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Comment se fait-il qu’Uri Avnery en sache si peu sur Israël, ou sur l’apartheid ?
dimanche 3 novembre 2013 - Jonathan Cook
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Quand les gens disent qu’Israël est un État d’apartheid, ils se réfèrent au crime d’apartheid tel que défini par le droit international.




Oui, je sais. Uri Avnery a fait beaucoup en tant que journaliste et activiste de la paix. Il a probablement fait plus et plus longtemps que quiconque pour sensibiliser les gens dans le monde sur la situation épouvantable dans les territoires occupés. Et, en plus de cela, il fête son 90e anniversaire cette semaine. Alors, nos meilleurs souhaits à lui.

Pour autant, il est important de remettre en question de nombreuses affirmations erronées qu’Avnery avance à l’appui de ses arguments dans son dernier article, où il rejette les comparaisons croissantes entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Il y a beaucoup à critiquer dans son papier faiblement étayé, où il se base sur une conversation récente avec un « expert » dont il ne divulgue pas le nom. Avnery, comme beaucoup avant lui, commet l’erreur de croire que, en mettant en avant les différences entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid, il apporte la preuve qu’Israël n’est pas un État d’apartheid. Mais ce n’est là que l’ultime argument d’un homme de paille. Personne ne prétend qu’Israël est identique à l’Afrique du Sud. Vous n’avez quand même pas besoin d’un expert pour vous en rendre compte.

Quand on dit qu’Israël est un État d’apartheid, on se réfère au crime d’apartheid tel que défini par le droit international. Selon le Statut de Rome de 2002 de la Cour pénale internationale, l’apartheid comprend les actes inhumains « commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination par un groupe racial sur un autre ou plusieurs autres groupes raciaux et commis avec l’intention de maintenir ce régime. »

Aussi, de savoir de quelle couleur sont les victimes de l’apartheid, la part de population qu’elles représentent, si l’économie dépend de leur travail productif, que les premiers sionistes étaient socialistes, où que les Palestiniens ont un Nelson Mandela, et cætera, tout cela n’a absolument aucun intérêt pour déterminer si Israël est un État d’apartheid.

La distinction essentielle pour Avnery se situe entre « Israël proprement dit » et les territoires occupés. Dans les territoires, Avnery admet qu’il existe certains parallèles avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Mais à l’intérieur d’Israël, il pense que la comparaison est outrancièrement injuste. Laissons de côté la question, qui n’est pas sans importance, qu’Israël refuse de reconnaître ses frontières telles qu’internationalement définies ; ou que l’une de ses principales stratégies est une politique de diviser pour régner, dans un style colonial, qui compte sur l’instauration de différences concernant les droits des Palestiniens sous sa domination, comme d’un moyen pour mieux les opprimer.

Les motifs qui poussent Avnery à mettre l’accent sur une distinction territoriale doivent être clairs. Il croit que l’occupation est un crime, et qu’elle doit cesser. Mais il croit aussi qu’Israël, en tant qu’État juif, doit subsister après la fin de cette occupation. En réalité, pour lui, les deux questions sont inextricablement liées. Selon lui, pour qu’à long terme Israël puisse survivre en tant qu’État juif, il lui faut se séparer des territoires occupés.

Cela concorde avec une idéologie sioniste libérale assez classique : la ségrégation est considérée comme offrant une protection contre les menaces démographiques posées par les non juifs pour la future réussite de l’État juif, et elle est arrivée à son apothéose avec la construction du mur en Cisjordanie et le désengagement de Gaza. Avnery se place simplement parmi les partisans les plus humains de cette logique.

Mais pour cette raison, et comme je l’ai soutenu auparavant, Avnery doit être traité comme un mentor et un guide non fiable pour tout ce qui touche aux Palestiniens à l’intérieur d’Israël – groupe le plus difficile à traiter dans le cadre d’une approche strictement ségrégationniste.

Avnery n’est pas susceptible de traiter une critique envers « Israël proprement dit », comme la comparaison avec l’apartheid, basée sur le bien-fondé de l’affaire. Il réagit défensivement. Reconnaître qu’Israël est un État d’apartheid à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues minerait la légitimité de son précieux État juif. Cela indiquerait que tout ce qu’il a fait dans sa vie pour mener campagne en faveur de la création d’un État palestinien, pour préserver son État juif, a été mal avisé, et probablement nocif.

L’argument le plus outrancier d’Avnery dans son article, précisément pour détourner l’attention de la question d’un État juif auto-défini et de ses relations avec une importante minorité palestinienne, est le suivant :

« Dans l’ensemble, la situation de la minorité arabe à l’intérieur d’Israël proprement dit est très semblable à celle de nombreuses minorités nationales en Europe et ailleurs. Elle profite de l’égalité devant la loi, du droit de vote pour le parlement, elle est représentée par ses propres partis politiques, qui sont très actifs, même si en pratique, elle souffre de discrimination dans de nombreux domaines. Appeler cela un apartheid serait grossièrement trompeur. »

Il n’est pas nécessaire de concéder que la comparaison avec l’apartheid est exacte, tant dans les territoires occupés qu’en « Israël proprement dit » - comme je le fais – pour comprendre qu’en réalité, c’est Avnery qui se trompe grossièrement ici.

Il est insensé de prétendre que le traitement par Israël de ses un million et demi de citoyens palestiniens est, comme l’affirme Avnery, comparable à la situation des minorités nationales dans les États européens. Les citoyens palestiniens ne sont pas seulement confrontés à une discrimination officieuse, informelle ou spontanée. Mais à une discrimination structurelle, institutionnelle et systématique.

Voici quelques questions auxquelles Avnery ou ceux qui sont d’accord avec lui doivent répondre :

  • Quels sont les États européens qui ont, comme Israël, nationalisé 93 % de leur territoire afin qu’un groupe ethnique (dans le cas d’Israël, les citoyens juifs) puisse exclure un autre groupe ethnique (les citoyens arabes palestiniens) ?
  • Quels sont les États européens qui installent des comités de sélection, consacrés par la loi, dans des centaines de communautés rurales précisément pour empêcher un groupe ethnique (les Arabes palestiniens) de vivre dans ces communautés ?
  • Quels sont les États européens qui ont des lois séparées sur la citoyenneté – dans le cas d’Israël, la Loi du retour (1950) et la Loi sur la citoyenneté (1952) – en fonction de l’appartenance ethnique ?
  • Quels sont les États européens qui ont conçu leur législation sur la citoyenneté, comme Israël l’a fait, pour conférer des droits aux membres d’un groupe ethnique (dans les cas d’Israël, les juifs) qui ne sont pas encore réellement citoyens, ou présents dans l’État, qui les privilégient par rapport à un autre groupe (les Arabes palestiniens) dont les membres ont la citoyenneté et sont présents dans l’État ?
  • Quels sont les États européens qui ont plus de 55 lois explicitement discriminatoires en fonction du groupe ethnique auquel appartient un citoyen ?
  • Quels sont les États européens qui, comme Israël, s’en remettent à des organismes extraterritoriaux – dans le cas d’Israël, l’Agence juive et le Fonds national juif – dont la charte les oblige à une discrimination sur la base de l’appartenance ethnique ?
  • Quels sont les États européens qui dénient à leurs citoyens l’accès à toute institution civile sur les questions du statut de la personne, comme le mariage, le divorce et l’enterrement, exigeant de tous les citoyens qu’ils se soumettent aux fantaisies et aux préjugés des chefs religieux ?
  • Quels sont les États européens qui ne reconnaissent pas leur propre nationalité, et qui permettent de rejoindre le groupe national dominant (dans le cas d’Israël, les juifs) ou d’immigrer rien qu’avec une conversion ?

Peut-être qu’Avnery arriverait à trouver un État européen bizarre qui aurait l’une de ces pratiques perverses, ou équivalente. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il ne trouvera aucun État européen qui aurait plus d’une caractéristique de ce genre. Israël, lui, il les a toutes, et plus encore ; en fait, il en a beaucoup trop pour que je puisse les énumérer toutes.

Donc, si Israël, à l’intérieur de ses frontières reconnues, ne ressemble en rien aux États européens ou aux États-Unis, ou à tout autre État que nous classons habituellement comme démocratique. Peut-être qu’Avnery ou ses partisans pourraient nous expliquer exactement quelle sorte d’État est l’État d’Israël.


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* Jonathan Cook a remporté le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.

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28 octobre 2013 - J. Cook - The Palestine Chronicle - traduction : Info-Palestine/JPP