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Le plan américain compromet la création d’un État palestinien viable
lundi 13 janvier 2014 - Jonathan Cook
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Moments de "convivialité" entre occupants et occupés, à des milliers d’années-lumière des réalités sur le terrain... Ce qu’attendent Kerry et les occupants israéliens, c’est une capitulation en bonne et due forme de la part de l’équipe d’Abbas...

Un sentiment d’urgence apparaît puisque le mois prochain, Washington est censé dévoiler sa supposée « proposition-cadre » pour la création d’un État palestinien, dans une dernière tentative désespérée de sortir les négociations de l’impasse. De ce fait, les grandes lignes de la vision américaine d’un accord sont finalement en train de se préciser. Et comme beaucoup pouvaient s’y attendre, le tableau est sombre pour les Palestiniens.

Le secrétaire d’État américain John Kerry, qui s’est beaucoup investi personnellement pour parvenir à une issue positive, s’est montré de plus en plus direct : selon lui, il faut répondre aux préoccupations israéliennes en matière de sécurité (bien que celles-ci soient surestimées) pour qu’un accord soit possible.

Ce mois-ci, lors d’un discours tenu au Forum Saban de Washington, M. Kerry a déclaré que pour le président Barack Obama, « la capacité de l’État d’Israël de se défendre, par lui-même » figurait en tête des priorités. Peu de temps après, M. Kerry est retourné sur place afin de montrer aux responsables israéliens et palestiniens ce qu’il voulait dire.

Le président palestinien Mahmoud Abbas aurait été scandalisé par la proposition faite par les États-Unis. Ces derniers jours, les porte-paroles de l’Autorité palestinienne ont accusé M. Kerry de jouer la carte de l’« apaisement » et de ne pas être « un médiateur neutre ».

La critique semble plus que justifiée. Sous le couvert d’une vision pour la paix, le secrétaire d’État américain propose un plan pour la sécurité d’Israël qui compromet significativement la perspective d’un État palestinien.

Cela n’est pas tout à fait surprenant, étant donné que ce plan a été élaboré par John Allen, un général qui était auparavant aux commandes des forces américaines en Afghanistan. Pendant plusieurs mois, celui-ci a travaillé en étroite liaison avec ses homologues israéliens sans être inquiété.

Le principal point de désaccord est la vallée du Jourdain, zone qui était censée correspondre à près du quart d’un futur État palestinien.

Le général Allen a cédé à une des exigences d’Israël, qui souhaitait obtenir l’autorisation de poursuivre sur le long terme une « présence militaire » dans la vallée du Jourdain, avec une réévaluation par les États-Unis dans 10 à 15 ans.

Ce faisant, Washington abandonne l’engagement pris suite à un accord lors des pourparlers d’Annapolis en 2007, selon lequel aucun soldat israélien ne serait déployé en Cisjordanie. Des garanties de sécurité devaient à la place être fournies par les troupes de l’OTAN, sous commandement américain.

La nouvelle proposition devrait entraîner une rupture d’accord. La vallée est une ressource vitale pour les Palestiniens, alors qu’ils en ont été efficacement privés depuis des décennies à cause des « besoins de sécurité » d’Israël, dont l’ampleur est exagérée.

La vallée du Jourdain constitue la seule frontière terrestre en Cisjordanie qui serait potentiellement sous contrôle palestinien. Comme il s’agit de l’une des rares zones libres restantes, des centaines de milliers de réfugiés palestiniens pourraient éventuellement y retourner. De plus, les terres y sont fertiles et chaudes toute l’année. Elles sont donc hautement productives et pourraient ainsi représenter un moteur pour l’économie palestinienne.

Selon le plan élaboré par le général Allen, à des fins de sécurité, Israël exige également que les forces de sécurité palestiniennes ne soient que légèrement armées, que le contrôle de l’espace aérien et des frontières lui soit accordé, mais aussi que les États-Unis mettent en place des technologies d’espionnage (appelées par euphémisme « systèmes d’alerte rapide ») dans toute la Cisjordanie.
En d’autres termes, la vision américaine d’un État palestinien ressemble de manière frappante au modèle qu’Israël a déjà instauré à Gaza.

Il suffit de se référer à ce que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré une décennie plus tôt pour comprendre son rôle dans ce nouveau plan.

En 2001, M. Netanyahou s’est adressé à un groupe de colons en Cisjordanie lors d’une réunion qui a été filmée secrètement. Pendant cette réunion, il s’est vanté du fait que lors de son précédent mandat de Premier ministre, à la fin des années 1990, il avait contrecarré le plan de paix mis en place à l’époque par les accords d’Oslo grâce à une « combine », selon ses mots.

Afin de faire échouer la création d’un État palestinien, M. Netanyahou a accepté un retrait au compte-goutte des terres palestiniennes, tout en insistant sur sa volonté de conserver les zones les plus importantes, en particulier la vallée du Jourdain, en les définissant comme des « installations militaires spécifiques ».

« Les États-Unis, on peut facilement les manipuler et les faire aller dans la bonne direction, » a-t-il dit aux colons. Ces quelques mots semblent maintenant prophétiques.

En rejetant le plan américain, M. Abbas semble bénéficier du soutien de son peuple. Selon un sondage publié cette semaine, 19 pour cent des Palestiniens ont affirmé croire que les négociations pourraient aboutir à un accord.

De ce fait, étant donné l’importance du conflit entre les exigences israéliennes en matière de « sécurité » et les revendications pour la création d’un État palestinien, comment M. Kerry a-t-il l’intention de procéder ?

Ses dispositions se font également de plus en plus claires. L’organisation du jeu entre Israël et les Palestiniens est progressivement sous-traitée à l’Union européenne. Cela a du sens dans la mesure où les Européens subventionnent en majorité l’occupation et disposent donc d’une influence financière importante sur les deux parties.

Plus tôt ce mois-ci, l’UE a brandi son bâton en avertissant que le financement de l’Autorité palestinienne de M. Abbas serait stoppé si aucun accord n’était trouvé au terme des négociations.

Bien que largement perçu comme une menace dirigée vers M. Abbas, dont la base du pouvoir politique dépend de l’argent de l’UE avec lequel des dizaines de milliers d’employés dépendant de l’Autorité palestinienne sont payés chaque mois, cet avertissement visait tout autant M. Netanyahou. Si l’Autorité palestinienne devait se retrouver en faillite, les énormes coûts engendrés par l’occupation reviendraient de nouveau à Israël.

Les 28 États membres européens ont également prévenu Israël qu’en cas de poursuite des constructions de colonies au cours des mois qui viennent, Israël serait officiellement tenu responsable de l’échec des négociations.

Ce lundi, l’Europe a agité la carotte en proposant à la fois à Israël et aux Palestiniens un programme d’aide de grande envergure ainsi qu’une amélioration des relations économiques avec l’UE grâce à un statut spécial de « partenariat privilégié ». Selon certaines sources, chaque camp pourrait en tirer d’énormes bénéfices en matière de commerce et de sécurité.

Peu importe la force des pressions directes exercées par l’UE, il est en réalité question d’encourager les dirigeants palestiniens à conclure un accord qui anéantirait tout espoir de création d’un État palestinien viable.

M. Abbas aurait qualifié le plan américain comme étant « pire que mauvais ». S’il donnait son accord, les conséquences seraient alors pires que désastreuses.

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* Jonathan Cook a remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair” (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.

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17 décembre 2013 - The National - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.jonathan-cook.net/2013-1...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.