combiné avec la destruction des tunnels et les sévères restrictions imposées par Israël sur les importations et les exportations, la fermeture du passage a paralysé l’économie déjà en difficulté de la bande de Gaza.

Avec les lourdes restrictions sur les déplacements des civils, y compris ceux qui veulent se déplacer pour raison médicale ou pour étudier, pas un seul responsable du Hamas ne peut quitter la bande de Gaza ou y entrer via Rafah, explique le professeur Abusada.

« Il y a deux ou trois mois , le Hamas aurait été en mesure de faire quelque chose à propos de cette mauvaise relation, » dit-il. « Mais le Hamas se comportait d’une manière qui montrait qu’ils croyaient que Mursi ou la Fraternité serait en mesure de faire un retour ... et que cela signifiait qu’ils ne voyaient pas la nécessité de faire des gestes vers le nouveau régime en Égypte. »

Gaza a souffert des difficultés économiques sous le régime de l’ex-dictateur Hosni Moubarak, et la situation ne s’était guère amélioré pendant le bref mandat de Mursi.

Les Gazaouis craignent qu’avec le nouveau régime égyptien, enhardi par son succès [98% de ’oui’, encore plus fort qu’à l’époque Mubarak - NdT] lors du référendum constitutionnel de cette semaine, le pire ne soit à venir.

Le Hamas est isolé plus que jamais, dit le professeur Abusada, et l’on craint que si la relation entre Gaza et Israël se détériore au fil du cycle actuel de négociations, Gaza ne soit durement attaqué par Israël, sans espoir d’une intervention égyptienne .

« Israël voudra écraser le Hamas et tous les groupes de la résistance dans la bande de Gaza, et à ce moment-là, les Égyptiens se comporteront comme si cela ne les concernait pas », ajoute-t-il.

Un rapport de Reuters qui reprend des sources anonymes des services de sécurité égyptiens semblent confirmer les pires craintes des habitants de Gaza.

« Gaza est le suivant, » selon cette source. « Nous ne pouvons pas nous libérer de la terreur de la Fraternité en Égypte sans y mettre fin dans la bande de Gaza, qui se trouve à nos frontières. »

L’Égypte accuse le Hamas d’avoir participé à la récente campagne d’attaques contre les forces égyptiennes dans la péninsule du Sinaï, et qui s’est propagée jusqu’au Caire - accusations que le Hamas nie vivement.

Pourtant, malgré cette rhétorique menaçante, et peut-être de façon trop optimiste, le Hamas ne croit pas que l’Égypte aggravera les hostilités et dit ne pas craindre d’être désigné comme une organisation terroriste par les autorités au Caire.

« Je ne pense pas que l’Égypte va aller plus loin », dit Hatem Owida, le vice-ministre de l’économie dans la bande de Gaza. « Je pense que la relation entre les Palestiniens et l’Égypte a des racines profondes. »

S’il n’y a pas de réconciliation entre le Hamas et le Fatah, la situation ne peut que s’aggraver.

« S’il n’y a pas de réconciliation palestinienne et une instabilité persistante en Égypte, la situation deviendra catastrophique », explique le Dr Owida.

Au cœur du problème de Gaza se trouve le blocus presque total de ses frontières, ce qui entraîne aujourd’hui un manque quasi-total de matériaux de construction et de carburant.

« Il y avait 3900 entreprises industrielles qui fonctionnaient correctement avant [que les tunnels ne soient détruits] et maintenant au moins la moitié ont cessé de fonctionner », dit le Dr Owida.

« Nous parlons d’environ 70 000 travailleurs du domaine de la construction qui ont été contraints d’arrêter le travail en raison de la pénurie de matériaux de construction, et tout cela contribue à des niveaux élevés de pauvreté. »

« Nous sommes revenus à la situation du blocus de 2007-2008, et tous les secteurs sont confrontés à des problèmes quotidiens à tous les niveaux - 34 pour cent des personnes vivent dans la pauvreté et nous nous attendons à ce que cela augmente, » a-t-il ajouté.

Un autre responsable du Hamas, le porte-parole Salah al-Bardawil, décrit le changement de ton de l’Égypte sous son dirigeant de facto, le général Abdel Fattah al-Sisi depuis le coup de force du 3 juillet, en des termes très directs.

« Même sous l’ère Moubarak, l’Égypte ne traitait pas le Hamas et la bande de Gaza d’une manière aussi dure que le fait al-Sisi, » dit-il.

« Pour aller de la bande de Gaza à l’Égypte, elle dû ramper à travers un étroit tunnel, sur ses mains et ses genoux, dans la boue.

Dans les marchés de fruits et légumes dans la ville de Gaza, quelques personnes se déplacent à travers les stands et l’essentiel des produits est laissé invendus à la fin de la journée.

La plupart des marchands font leur revenu dans les quelques jours du début de chaque mois, après que les employés du gouvernement aient été payés, dit Khaled Mashour, âgé de 23 ans.

« Les gens ont moins que jamais les moyens d’acheter, ils se limitent à 50 shekels (16 $) alors qu’ils avaient l’habitude de dépenser autour de 100 shekels, et nous sommes obligés de minimiser considérablement nos prix pour pouvoir vendre. »

Dans l’agence de voyages El-Shurafa, la situation est tout aussi sombre, le bureau étant presque vide.

« Il est impossible pour les personnes de planifier un voyage quand ils ne savent pas quand la frontière sera ouverte », dit Mohamed El-Shurafa, dont la famille a créé l’agence de voyages en 1956.

Sameeha, 25 ans, dont la lune de miel a été contrecarrée par les fermetures de la frontière avec l’Égypte, espère terminer son doctorat à l’étranger. Encore une fois, il s’agira d’une lutte avec des frontières .

Sa mère s’est vue diagnostiqué un cancer du sein et tandis que la maladie progressait, elle eu très peur de ne pas trouver les meilleurs soins dans les établissements médicaux déjà surchargés de Gaza.

Elle a demandé un permis pour se rendre dans un hôpital en Israël, mais cela lui a été refusé.

Déterminée à lutter pour sa vie, pour sa famille, elle a pris la décision difficile de passer à travers l’un des centaines de tunnels clandestins alors en service entre Gaza et l’Égypte, de façon à aller suivre un meilleur traitement au Caire.

« Pour aller de la bande de Gaza à l’Égypte, elle dû ramper à travers un étroit tunnel, sur ses mains et ses genoux, dans la boue, » raconte Sameeha.

« Je me souviens de mon frère, qui l’a emmenée dans le tunnel, pour ensuite revenir à notre maison entièrement couvert de boue, et j’avais alors pensé : ’est-ce cela que ma mère a traversé ?’ »

Sa mère a survécu au cancer puis au voyage de retour, mais pour Sameeha, c’était une autre illustration de la manière dont les frontières dominent la vie à Gaza.

« Les fermetures de frontières sont ... un signe qu’Israël n’a jamais quitté Gaza et que l’occupation de Gaza continue, par terre, mer et air, » dit-elle.

Et la seule issue alternative - par Rafah - est devenue un symbole de la punition que l’Égypte a l’intention d’imposer aux habitants de Gaza.

Sur son blog, Sameeha écrit à propos de son mariage en septembre 2013 : « J’ai ... essayé d’oublier que nous allons parler de la frontière de Rafah ce soir dans notre lit. J’ai essayé d’oublier que la frontière va s’immiscer dans les moments les plus intimes de notre vie, et que je me marierai tout en pensant en même temps aux frontières ».

* Ruth Pollard est envoyée spéciale du quotidien australien The Age dans la bande de Gaza.

17 janvier 2014 - The Age - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.theage.com.au/world/egyp...
Traduction : EuroPalestine-CAPJPO & Info-Palestine.eu